1. Irlande exceptée qui connaît la famine au XIXe siècle. Géologues n°162 L’uti

1. Irlande exceptée qui connaît la famine au XIXe siècle. Géologues n°162 L’utilisation des engrais naturels ou chimiques n’est qu’un des aspects du passage d’une agriculture « tradi- tionnelle », archaïque et peu productive à une agricultu- re dite « rationnelle »,beaucoup plus performante mais au prix de certaines nuisances environnementales. Beau- coup d’autres facteurs interviennent en effet : augmen- tation des surfaces cultivées, introduction de nouvelles plantes, rotation des cultures (assolement), techniques aratoires, irrigation, sélection des semences, utilisation de l’énergie, apparition de produits phytosanitaires sans oublier le rôle de l’argent. Des évolutions dans tous ces domaines vont se traduire par une véritable « révolution agricole » qui pré- cède puis accompagne la révolution industrielle et va jouer un rôle considérable dans la démographie et l’ex- pansion européennes des quatre derniers siècles. La Révolution agricole en Europe (XVIIe-XIXe siècles) Elle est beaucoup moins connue et médiatisée, y compris dans l’enseignement,que la révolution industriel- le. Du fait de sa lenteur – plusieurs siècles –, de son hétérochronie et de la diversité de ses rythmes,beaucoup d’auteurs préfèrent parler d’une évolution,bien différente selon eux,de la mutation rapide artisanat – industrie.Plus tard, pour traduire l’explosion de la production agricole mondiale durant la seconde moitié du XXesiècle,on parlera de « révolution verte » liée à l’amélioration des céréales et à l’augmentation nette des rendements à l’hectare.Pas sûr que les écologistes apprécient mais cette expression pour- rait s’appliquer aux premières phases de la révolution agricole,assez respectueuse de l’environnement. Tout commence en fait avec la découverte du nou- veau monde,rupture qui aura des incidences assez rapides sur la capitalisation puis,plus tard,sur l’apparition de cul- tures nouvelles et des engrais naturels. Durant tout le XVIe siècle,les conquistadores s’intéressent surtout à l’or et à l’argent du Pérou et de la Bolivie (Potosi).Ces richesses transitent par l’Espagne et vont s’accumuler chez les com- merçants des Pays-Bas et d’Angleterre qui annoncent la montée progressive de l’économie capitaliste en Europe. Cela permettra plus tard aux partenaires de « l’agricul- ture nouvelle » – face à l’ancienne agriculture de subsis- tance familiale – d’y engager des capitaux. « L’argent est le plus indispensable fumier qu’on puisse répandre sur la terre » dira le marquis de Mirabeau. Les nouvelles plantes,ce sont d’abord celles qui sont cultivées sur place : la canne à sucre dont le produit rem- placera le miel sur la table des gens aisés et dont la culture en plantations,très consommatrice de main d’œuvre, engendrera la traite des noirs. Le développement de la betterave sucrière ne sera effectif qu’après le Blocus conti- nental (1806).Plus tard,on importera le cacao,le café,etc. Parmi les autres cultures nouvelles importées, la pomme de terre joue un rôle majeur.Introduite en Espagne à la fin du XVIesiècle,sa culture ne sera généralisée en Euro- pe que deux siècles plus tard et la France sera parmi les der- nières ! Sans l’aide de Louis XVI, qui assura la protection des cultures et s’en fit servir à Versailles,il n’est pas sûr que Parmentier aurait réussi à surmonter les préjugés. Et curieusement, la Bretagne sera une des dernières pro- vinces à l’adopter.Et pourtant,la pomme de terre s’adap- te bien aux divers climats et aux terres « froides », sili- ceuses – jusqu’ici peu productives – et son haut pouvoir nutritif a entraîné la disparition de la famine en Europe1. Le maïs, céréale américaine à gros rendement, se fait aussi une place en Europe avant la fin du XVIIIe siècle. Et puis il y aura le topinambour, la tomate, etc. Au XVIIesiècle,on pratique encore,comme au Moyen Age, deux types d’assolement (rotation des cultures) : assolement triennal au nord (blé ou seigle d’hiver ;avoine, orge ou pois chiche ; jachère) et biennal au sud (blé d’hi- ver ;jachère) du fait de la chaleur plus précoce. La misère paysanne décrite par Vauban dans « La Dime royale » (1697) se traduit par des disettes voire des famines qui, combinées aux épidémies, aux guerres, au manque d’hygiène fait que la population globale s’accroît très peu. Mais,au XVIIIesiècle,l’agronomie devient à la mode, notamment parmi les élites anglaises. Lord Townshend met au point « l’assolement de Norfolk » qui supprime la jachère et régénère le sol grâce au trèfle (puis à la luzerne) dont les racines noduleuses peuvent fixer l’azote de l’air. C’est un progrès très important qui équivaut,de fait,à une augmentation de la surface cultivée et à une meilleure nourriture pour le bétail et donc à des rendements en lait, en viande et en fumures pour les plantes,augmentés. Conséquence moins heureuse,la solidarité dispa- raît : les gros propriétaires protègent leurs parcelles de géologie, histoire et marché des engrais minéraux Agriculture et engrais en France : un aperçu historique Michel Bornuat. 26 2. Membre du Comité d’Administration de l’Agriculture de 1785 à 1787. Ce comité fit un travail considérable d’analyse de la situation agricole de la France et de propositions pour l’améliorer. 3. Physiologie végétale et chimie agricole, 1800 et 1840. 4. Chimie organique appliquée à la physiologie végétale et à l’agriculture, ou Chimie agricole. Géologues n°162 trèfle (« enclosures » en Angleterre) et les plus pauvres ne peuvent plus compter sur la pâture commune.Beaucoup d’entre eux partent donc vers les villes qui réclament de la main d’œuvre pour la révolution industrielle. La sélection des graines et des animaux reproduc- teurscombinée à certaines pratiques nouvelles,permet des améliorations très importantes des rendements.Si le cli- mat s’y prête, le rendement à l’hectare, très faible au départ,est multiplié par 5 ou 6.En Grande-Bretagne,le croi- sement des races et les succès remportés par les vétéri- naires au cours du XVIIIe siècle font que le poids d’un bœuf ou d’un mouton est en moyenne multiplié par 2 ou 2,5. L’hydraulique fait des progrès.On invente des pro- cédés de drainage aux Pays-Bas et d’assèchement des marais en Angleterre. L’irrigation, qui a été un souci per- manent,marqué dans le paysage par de nombreux petits canaux, se développe également. En ce qui concerne le machinisme, dans un premier temps, la charrue est rem- placée par le brabant qui permet des labours plus pro- fonds.Puis,dans la 2ème partie du XIXe siècle,avec les pro- grès de la métallurgie, apparaissent les premières machines agricoles : semoir mécanique, moissonneuse- lieuse,batteuse à vapeur (McCormick).La lente extension du machinisme n’a apporté qu’un gain limité de production mais a entraîné de nettes évolutions : agrandissement des exploitations, incitation à la mono- culture et moins de bras nécessaires.Les nouvelles sources d’énergie ont eu une double influence. Au niveau de l’exploitation, le tracteur a complètement remplacé les chevaux ou les bœufs et la moissonneuse-batteuse automotrice apparaît. Concernant la commercialisation des produits – nouvelle contrainte de l’agriculteur – le développement des réseaux de transport (routes, canaux, puis voies ferrées) assure une liaison très améliorée entre les villes consom- matrices et les terroirs producteurs,désormais orientés vers une économie de marché spécialisée. Les transports ter- restres et maritimes apportent par ailleurs des moyens d’amélioration très importants aux terres agricoles :amen- dements et engrais, détaillés ci-après. Grâce à cette révolution agricole, il n’y a plus de famine en Europe après le XVIIIe siècle et on mange mieux. C’est une cause importante, avec le progrès de la méde- cine et des règles d’hygiène, de la révolution démogra- phique : le doublement de la population mondiale, qui passe de 750 millions à 1,6 milliard entre 1750 et 1900, provient essentiellement de l’Europe. D’où les mouve- ments de population de la campagne vers la ville et l’émigration, vers les États-Unis surtout. Entre 1800 et 1925, environ 40 millions d’européens, en provenance de Grande-Bretagne (la moitié),d’Europe du Nord et d’Italie, émigrent. La France, nation la plus peuplée d’Europe (28 millions d’habitants) au moment de la Révolution,est une exception. Contrairement à l’évolution dans les autres pays européens, la natalité y décroît de 1815 à 1942 et la France ne participera dont que faiblement (1,5 million) à l’émigration. Les engrais : aperçu historique La fertilité du sol est un souci avéré des agricul- teurs depuis au moins 3 000 ans. L’influence de certains apports (fumier et cendres) et de la pratique de l’écobua- ge était connue. Ces méthodes de fertilisation seront perfectionnées par les Romains grâce aux mélanges avec des engrais verts pourvoyeurs d’azote (lupins, fèves) et resteront inchangés jusqu’à la Renaissance. Mais, dès le XVIe siècle, avec notamment Bernard Palissy en France, des ouvrages sur la fertilisation sont édités,anticipant en partie sur les découvertes faites sur la nutrition des plantes deux siècles plus tard par Antoine-Laurent de Lavoisier (1743-1794)2,Nicolas-Théodore de Saussure (1803-1873)3 et surtout Justus von Liebig (1803-1873) qui écrit en 1840 son fameux traité de Chimie appliquée à l’agriculture4. À partir de 1850, les 3 principes essentiels – azote, phosphore et potassium – sont bien connus et active- ment recherchés. En Europe,on emploie successivement comme engrais : les os et des « noirs » de raffinerie,dès le début du XIXe siècle, pour les phosphates ; les cendres de varech et de tourbe pour la potasse ; le guano du Pérou, produit naturel (phosphates des fientes d’oiseaux, à genèse complexe), amené en Europe par bateau, dès 1840 ; les nitrates du Chili quelques années plus uploads/Geographie/ geologues-162-engrais-agriculture-france.pdf

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