Giacomo Leopardi, poèmes L’INFINI J’ai toujours aimé cette colline à l’écart Et
Giacomo Leopardi, poèmes L’INFINI J’ai toujours aimé cette colline à l’écart Et cette haie qui de tous côtés Cache la vue de l’horizon lointain. Mais m’assoyant et méditant, je m’invente Par la pensée d’interminables espaces Au-delà, et de surhumains silences, Et une très profonde paix ; où pour un peu Mon coeur s’effraierait. Et comme j’entends Frémir le vent dans ce feuillage, Je me mets à comparer à sa voix Ce silence infini ; et je me rappelle L’éternité, et les saisons mortes, et celle-ci, Présente, et vive, et bruissante. Ainsi Dans cette immensité sombre ma pensée Et m’abîmer m’est doux dans cette mer. * * À LA LUNE Ö lune gracieuse, je me souviens, Que l’an passé, sur cette même colline, Je venais, plein d’angoisse, t’admirer : Et tu pendais alors sur ces bois Que tu éclairais, comme tu le fais maintenant. Mais nébuleux et brouillé par les larmes Qui montaient à mes cils, se montrait À mes yeux ton visage, car tourmentée Etait ma vie : et elle l’est, ni ne change, 0 lune, mon amie. Et pourtant il m’est cher, Ce souvenir, et le dénombrement De ma douleur. Oh qu’il est doux, Au temps de la jeunesse, lorsque s’étend encore La voie de l’espérance et qu’est courte la mémoire, De se ressouvenir des choses passées, encore Qu’elles soient tristes, et que l’angoisse dure ! * * LE SOIR DU JOUR DE FÊTE Douce et claire est la nuit et sans un souffle, Et calme sur les toits et dans les jardins Se pose la lune, et elle révèle au loin, Sereines, toutes les montagnes. O mon amour, Déjà se taisent les chemins, et aux balcons Transparaît rarement une lampe nocturne : Tu dors, toi qu’accueillit un sommeil facile Dans ta chambre tranquille ; nul souci Ne te ronge ; et déjà tu ne sais plus, tu ne penses plus Aux coups que tu m’as portés au coeur. Tu dors ; et moi, je me tourne pour saluer Ce ciel qui semble si clément, Et l’antique nature toute-puissante Qui m’a destiné à l’angoisse. Je te dénie L’espérance, me dit-elle, même l’espérance, Et tes yeux ne brilleront que de larmes. Ce fut un jour solennisé ; maintenant Tu te reposes de tes plaisirs ; et peut-être Te souviens-tu en rêve de ceux à qui tu as plu Et de ceux qui t’ont plu : pas de moi, je ne peux Espérer occuper ta pensée. Je me demande Ce qui me reste à vivre, et je me laisse Tomber par terre, et crie, et tremble. Oh jours atroces En un âge si vert ! Hélas, sur la route, J’entends non loin d’ici le chant solitaire D’un artisan qui rentre tard la nuit Dans sa pauvre maison après s’être amusé ; Et mon coeur se serre de douleur À la pensée que tout passe en ce monde Sans quasi laisser de trace. Voici qu’a fui Le jour de fête, et qu’à ce jour de fête un autre, Quelconque, succède, et le temps emporte Toutes les affaires humaines. Où est le bruit Que firent tant de peuples antiques ? Où est le cri De nos ancêtres superbes, et l’empire De cette Rome, et les armes, et la clameur Qu’ils portèrent sur la terre et sur l’océan ? Tout est paix et silence, et le monde Est tout tranquille, et nul ne songe plus à eux. Dans ma petite enfance, alors que j’attendais Ardemment chaque jour de fête, aussitôt Qu’il était passé, je gisais, oppressé, Sans dormir, sur ma couche ; et, tard la nuit, Un chant qu’on entendait mourir Peu à peu par les chemins qui s’éloignaient, Comme aujourd’hui, déjà, me serrait le coeur. * * LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE La tempête est passée : J’entends les oiseaux fêter, et la poule, Revenue sur la route, Qui répète son verset. Voici le ciel serein Qui s’ouvre au couchant, sur la montagne ; La campagne se désassombrit, Et clair dans la vallée le fleuve apparaît. Tout coeur se réjouit, de tout côté Renaît la rumeur, Reprend le travail usuel. L’artisan, pour contempler le ciel humide, Son ouvrage à la main, en chantant, Se fait voir sur le seuil ; la paysanne Se précipite pour recueillir l’eau De la pluie nouvelle ; Le maraîcher relance De sentier en sentier Son cri accoutumé. Voici le soleil qui revient, le voici qui sourit Sur les coteaux et les maisons. La famille Ouvre les fenêtres, ouvre terrasses et balcons : Et, sur la grand-route, tu entends au loin Un tintement de grelots ; la charrette grince Du voyageur qui reprend son chemin. Se réjouit tout coeur. Si douce, si agréable, Quand l’est-elle, comme à présent, la vie ? Quand avec tant d’amour L’homme s’applique-t-il à son étude ? Ou reprend-il son travail ? Ou se met-il à une autre tâche Quand de ses maux se souvient-il moins ? Plaisir, fils du souci ; Joie vaine, qui est le fruit De la frayeur passée, dans laquelle tremblait Et redoutait la mort Celui qui abhorre la vie ; Dans laquelle en long tourment, Transis, blêmes, silencieux, Suaient et frémissaient les gens qui voyaient Amassés contre nous Éclairs, nuages et vents. Ô aimable nature, Ce sont là tes bienfaits, Ce sont là les délices Que tu présentes aux mortels. Sortir de peine Est pour nous un délice. Les peines, tu les sèmes à grands gestes ; le mal Spontané lève : et de plaisir, ce peu Qui par prodige et par miracle quelquefois Naît du souci, est tout bénéfice. Enfant De l’homme, cher aux immortels ! sois heureux S’il t’est permis de respirer Après une douleur ; et bienheureux Si de toute douleur la mort te guérit. * * LE SAMEDI DU VILLAGE La jeune fille revient de la campagne Au déclin du soleil, Portant sa botte d’herbes ; et elle tient à la main Un petit bouquet de roses et de violettes, Dont, comme à l’accoutumée, Elle se propose de parer, Demain, jour de fête, son sein et ses cheveux. Elle s’assoit avec les voisines Dans l’escalier, pour filer, la petite vieille, En se tournant du côté où se perd le jour ; Et elle se met à raconter toutes ses belles années Alors qu’aux jours de fête elle se parait Et qu’encore vive et souple Elle allait danser, le soir, avec ceux Qui étaient les compagnons de son bel âge. Déjà l’air s’embrunit, Le soir s’azure, et l’ombre coule Des collines et des toits Dans la blancheur de la lune neuve. Maintenant la cloche annonce La fête qui approche ; Et à son tintement on dirait Que le coeur s’apaise. Les enfants crient Sur la petite place, en bandes, Et en sautant çà et là Font une rumeur joyeuse : Et pendant ce temps retourne à sa pauvre table, En sifflant, le laboureur, Et il songe en lui-même à son jour de repos. Puis quand s’éteignent partout les autres flambeaux, Et que tout se tait, On entend le marteau cogner, on entend la scie Du menuisier qui veille Dans son atelier fermé, à la lampe, Et qui se hâte, et s’efforce D’achever son ouvrage avant le point du jour. De toute la semaine, c’est le jour le plus aimable, Plein d’espoir et de joie : Demain les heures ramèneront La tristesse et l’ennui, et chacun par la pensée Retournera à la peine accoutumée. Jeune garçon enjoué, Ton âge en fleur Est comme un jour plein d’allégresse, Jour clair, serein, Qui prélude à la fête de ta vie. Réjouis-toi, mon enfant : c’est un doux état, Une saison heureuse que la tienne. Je ne te dirai rien d’autre : mais si ta fête Tarde à venir, que cela ne te pèse pas. uploads/Geographie/ giacomo-leopardi-poemes.pdf
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- Publié le Jan 30, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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