LE ROSEAU D'OR OEUVRES ET CHRONIQUES -17- G. K. CHESTERTON L' HOMME ÉTERNEL TRA
LE ROSEAU D'OR OEUVRES ET CHRONIQUES -17- G. K. CHESTERTON L' HOMME ÉTERNEL TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR MAXIMILIEN VOX LIBRAIRIE PLON LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT Imprimeurs-Éditeurs - 8, rue Garancière, Paris, 6e Ce volume contient la première partie de l'ouvrage de G. K. Chesterton paru en 1925 sous le titre : The everlasting Man. Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays. L HOMME ETERNEL I L'HOMME ET SA CAVERNE Là-haut, là-bas, au fin fond de la voûte étoilée, scintille une petite planète que les astronomes découvriront peut-être un beau jour, mais dont rien ne m'a jamais laissé croire qu'ils l'eussent encore découverte, bien qu'ils soient debout dessus ; et le propre de cette planète est d'engendrer de bizarres végétaux, et des animaux sin- guliers, par exemple des savants... C'est ainsi que débuterait mon Histoire uni- verselle, s'il me fallait sacrifier à la mode courante des considérations astrono- miques. Au lieu d'insister sur la distance 1 2 L'HOMME ÉTERNEL bien connue de la terre au soleil, je me plairais à prendre tout le recul possible, et à contempler notre globe terrestre, tel qu'il apparaîtrait aux regards de quelque observateur inhumain. Mais ce n'est pas là, ma foi, le point de vue rêvé pour con- sidérer l'humanité, et je trouve, d'autre part, assez plat d'abuser de l'astronomie pour accabler l'esprit sous une avalanche de chiffres ; faute de pouvoir rendre à notre terre le prestige d'une planète mys- térieuse, je ne condescendrai point à la ravaler au rang de planète négligeable. Aussi bien, le fond de la question, c'est que nous n'avons aucun moyen de savoir que c'est une planète, au sens, veux-je dire, où nous savons que c'est l'endroit où nous sommes, et même un assez drôle d'endroit. Pour descendre du sublime au plaisant, j'aimerais placer ici l'une des premières aventures, ou mésaventures, de ma car- L'HOMME ÉTERNEL 3 rière de journaliste. A propos d'un livre de Grant Allen sur l'Évolution de l'idée de Dieu, je m'étais permis d'avancer qu'il eût été infiniment plus intéressant d'avoir un livre de Dieu sur l'Evolution de l'idée de Grant Allen. Et je ne me souviens jamais sans un brin de gaieté de l'air grave et attristé dont mon rédacteur en chef attira mon attention sur le tour blasphématoire de cette remarque, lui qui ne voyait rien à reprendre dans un titre qui voulait dire tout bonnement : « Voici comment les gens se sont fourré en tête qu'il y avait un Dieu. » Mon obser- vation était pénétrée au contraire de cette pieuse révérence qui se plaît à confesser la divine Providence jusqu'en ses mani- festations les plus obscures et les moins explicables. Mais tout cela est du domaine de la phonétique; j'avais eu le tort, au rebours de mon auteur, de placer en tête le mot le plus court et nul n'ignore que 4 L'HOMME ETERNEL certains monosyllabes tels que Dieu, Roi, Loi, font sur d'aucuns l'effet d'un chif- fon rouge : au lieu qu'un terme majes- tueux dans le goût d'Évolution vous tient volontiers quitte du reste, surtout si l'on est aussi surmené que l'était mon supé- rieur hiérarchique. Cet incident m'est demeuré comme une manière de parabole ; il explique pour- quoi la plupart des histoires générales commencent par ce mot d'évolution, flan- qué d'un commentaire souvent dépourvu de concision ; c'est que le mot et l'idée elle-même impliquent quelque chose de lent, de graduel et de rassurant ; leur seul défaut est d'être, en l'occurrence, d'un maigre secours. S'il n'est pas facile de se représenter comment rien est devenu quelque chose, il ne l'est guère plus de concevoir comment quelque chose a pu se muer en quelque chose d'autre ; autant vaut, du point de vue logique, dire d'em- L'HOMME ÉTERNEL 5 blée : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », quand bien même on penserait à part soi : « Au commence- ment une force inexplicable procéda à des opérations invérifiables. » Car Dieu est un nom essentiellement mystérieux, et l'homme sait qu'il aurait autant de peine à s'imaginer la création qu'à la pro- voquer ; tandis que le mot d'évolution a une fâcheuse tendance à se substituer à celui d' explication, et beaucoup de gens considèrent qu'il les dispense de réflé- chir plus avant, de même qu'ils vivent dans la vague illusion d'avoir lu l'Ori- gine des espèces. Cette confusion naît elle-même de la notion fallacieuse d'une transition lente et continue comme la crue insensible d'un fleuve ; illogisme au surplus, vu que plus ou moins de rapidité ne fait rien à l'af- faire, et M. Homais a toutes les chances de rester aussi pantois devant un miracle 6 L'HOMME ÉTERNEL lent que devant un miracle soudain. Certes, il eût été curieux, pour ne pas dire plus, de voir Circé métamorphoser d'un coup de baguette les compagnons d'Ulysse ; mais je me demande s'il ne serait pas moins rassurant encore de voir un lieute- nant de vaisseaux de nos amis ressembler de jour en jour davantage à un porc, jus- qu'à arborer en fin de compte un groin et quatre pieds fourchus ; aux lieu et place de la sorcière chevauchant son balai dans l'ouragan, le vieux monsieur qui flâne- rait dignement, les mains dans les poches, à la hauteur d'un quatrième, ne laisserait pas de susciter, lui aussi, quelques points d'interrogation. Néanmoins, le matéria- lisme historique semble ne pouvoir se défaire de cette curieuse erreur que la difficulté est tournée, voire résolue, si l'on met tout sur le compte du temps : ainsi rassure-t-on une vieille dame qui sort en auto pour la première fois en L'HOMME ÉTERNEL 7 lui certifiant que l'on va tout douce- ment. M. H. G. Wells est prophète, et ne s'en cache pas ; il le fut en l'espèce à ses propres dépens ; sa première féerie rétorque en effet victorieusement son dernier volume d'histoire, et la « machine à explorer le temps » détruit sans pitié tous les récon- forts tirés de la relativité du temps. Dans ce cauchemar sublime, le héros voit les arbres jaillir comme de vertes fusées, la verdure dévorer l'espace comme un in- cendie, et le soleil tracer un sillage de feu de l'orient à l'occident ; toutes choses qui ne lui semblent pas moins naturelles pour aller vite, et qui ne nous paraissent pas moins surnaturelles pour aller lentement. C'est le pourquoi qui fait toute la ques- tion ; et quiconque l'entend comme il faut m'accordera qu'elle n'est et ne peut être que d'ordre, sinon religieux, du moins philosophique et métaphysique. On ne 8 L'HOMME ÉTERNEL change pas le sujet d'un film en tournant la manivelle pianissimo. Une simplicité primitive, voilà ce que demandent les problèmes de la vie primi- tive. Je voudrais que mes lecteurs eussent la bonne grâce de faire avec moi l'expé- rience de cette vision simple et directe des choses premières qui n'est pas stupi- dité, mais lucidité et s'attache aux faits plutôt qu'aux mots. Un petit tour sur la fameuse machine nous aiderait peut- être à fixer ce que nous savons déjà : que l'herbe pousse, que les arbres gran- dissent... L'air est plein de prodiges ailés, et dans les vertes profondeurs de la mer se meuvent des monstres silencieux ; d'étranges créatures marchent à quatre pattes, et la plus étrange de toutes se tient sur deux pieds : voilà des faits, auprès desquels atomes, évolution, voire même système solaire ne sont qu'hypo- thèse. Puisque nous parlons histoire, et L'HOMME ÉTERNEL 9 non philosophie, notons simplement au passage que nul parmi les philosophes ne conteste le mystère qui enveloppe les deux transitions primordiales : l'origine de l'univers et l'origine de la vie ; ils ont pour la plupart le bon esprit d'y joindre le mystère de l'origine de l'homme, ce troisième pont jeté sur un troisième abîme avec l'éveil de la raison et de la volonté. Car l'homme nous représente, non point une évolution, mais une révolution, et, si nous essayons de le traiter en mammifère qui marcherait sur ses pattes de derrière, c'est alors qu'il nous étonnera bien plus que s'il marchait sur la tête. Un exemple montre combien l'enfance du monde exige, pour être comprise, de candeur enfantine, et combien l'âge qua- ternaire résiste à l'esprit « primaire ». Tout le monde a remarqué que nos romans et nos journaux retentissent des faits et gestes d'un personnage universellement, 10 L'HOMME ÉTERNEL sinon sympathiquement, connu sous le so- briquet d'Homme des cavernes. Sa vie pri- vée nous est aussi familière que ses actes publics ; sa « mentalité » est une des pierres angulaires de la psychologie mé- dicale et littéraire. Le plus clair de son temps, je me le suis laissé dire, se pas- sait à rouer sa femme de coups de trique et à traiter le beau sexe en général selon la manière forte. Je n'ai jamais pu sa- voir, à vrai dire, sur quelles pièces se fonde cette fâcheuse opinion et, faute, sans doute, d'avoir parcouru les mé- uploads/Geographie/ gilbert-keith-chesterton-l-x27-homme-eternel.pdf
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- Publié le Jul 22, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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