Histoire, économie et société L'appropriation de l'espace urbain : la formation
Histoire, économie et société L'appropriation de l'espace urbain : la formation de la valeur dans la ville moderne (XVIe-XIXe siècles) Bernard Lepetit Citer ce document / Cite this document : Lepetit Bernard. L'appropriation de l'espace urbain : la formation de la valeur dans la ville moderne (XVIe-XIXe siècles). In: Histoire, économie et société, 1994, 13ᵉ année, n°3. Lectures de la ville (XVe-XXe siècle) pp. 551-559; doi : https://doi.org/10.3406/hes.1994.1713 https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1994_num_13_3_1713 Fichier pdf généré le 05/06/2018 Abstract Abstract « Soil and space : enigmas for the economist ». This opinion from a respected present-day analyst of rent provides the starting point for this article. It actually takes the form not of empirical observations but an examination of some of the economic, anthropological and sociological models employed to explain the morphogenesis of urban value. The conclusion reached is that no immediately determinant relation, in whatever direction, can be established between urban society and its spatial context : although contemporary with each other their evolution occurs in different timescales. Adoption of a properly historical perspective is found to be an effective safeguard against simplistic determinisms and circular analyses. Résumé Résumé « Le sol et l'espace : des énigmes pour les économistes ». Cette appréciation de l'un des bons analystes contemporains de la rente sert de point de départ à cet article. Le lecteur n'y trouvera pas véritablement d'observations empiriques, mais l'étude de quelques uns des modèles économique, anthropologique et sociologique qui permettent de penser la morphogénèse de la valeur urbaine. Conclusion ? Quel qu'en soit le sens, aucune liaison de détermination immédiate ne peut être établie entre la société citadine et son espace. Contemporains, ils évoluent pourtant selon des temporalités différentes. Pour éviter les déterminismes simplificateurs et les analyses frappées de circularité, la médiation du temps de l'histoire s'impose analyti- quement comme efficiente. L'APPROPRIATION DE L'ESPACE URBAIN La formation de la valeur dans la ville moderne (XVP-XIXe siècles) par Bernard LEPETIT Résumé « Le sol et l'espace : des énigmes pour les économistes ». Cette appréciation de l'un des bons analystes contemporains de la rente sert de point de départ à cet article. Le lecteur n'y trouvera pas véritablement d'observations empiriques, mais l'étude de quelques uns des modèles économique, anthropologique et sociologique qui permettent de penser la morphogénèse de la valeur urbaine. Conclusion ? Quel qu'en soit le sens, aucune liaison de détermination immédiate ne peut être établie entre la société citadine et son espace. Contemporains, ils évoluent pourtant selon des temporalités différentes. Pour éviter les déterminismes simplificateurs et les analyses frappées de circularité, la médiation du temps de l'histoire s'impose analyti- quement comme efficiente. Abstract « Soil and space : enigmas for the economist ». This opinion from a respected present-day analyst of rent provides the starting point for this article. It actually takes the form not of empirical observations but an examination of some of the economic, anthropological and sociological models employed to explain the morphogenesis of urban value. The conclusion reached is that no immediately determinant relation, in whatever direction, can be established between urban society and its spatial context : although contemporary with each other their evolution occurs in different timescales. Adoption of a properly historical perspective is found to be an effective safeguard against simplistic determinisms and circular analyses. Consacrant, voici plus de dix ans, un article à l'analyse de la rente foncière urbaine, Jean- Louis Guigou, qui achevait alors un grand livre consacré aux théories de la rente depuis le milieu du XVIIe siècle qui fait encore référence, choisissait pour titre « le sol et l'espace : des énigmes pour les économistes ». Il y proposait de retenir comme « niveau pertinent d'investigation » non pas l'individu isolé doté de rationalité économique ou les classes sociales engagées dans des rapports de lutte, mais des familles qui cherchent à se pérenniser et des groupes sociaux territorialisés confrontés à la gestion de leur espace social (1). L'absolue contemporanéi- té de l'analyse, et l'absence consécutive de toute prise en compte de la durée dans laquelle s'inscrit tout phénomène urbain laissait opaque une partie du processus. C'est de ce point que je souhaiterais repartir. I - VENISE, VILLE NÉO-CLASSIQUE ? Je partirai d'un exemple, choisi pour la qualité de la mise en œuvre d'une documentation particulièrement adaptée à la question qui m'occupe. Un soir de novembre 1580, l'ambassadeur de France Ferrier, dînant avec Montaigne l'expliquait : « la ville de Venise valait quinze cent mille écus de rente ». Il ne faut pas comprendre cette appréciation comme une métaphore, mais comme la reconnaissance d'un fait. A Venise, au XVIe siècle, le territoire urbain est un lieu de formation et d'accumulation de la valeur (2). Toutes les pratiques sociales confirment cet état de 552 Histoire Économie et Société choses. Lorsque la pression démographique les y autorise, les propriétaires profitent de l'exiguïté des espaces disponibles pour spéculer à la hausse sur les loyers, accroissant ainsi le montant d'une rente d'ailleurs inégale selon les quartiers. La géographie contrastée du prexio e valuta des immeubles vénitiens est pensée et décrite dans une série d'oppositions binaires : selon qu'elles sont situées près ou loin des piazze, selon qu'elles bordent ou non un axe majeur de la circulation locale, selon qu'elles ouvrent ou non sur une rue ou un canal plus large et lumineux, les maisons sont plus ou moins appréciées. La politique fiscale du gouvernement de Venise, qui trouve dans la rente urbaine l'une de ses sources de revenus, permet aujourd'hui de mesurer et de cartographier ces dénivellations de la surface économique. La perception de la décima est fondée sur la rente locative que les propriétaires déclarent percevoir sur leurs terrains et sur leurs maisons. Les opérations régulières de vérification et de mise à jour des situations fiscales fournissent ainsi tous les éléments pour une appréciation chiffrée de cette ancienne géographie de la rente et de la distribution socio-fonctionnelle qui lui correspond : une série de cartes, échelonnées entre 1537 et 1740, permettent aujourd'hui de les visualiser à des échelles différentes de celles auxquelles les contemporains les apercevaient. A l'échelle de la ville, une dorsale de valeurs élevées court du Rialto à San Marco où se concentrent à la fois les activités les plus lucratives et les demeures patriciennes. De part et d'autre de ce centre urbain étiré, les valeurs diminuent progressivement vers les périphéries de Canareggio, de l'arsenal ou du canal de la Giudecca ; là s'associent l'habitat populaire et la production manufacturière. La modernité d'une telle figure est ce qui frappe d'abord. Quatre siècles plus tard, en 1925,William Burgess publie la carte de l'organisation sociale et morphologique de Chicago en la faisant précéder du schéma théorique qui fait de la croissance urbaine le principe explicatif d'une géographie semblable, organisée de manière concentrique à partir du centre des affaires (3). Toute la théorie de la rente foncière urbaine, au XXe siècle, dessine des schémas annulaires de ce type. La rationalité économique les commande. L'analyse théorique néo-classique des mécanismes d'affectation des sols par le marché permet de les construire. Les dénivellations de l'espace urbain y résultent d'une double inégalité : celle des usages du sol, qui n'ont pas les mêmes avantages relatifs à occuper une situation privilégiée ; celle des usagers, qui ne disposent pas des mêmes capacités monétaires pour occuper les emplacements les plus convoités. Dans le cadre d'une concurrence parfaite entre les différents consommateurs d'espace urbain, les prix résultent de l'arbitrage réalisé au même moment par chacun, sous contrainte des ressources budgétaires dont il dispose, entre la quantité d'espace à laquelle il peut accéder et la distance au centre qui y correspond. Dans une mise aux enchères généralisée de l'espace de la ville, l'usage revient en chaque lieu au plus offrant. Parce que c'est au centre que se situent à la fois l'offre la plus limitée et (pour des motifs d'accessibilité) la demande la plus rigide, alors qu'offre et demande deviennent plus élastiques au fur et à mesure qu'on s'en éloigne, la géographie des prix présente en ville une structure annulaire. Monde parfait : chacun occupe le lieu qui maximise les avantages économiques que la ville lui apporte, et chaque lieu est utilisé au mieux. Un équilibre résulte de cette adéquation parfaite entre les dénivellations sociales et les dénivellations de la valeur de l'espace urbain. Dans la ville modèle, la morphologie économique de l'agglomération et sa structure sociale se donnent à lire ensemble, et décrire l'une c'est comprendre l'autre. II - LE COMPORTEMENT DES ACTEURS Loin de rassurer, la conformité du tableau vénitien aux modèles théoriques inquiète. Il déçoit doublement l'attente d'une explication historique. D'une part, ce système à l'équilibre n'incorpore pas le temps : à l'origine, sa mise en place est le produit d'une équilibration instantanée réalisée Appropriation de l'espace urbain 553 au moment d'une mise aux enchères fondatrice fictive ; par la suite, la loi des grands nombres et la compensation statistique des prix fixés dans la multitude des transactions particulières empêchent que la carte des valeurs foncières puisse s'écarter durablement de l'équilibre premier. Sauf choc exogène (l'inondation des quartiers riches ou la uploads/Geographie/ hes-0752-5702-1994-num-13-3-1713.pdf
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- Publié le Mar 16, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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