1 L’incidence du rapport servile sur le regard intersubjectif entre Arabes et N

1 L’incidence du rapport servile sur le regard intersubjectif entre Arabes et Noirs Africains par Bakary Sambe* Groupe de Recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), CNRS Université Lumière, Lyon 2. Research Fellow ISMC –Institute for the Study of Muslim Civilisations –Aga Khan University (International) Londres – United Kingdon Pour l'Africain musulman, l'homme arabe est le symbole du « bon croyant ». A l'origine de cette perception, l'étroite relation entre la langue arabe et le texte coranique, référence première de la religion musulmane. Néanmoins, d'autres explications sont à chercher dans le mode et les différentes étapes de l’islamisation de la partie subsaharienne du continent. Les Arabes (ou arabo-berbères ?) y ont joué un rôle important qui débuta avec le commerce transsaharien et se poursuivit durant les siècles d'introduction de la religion musulmane qui en font encore les privilégiés naturels pour le leadership du monde musulman. Culturellement dominants, ils bénéficient donc du prestige linguistique et de la primauté historique, malgré leur minorité numérique. En effet, l'Egypte, pays arabe le plus peuplé, est le huitième pays musulman en nombre de fidèles derrière l'Indonésie, le Bangladesh, l'Inde, le Pakistan, l'Iran, la Turquie et le Nigeria. Et les peuples arabes ne représentent que le cinquième de l'ensemble musulman. Le leadership arabe dans le monde musulman a donc d'autres explications. Comme le dit Pascal Bonnefous(1), «diffuser le message qui aboutit aux conversions fait avancer, du même pas que la croyance, un mode de vie et, pour ainsi dire, une vague culturelle qui, tout en épousant les contours identitaires n'en submerge pas moins le paysage social et le relie à un autre où elle s'est formée» (2). Certes, les peuples ayant embrassé l'Islam gardent des spécificités culturelles ineffaçables malgré l'empreinte d’une religion dont la pratique touche tous les domaines de la vie sociale. Même alors, P. Bonnefous soutient que « les peuples qui professent la foi musulmane véhiculent, presque malgré eux (?), des valeurs nées et exaltées sur la péninsule Arabique, partie intégrante et éminente du monde sémitique »(3). Et l'acculturation de nouveaux «assujettis» ou «convertis» reste une constante de tous les brassages civilisationnels. Au-delà de cette apparente et relative symbiose occasionnée par le partage d’une même religion, les rapports entre Arabes et Africains sont caractérisés par la persistance de préjugés. Les Arabes africains se trouvent eux-mêmes quelques fois habités par une déchirure culturelle lorsqu’il s’agit d’assumer leur africanité et oscillent entre leur appartenance à la « oumma » et leur identité propre. Cependant, un retour sur le passé commun aux deux rives du Sahara peut constituer une ébauche du nécessaire dialogue interculturel entre Arabes et Noirs africains. Ce qui interroge le choc des nationalismes entre négritude d’une part et arabité de l’autre. C’est sur ces différents aspects des rapports arabo-africains que nous axerons notre réflexion. 2 I- Les Noirs africains dans l’imaginaire arabe Sur un plan linguistique, l'Africain est connu chez les Arabes par différents termes au cours de l'Histoire. Il est plutôt assimilé au «noir» vu la délimitation géographique déjà reconnue par Ibn Khaldûn et encore d'usage chez les géographes modernes. Le « bilâd as-Sûdân »(4), pays des Noirs, est le domaine habité par les négro-africains, dénommés dans les différents recueils d'historiens arabes «Sûdân». Synonyme, on retrouve le terme de «zanj» dès l'époque des Abbassides et même à l'époque anté-islamique où la légende de 'Antara Ibn Šaddâd animait les chroniques. Mais comme toute vision par autrui, celle des Africains par les Arabes sera, pendant très longtemps, marquée par une subjectivité notoire à l’origine de préjugés raciaux, voire racistes, encore persistants dans le monde arabe. Déjà chez Ibn Khaldûn, esprit pourtant éclairé de son siècle, le terme «wahšiyyîn», ou «mutawahhišîn» (sauvages), était d'usage pour désigner les populations noires en général. La vision arabe de l'Afrique et de l'Africain restera longtemps tributaire de ces préjugés. L'islamisation du continent, en partie, par les Arabes atténuera cette position mais elle ne signera pas la fin d'idées reçues qui ont la vie dure. Il est vrai que certains pays, comme l’Algérie, alors « révolutionnaire », avaient essayé de rompre avec cette image de noir africain en initiant une véritable promotion de la culture sub-saharienne. C’était au moment où l’Algérie se considérait comme le «carrefour » des mouvements de libération des nations en lutte pour leur souveraineté. L’engouement entourant les manifestations du Premier festival culturel Panafricain en 1968, à Alger, témoigne de la volonté de dépasser ces préjugés, au Maghreb. A l’époque, l’africanité du Maghreb représentait un enjeu politique majeur. Rappelons que l’hebdomadaire officiel du FLN s’appelait « Révolution africaine « et ses mots d’ordre révolutionnaires passaient par une sensibilisation à l’unité de l’Afrique, malgré ses diversités. Mais aujourd’hui encore subsistent de nombreux préjugés malgré l’islamisation des régions africaines alors visées dans les écrits. Beaucoup d’éléments porteraient à croire que la mémoire collective dans le monde arabe a du mal à rompre avec l’imaginaire populaire et le caractère servile qu’il prête aux Noirs. Il n’est pas rare de rencontrer des termes arabes désignant l’homme noir qui renvoient à son caractère servile. Le terme « ‘abd » (esclave) ressurgit parfois pour exprimer certaines situations ou choses ayant trait aux Noirs (5), même s’il tend à disparaître du langage conventionnel. Il sera très difficile d’effacer une réalité historique ou de révolutionner les mentalités dans un Maghreb où l’imaginaire populaire s’était forgé sa vision du Noir, fortement marquée par des stéréotypes. Ainsi au Maroc, pays du Maghreb pourtant considéré comme le plus attaché à ce qu’ Hassan II appelait ses « racines historiques africaines » l’image qu’on se faisait du Noir semblait, au niveau des représentations, rejoindre la tendance générale dans le monde arabe. La condition servile à laquelle était associé le statut social du Noir était restée dominante dans ces mêmes représentations. La tradition de posséder des servant(e)s (‘abîd, pluriel de ‘abd) dans les « grandes maisons «, était encore vivace. On rencontrait, aussi, des Noirs esclaves dans les oasis de la Tunisie ou jusque récemment en Mauritanie où la lutte politique des populations négro-africaines est assimilée à un combat pour leur affranchissement. Partout au Maghreb, il y eut cette croyance en l’existence d’une appartenance de toutes ces personnes « serviles » à une lignée d’esclaves devant effectuer les travaux pénibles. Cette condition était incarnée par deux figures omniprésentes dans l’environnement culturel et social maghrébin : celles de « dada », servante, nounou noire, chargée des tâches ménagères et du « hertani » (de l’arabe « harth », culture de la terre). Ce dernier terme désignait une catégorie sociale inférieure qu’on différenciait des castes nobles notamment, en Mauritanie, pays très esclavagiste, malgré les efforts gouvernementaux du début des années 80. En tout cas, dans les cultures locales et populaires du Maghreb, l’image du Noir restait associée à une condition inférieure comme en témoignent des chansons célèbres des années 50-60 telles que «Al-kahla « (la Noire) de la figure emblématique marocaine, Houssein Slaoui. 3 Bien qu’une certaine sympathie même paternaliste entoure quelques fois la figure du Noir dans la culture populaire, le terme le « wsîf » utilisé, surtout en Tunisie, pour désigner des serviteurs noirs est sémantiquement très proche de celui déjà cité de « hertani ». On trouvait les « wasfân » (pl. de wsîf) comme portiers des mausolées de saints, ce qui faisait parfois d’eux des figures mystiques, intermédiaires entre le monde des saints et des profanes. D’où la tradition de solliciter des personnes de couleur noire pour exorciser des possédés, tels que dans les rites Gnâwa au Maroc. Mais le statut des Noirs est toujours entouré d’une certaine ambiguïté, de manière très complexe, entre le péjoratif et le mystique. Ainsi, le « wsîf », équivalent du « gnâwî » marocain, était une des figures de l’imaginaire populaire : trouble, car lié dans les esprits aux superstitions qui l’associaient aux djinns. Seules dans le monde arabe, deux figures noires ou supposées comme telles arrivent à évoquer, respectivement, l’héroïsme et la sainteté : ‘Antara Ibn Šaddâd et Bilâl. (6) Le premier, héro préislamique, doit son statut à ses prouesses guerrières malgré les considérations « négatives » qui « entachèrent » sa généalogie. Le second Bilâl ou sayyidunâ Bilâl, chez les Musulmans, fut le muezzin du Prophète Muhammad. Malgré le rôle important qu’il jouera sur le plan religieux, il reste très loin de l’aura qui entoure d’autres Sahâba (Compagnons du Prophète). A titre d’exemple, il n’est cité dans aucun « hadîth » (parole attribuée au Prophète) comme rapporteur, bien que faisant partie de l’environnement quotidien et immédiat de Muhammad. Certains collègues du monde arabe m’ont objecté que tous les compagnons n’étaient pas rapporteurs de « hawadîth » (pl. de hadîth). Cependant, quelques témoignages montrent l’attachement du Prophète à ce personnage qu’il aurait défendu de quelques actes ou paroles de nature raciste provenant de ses contemporains. Même s’il ne s’agit pas toujours d’un racisme dans son sens moderne, l’image du Noir a beaucoup souffert de ce poids historique. Ce fait est vu par certains intellectuels maghrébins, non pas comme une organisation ségrégative des places dans la société en fonction de la couleur uploads/Geographie/ incidence-rapport-servile.pdf

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