Revue internationale d’éducation de Sèvres 70 | décembre 2015 Les langues d’ens
Revue internationale d’éducation de Sèvres 70 | décembre 2015 Les langues d’enseignement, un enjeu politique L’école algérienne au prisme des langues de scolarisation Schooling in Algeria through the prism of languages of instruction La escuela argelina en el prisma de las lenguas de escolarización Khaoula Taleb Ibrahimi Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/ries/4493 DOI : 10.4000/ries.4493 ISSN : 2261-4265 Éditeur France Education international Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2015 Pagination : 53-63 ISSN : 1254-4590 Référence électronique Khaoula Taleb Ibrahimi, « L’école algérienne au prisme des langues de scolarisation », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 70 | décembre 2015, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 01 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/ries/4493 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/ries.4493 © Tous droits réservés N° 70 - décembre 2015 53 dossier L’école algérienne au prisme des langues de scolarisation Khaoula Taleb Ibrahimi Université d’Alger 2 Il peut paraître paradoxal, eu égard à l’effort colossal déployé par l’Algérie depuis son accès à l’indépendance en 1962 pour assurer une scolarisation massive et ouverte à tous les petits Algériens1, que les performances de l’école algérienne soient aussi médiocres. L’indicateur le plus éloquent de cette faiblesse des performances est le taux de réussite à l’examen qui clôt la formation scolaire, le baccalauréat, qui fluctue pour le plus élevé de 59 % à environ 40 % pour le moins élevé, sur les deux dernières décennies. Sur 100 élèves qui entrent à l’école, seule la moitié arrive à boucler son cursus scolaire. Ces bacheliers, toutes filières confondues, entrent à l’université avec des difficultés notoires d’expression écrite en langue arabe, langue première de scolarisation, et des lacunes immenses dans la maîtrise de la langue française, première langue étrangère enseignée à l’école mais langue d’enseignement des disciplines scientifiques et technologiques à l’université. Sans vouloir occulter les nombreux autres facteurs2 qui pourraient expliquer ce constat, il reste que la problématique des langues de scolarisation, de leur maîtrise en tant que langues enseignées et de leur implication dans l’apprentissage des autres disciplines constitue le nœud gordien qui focalise l’intérêt des spécialistes mais aussi de l’opinion publique, tant la question des langues est éminemment politique. Le choix de la ou des langue(s) d’enseignement reste une question centrale pour les décideurs et pour les différents acteurs sociaux concernés : élites, familles, médias. Traversé par une constante têtue, celle de l’affirmation identitaire, ce choix a suscité, à chaque étape de sa mise en œuvre, des controverses passionnées : certaines questions fondamentales liées à l’histoire et au devenir de la nation ne sont toujours pas réglées. En 1962, le jeune État indépendant se devait de relever le défi de réussir la première rentrée scolaire de la jeune République en répondant à l’espoir des familles de voir des centaines de milliers de petits Algériens franchir, pour la première fois, les portes d’un établissement scolaire ; mais il lui fallait aussi assurer le passage le plus serein possible d’une école pensée par la puissance 1. Les chiffres de la rentrée de septembre 2015 sont éloquents : 8 112 475 élèves encadrés par 400 000 enseignants. Avec 746 643 907 000 dinars algériens, le budget de l’Éducation est le deuxième budget le plus important, après celui de la Défense. 2. La surcharge des classes, l’inégale répartition géographique de l’encadrement et la faiblesse de son niveau de formation. revue internationale d’éducation - S È V R E S 54 coloniale à une école algérienne qui permette d’asseoir une souveraineté retrouvée et tous les attributs de l’identité nationale. Et, dans le même temps, poser les jalons d’une école moderne qui ferait accéder les générations de l’indépendance au savoir, afin d’assurer la modernisation de leur société. Nous allons dérouler le fil du passage d’une école exclusivement francophone, dans laquelle la langue arabe était enseignée uniquement en tant que langue, à une école exclusivement arabophone, dans laquelle la langue française n’est plus désormais enseignée qu’en tant que première langue étrangère, en passant par une phase intermédiaire de transition de quelques années, celle d’une école bilingue, dans laquelle les deux langues étaient les langues de scolarisation. Dans ce cheminement, l’État est l’acteur principal alors même que, à presque toutes les étapes du processus, il s’est vu chahuter par des résistances d’acteurs sociaux essentiellement privés. 1962-1965 : les débuts de l’École algérienne Au cours des trois premières années de l’indépendance, tout en maintenant le mode de structuration de l’école hérité de l’époque coloniale, des décisions sont prises pour redonner à la langue arabe la place qui doit être la sienne, consacrée par la Constitution comme seule langue nationale3 et officielle du pays. Elle est désormais enseignée à l’école sans toutefois être la langue de scolarisation. Il n’était pas possible en effet de couvrir les besoins en enseignants capables non seulement d’enseigner la langue mais surtout d’enseigner les autres disciplines dans cette langue. Face à ce déficit en encadrement4, il fallut faire appel tout à la fois à l’ancienne puissance coloniale et à des pays arabes frères pour l’envoi d’enseignants coopérants. Des centaines d’enseignants français, égyptiens, syriens et irakiens ont soutenu l’effort énorme de scolarisation de l’Algérie. Cette double coopération va contribuer à asseoir dans l’opinion une image contrastée des deux catégories de coopérants issus de France et des pays arabes, et par là même la dualité des représentations opposant les deux formations culturelles, les arabisants et les francisants, dualité qui a, jusqu’à aujourd’hui, empêché la constitution d’une intelligentsia nationale et fragmenté durablement l’espace culturel du pays. Cette fragmentation est à relier aux représentations contrastées des deux langues dans la société5. À cette époque, les différentes institutions scolaires françaises sont maintenues dans les grandes villes, accueillant 3. À tel point que cette appellation va supplanter la dénomination « langue arabe ». 4. Le premier recensement de la population, réalisé en 1966, le seul qui fasse référence à la formation en langues, le montre bien. 5. Nous avons amplement développé cette question dans notre ouvrage paru en 1995, ainsi que dans l’article paru dans Maghreb/Machrek de la même année. N° 70 - décembre 2015 55 dossier les enfants de toutes nationalités. Par ailleurs, certaines institutions religieuses chrétiennes continuent à posséder des établissements d’enseignement ouverts aux enfants algériens sans distinction de confession. Mais le processus d’arabisation compris comme le recouvrement par la langue arabe de sa place entière dans l’État, l’École et la société va s’intensifier et s’accélérer avec l’avènement de Houari Boumediene en 1965 et changer durablement la configuration scolaire du pays. 1965-1976 : arabisation et algérianisation progressive de l’École C’est au cours de cette décennie que vont être promulgués presque tous les textes régissant la politique d’arabisation de plusieurs secteurs de l’État, de l’administration et de l’école. Sans entrer dans le détail de cet arsenal juridique (voir Taleb Ibrahimi, 1995), nous nous contenterons de citer quelques décisions emblématiques : ouverture à la faculté de droit d’une filière en langue arabe en 1967 ; promulgation de l’ordonnance de 1968 qui rend obligatoire la connaissance de la langue arabe pour tous les fonctionnaires. En 1971, les enseignements d’histoire et de philosophie dans les filières littéraires au lycée sont complètement arabisés. En 1976, la promulgation de la Charte nationale vient consacrer les trois principes de la politique algérienne dans tous les domaines : démocratisation, arabisation, algérianisation. Ils constituent le socle de l’École fondamentale qui devait être mise en place dès la rentrée de 1976. Ceci étant, entre 1965 et 1976, l’école algérienne a fonctionné d’une manière duale. Dans le primaire, si les trois premières années étaient complètement arabisées (la langue arabe est enseignée en tant que langue et est également la langue de scolarisation et d’enseignement des autres savoirs), les trois années suivantes se distribuent en fonction des deux langues d’enseignement (la langue arabe et la langue française introduite en tant que langue enseignée en troisième année primaire) selon le schéma suivant : un tiers des classes étaient entièrement arabisées et les deux tiers restants étaient bilingues, c’est-à-dire que toutes les matières scientifiques y étaient enseignées en français. Au collège, c’était quasiment le même schéma. Au lycée, l’arabisation va suivre le même cheminement, avec deux cursus complètement arabisés, à l’exception des mathématiques et de la géographie dans les filières littéraires, et selon le schéma des deux tiers dans les filières scientifiques. Toutefois, ce schéma des « deux tiers » n’a pu être maintenu en l’état, influencé qu’il était par les fluctuations des relations franco-algériennes et limité de plus en plus par l’insuffisance de l’encadrement francophone algérien, alors que la formation du corps enseignant en langue arabe s’est, elle, vu renforcée par la création des instituts technologiques de l’éducation. Le ministère a donc procédé à une plus large arabisation dépassant le tiers initialement prévu. revue internationale d’éducation - S È V R E S 56 1976-1989 : l’affirmation identitaire et l’avènement de l’école fondamentale En 1976, le ministre en charge de l’Éducation nationale, Abdelkrim Benmahmoud, présente le projet de réforme du système éducatif dans le cadre de l’école fondamentale6, enseignement général s’étendant sur neuf années, avec trois paliers de trois années, et reposant sur les uploads/Geographie/ khaoula-taleb-ibrahimi-l-x27-ecole-algerienne-au-prisme-des-langues-de-scolarisation.pdf
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- Publié le Oct 18, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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