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L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisateurs. C'est notre mission télécharger 1.92 Mb. titre L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisateurs. C'est notre mission page 3/37 date de publication 28.01.2017 taille 1.92 Mb. type Documentos m.20-bal.com > documents > Documentos 1 2 3 4 5 6 7 8 9 ... 37 Franchir la distance. Je suis arrivé à Douala quatorze ans plus tôt, en septembre 1957. Je rejoignais une équipe de cinq jésuites qui m'avaient précédé de quelques semaines. Nous devions prendre en charge un établissement d'enseignement catholique, le collège Libermann. Nous étions nouveaux dans le pays, sans aucune expérience de l'Afrique noire. J'avais derrière moi plusieurs années de vie religieuse passées à étudier les lettres et la philosophie, mais je n'étais pas encore prêtre. Deux ans plus tard je devais commencer l'apprentissage de la théologie. En attendant, il était convenu que je donnerais des cours de français et d'anglais aux élèves du collège. On m'y avait envoyé pour renforcer l'équipe, mais aussi parce que j'avais toujours manifesté le désir d'être missionnaire. Je dois encore mentionner une expérience marquante et encore toute fraîche, susceptible de faire comprendre l'état d'esprit qui était alors le mien : à cette époque la guerre battait son plein en Algérie. J'avais été rappelé en 1956 comme tous les jeunes gens de ma classe, et affecté à une unité de fusiliers marins qui opérait à la frontière algéro-marocaine. Je venais d'être démobilisé. J'avais encore les yeux remplis de visions dramatiques, d'autant plus douloureuses pour moi qu'autrefois j'avais passé deux années au Liban. La guerre m'avait bouleversé. Je n'évoquerai qu'une seule image qu'il m'est impossible d'oublier. Elle est significative : c'est celle d'un prisonnier berbère qui partagea notre existence dans le djebel pendant quelques semaines. Au lieu d'envoyer le prisonnier au centre des interrogatoires, nous avions réussi à le garder avec nous. Nous aidions cet homme à faire le mort, parce que nous le considérions comme tel. En effet, au cours d'une embuscade nocturne dressée le long d'un oued, tous les hommes de la section avaient tiré sur lui dans un tonnerre de feu, sous la lune. Ce Berbère qui était un paysan, forcé par les fellaghas à leur servir d'éclaireur, s'effondra avec son âne. À notre grande [25] surprise, il n'avait reçu qu'une balle dans le pied. Imprécision des tirs de nuit, coups volontairement déviés, miracle ? Nous eûmes pitié de lui et décidâmes qu'il était « mort ». Il ne parlait pas le français, nous ne parlions pas l'arabe. Nous le regardions : noble, impassible, tête rasée et pied plâtré, couvert de sa djellaba blanche. Il nous rendait notre regard. Cet homme inaccessible qui disparut bientôt, resta tout le temps de son séjour parmi nous à une distance insupportable que je m'engageai intérieurement à franchir. Je fus dorénavant obsédé par le besoin d'une « vraie »rencontre. * * * J'arrivai à Douala, quelques jours avant la rentrée scolaire, pénétré du désir de connaître le monde des élèves qui allaient m'être confiés. Il me semblait illusoire de prétendre leur enseigner ne serait-ce que la langue anglaise sans une approche culturelle préalable. Mon avenir dépendait de ces enfants qui allaient être mes premiers interlocuteurs au Cameroun. Je ne venais pas dans ce pays à titre provisoire, mais pour y demeurer une grande partie de ma vie missionnaire. C'est pourquoi j'allais être concerné par les moindres variations de nos rapports, les plus légères inflexions de leur confiance à mon égard. Un véritable temps d'épreuve commençait pour moi : le baromètre allait signaler d'étranges oscillations, dont j'ignorerais souvent les causes. Un écart imprévisible s'établirait entre eux et moi, non pas hostile comme celui que j'avais connu durant la guerre mais, à un certain niveau, tout aussi désespérant. Je souffrirais du subtil et continuel décalage entre l'image qu'ils me fourniraient d'eux-mêmes et leur personnalité indéchiffrable. Incontestablement l'architecture même du collège et son organisation étaient un écran entre nous. Rien de camerounais dans ce lieu, copie conforme d'un établissement français : deux bâtiments blancs à longue façade où sont rationnellement répartis dortoirs, classes, réfectoire, chambres des professeurs ; une chapelle, un préau et un terrain de football 7. Libermann est un collège qui paraît sale une partie de l'année durant laquelle de grands pans de ses murs se couvrent d'une moisissure noire. Quelques ornements évoquent la Colonie : tels ces lourds volets à manipulation verticale que l'on rabat à la manière de trappes dans un grand claquement [26] de tout l'édifice quand une pluie serrée tombe à l'oblique. Mais comment donc aurait-il fallu le construire, ce collège, pour recevoir deux cents jeunes gens appelés à préparer ensemble le brevet et le baccalauréat ? Structure oblige. Les programmes scolaires sont conformes à ceux de l'université de Bordeaux, maîtresse des sujets d'examen et de la correction des copies. Et nous venons à la rescousse d'un corps professoral en majorité français, qui enseigne ces programmes en langue française à des élèves venus de tout le Sud- Cameroun et dont la langue commune se trouve être, par la force des choses et de l'histoire contemporaine, le français. Bien sûr, j'aurais pu me contenter du dépaysement offert par la nature s'imposant jusqu'au cœur de la ville, malgré le bitume, le béton et toute l'énergie dépensée à la rendre tolérable. Signe brutal et muet d'un autre monde que le mien, qu'allait-elle me révéler ? Quatre mètres d'eau par an. Pluie d'apocalypse qui, lorsqu'elle n'est pas soulevée par le vent, tombe lourdement pendant des heures, parfois des jours, sans interruption. Une pluie chaude et apparemment débonnaire. Les enfants sortent pour se laver et danser sous son empire, mais ils rentrent bientôt et restent tapis chez eux, la pluie prenant, à la longue, l'allure menaçante d'un fléau. La végétation déborde. Dans la moindre fissure, une pousse surgit. * * * Je garde le souvenir de mon premier cours comme d'une petite distance franchie entre mes élèves de sixième et moi. Trente garçons figés au garde-à-vous m'interrogent des yeux. Je tarde à parler tant je suis impressionné par leur attitude. Ce que je dirai tombera comme des ordres. Je ne suis pas dupe de ce comportement guindé des jours de rentrée qui est partout le même. Mais ces élèves-là mettent une application peu ordinaire à m'écouter. J'en comprends la raison : ils ont quelque peine à me suivre parce qu'ils sont habitués à des instituteurs africains, et mon ton de voix les déroute. Pourtant leurs yeux vont bientôt s'allumer et pétiller, jusqu'à ce que l'accommodation soit générale. Toutefois, l'application « militaire » ne faiblira pas ; ils ne feront que se détendre et seulement un peu. Ils seront ces élèves studieux et patients dont tout professeur rêve. La faille : ils ne s'intéressent qu'au programme, qu'aux manuels, qu'aux examens à préparer. Mes tentatives pour les ouvrir à la lecture échoueront. Je suis seulement à leurs yeux, chargé de dispenser [27] un savoir, qui conduit à un diplôme. Le reste est hors du sujet. Chaque fois que je déborderai du programme, poliment ils me le feront sentir. C'est un premier avertissement. Je sens que les enfants ont des mobiles, obéissent à des lois inflexibles auxquelles ils entendent que je me plie, sans m'en révéler le contenu. Une ardeur aussi vive peut se comprendre dans le climat politique du Cameroun. D'abord colonie allemande, puis territoire sous mandat anglais et français après la guerre 14-18, le Cameroun se trouve encore sous tutelle en 1957. Mais l'indépendance est imminente et cela ne va pas sans tension. Une rébellion armée occupe la grande forêt aux portes de Douala. Des commandos surgissent en ville et créent un climat d'insécurité. Les élèves vibrent. Par exemple, ils aiment monter dans la fourgonnette du collège parce qu'elle porte à l'avant et en grosses lettres le nom de Libermann : ils entendent donner à ce terme le sens d'« homme libre », alors qu'il désigne tout simplement un célèbre missionnaire. Pour suivre les événements, les élèves ne se contentent pas de prêter l'oreille aux rumeurs des quartiers, ils lisent tous les journaux qui leur tombent sous la main ; en particulier le Monde - M. Beuve- Méry aurait été certainement surpris de se découvrir de jeunes lecteurs aussi appliqués. Au lieu de disperser leur attention, l'effervescence politique donne des raisons de travailler à ces jeunes collégiens. Même les plus jeunes pressentent qu'un pays libre aura besoin de nouveaux chefs, ingénieurs, techniciens, et surtout politiciens. Ils croient en l'efficacité de la parole... Ils rêvent, mais cela ne trouble pas leurs études. Aux périodes d'examen il nous faut rôder dans les dortoirs pour faire éteindre les lampes de poche avec lesquelles certains prolonge leur travail. Quant à nous qui venons d'arriver, ne nous sentant pas solidaires de la colonisation, nous communions avec nos élèves. Le souffle des libertés, les élans de nationalisme résonne à nos oreilles comme de vieux refrains inspirés par notre propre histoire. Ces enfants sont prêts à discuter indéfiniment sur ces thèmes sans nous livrer pour autant quoi que uploads/Geographie/ l-x27-acces-a-notre-travail-est-libre-et-gratuit-a-tous-les-utilisateurs-c-x27-est-notre-mission.pdf
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- Publié le Sep 27, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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