124 DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIV. SERMON AU PEUPLE. VAINE PROSPÉRITE DES MÉCHAN

124 DISCOURS SUR LE PSAUME CXXIV. SERMON AU PEUPLE. VAINE PROSPÉRITE DES MÉCHANTS, ET CONFIANCE DES JUSTES. Le Prophète veut nous détourner des prospérités d’ici-bas qui produisent l’enflure chez les uns, et découragent les autres qui se croient frustrés de toute récompense ; puis il attire notre attention sur l’homme au coeur droit, qui n’a d’autre volonté que celle de Dieu, ne critique point les desseins de Dieu sur le pauvre et sur le riche, met sa confiance en Dieu, et ne sera point ébranlé parce qu’il habite Jérusalem on la cité de Dieu. Cette cité est environnée de montagnes ou des hommes de Dieu, prophètes, apôtres, évangélistes, d’où nous vient le secours qu’elles-mêmes reçoivent de Dieu. Il est aussi d’autres montagnes qui ne sont que des écueils, qui ont en elles-mêmes une confiance précomptueuse et nous demandent la nôtre, tandis que les montagnes véritables déclinent cette confiance pour elles-mêmes, pour la reporter à Dieu, d’où leur vient la lumière et la rosée. Ces montagnes diront que le sceptre de l’impie ne sera point toujours sur l’héritage du juste, qu’il faut obéir à nos maîtres ici-bas comme le Christ s’est assujetti à ses ennemis, comme le médecin se fait le serviteur du malade. Tout cela passera, afin de ne point décourager les hommes au coeur droit. Quant à l’homme aux voies tortueuses, Dieu l’unit aux méchants, et ne donne qu’à Israël ou à celui qui voit Dieu cette paix qui est Dieu même. 1. Compté au nombre des cantiques des degrés (et afin de ne pas vous embarrasser l’esprit plus que je ne vous instruirais, je ne reviendrai pas sur ce titre , suffisamment expliqué), ce psaume nous apprend à monter, à élever nos âmes vers Dieu notre Seigneur, par l’élan de la charité et de la piété, à détourner nos regards de ces hommes qui jouissent ici-bas d’une félicité vaine qui les enfle et qui les séduit, qui n’entretient en eux que l’orgueil, qui glace leur coeur à l’égard de Dieu, l’endurcit à la rosée de la grâce et le rend stérile. La confiance avec laquelle ils trouvent auprès d’eux ce qui parait nécessaire à la vie, et même au-delà du nécessaire, les élève, et bien qu’ils soient à cause de leurs iniquités bien inférieurs aux autres hommes, ils se croient supérieurs à tous. Encore s’ils croyaient être comme les autres hommes ! Or, en considérant ces hommes, en s’arrêtant trop à les envisager, ceux mêmes qui servent le Seigneur sont dans le trouble et l’anxiété ; on dirait qu’ils ont perdu le prix du culte qu’ils rendent au Seigneur, quand ils se voient dans le labeur, dans l’indigence, dans les chagrins, dans la maladie, dans la souffrance , dans quelque nécessité, tandis qu’ils voient dans la force de la santé du corps, dans l’abondance des biens du temps, dans la prospérité de leurs proches, dans l’éclat de tous les honneurs, ceux qui non- seulement ne servent point Dieu, mais sont en guerre avec le reste des hommes. Voilà ce qu’ils considèrent, ce qui les trouble, ce qui leur suggère en eux-mêmes ce qui est dit ouvertement dans un autre psaume: « Comment « Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que les pécheurs et les méchants ont obtenu les richesses ». Et il continue : « C’est donc en vain que j’ai purifié 45 mon coeur, et lavé mes mains avec les innocents 1 ». Est-ce donc en vain que j’ai voulu mettre la justice dans mon coeur, vivre innocent au milieu des hommes, quand j’en vois d’autres, peu soucieux de l’innocence, jouir d’une telle prospérité , insulter aux hommes justes et accroître leur bonheur par de nouvelles iniquités ? 2. Mais qui donc parlait ainsi dans le psaume? L’homme dont le coeur n’était point encore droit. Car c’est ainsi que commence le psaume auquel j’ai emprunté cette citation, et non celui que j’entreprends de vous exposer aujourd’hui, mais celui où il est dit « Comment Dieu le sait-il, et le Très-Haut en a-t-il connaissance? Voilà que les pécheurs et les méchants du monde ont obtenu des richesses. Est-ce donc en vain que j’ai mis la u justice dans mon coeur, et que j’ai lavé mes « mains parmi les innocents? » Ce psaume donc où vous voyez l’âme en péril, où vous la voyez chancelante, commence ainsi: « Combien est bon le Dieu d’Israël pour les hommes qui ont le coeur droit ! Pour moi, mes pieds se sont presque égarés, mes pas ont presque chancelé ». Pourquoi? « Parce que j’ai été pris de jalousie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent 2 ». Le Prophète nous dit donc que ses pieds ont été ébranlés, que sa marche chancelante a presque abouti à une chute qui l’eût séparé de Dieu, parce qu’il s’est arrêté à considérer la prospérité des méchants, qu’il les a vus dans la paix, et lui dans la misère. Mais quand il parle ainsi, il a déjà échappé au péril, déjà son coeur s’est redressé pour s’attacher à Dieu, il nous parle d’un danger qu’il a couru. Donc « il est bon le Dieu d’Israël ». Mais pour qui? « Pour les hommes au coeur droit ». Quels sont les hommes au coeur droit? Les hommes qui ne critiquent point le Seigneur. Quels sont les hommes au coeur droit? Ceux qui règlent leur volonté sur celle de Dieu, et ne forcent point celle de Dieu à se courber sous la leur. C’est pour l’homme un précepte bien court, que redresser son coeur. Veux-tu avoir le coeur droit? Fais ce que Dieu veut, sans désirer que Dieu fasse ce que tu voudrais. C’est donc avoir le coeur tortueux, c’est-à-dire ne l’avoir point droit, que disputer sur ce que Dieu aurait dû faire, sans louer et même cii critiquant ses actes. C’est peu de ne pas 1. Ps. LXXII, 1-13. — 2. Id. I, 2. vouloir qu’il nous redresse, on veut le redresser lui-même, et l’on dit : Dieu n’aurait dû faire aucun pauvre, on ne devrait voir que des riches : eux seuls devraient vivre. A quoi bon le pauvre ? Que fait-il ici-bas? Voilà le blâme contre le Dieu des pauvres. Il ferait bien mieux, cet homme, d’être le pauvre de Dieu, afin d’être riche de Dieu ; c’est-à-dire de suivre la volonté de Dieu, et il comprendrait alors que sa pauvreté n’est que d’un moment, qu’elle passera, qu’ensuite il jouira de richesses spirituelles qui ne passeront point, et qu’à défaut d’or dans son coffre, il aura dans son coeur le trésor de la foi ! Avec de l’or dans son coffre, il craindrait les voleurs, et malgré lui il pourrait perdre cet or ; mais la foi qui serait dans son coeur, il ne pourrait la perdre, à moins de l’en chasser lui-même. Mais il est une réponse facile , mes frères. Dieu a fait le pauvre pour éprouver l’homme, et il a fait le riche afin de l’éprouver par le pauvre. Et tout ce qu’a fait Dieu est bien, Et si nous ne pouvons pénétrer ses conseils, pourquoi il a fait ceci d’une manière, et cela d’une autre manière, il nous est bon néanmoins de nous soumettre à sa sagesse, de croire qu’il a bien fait, quand nous n’en pouvons comprendre la raison notre cœur alors sera droit, nous mettrons en Dieu notre confiance la plus entière, et nos pieds ne seront point ébranlés, et en montant vers Dieu nous serons dans l’état que décrit le Psalmiste : « Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur ressemblent à la montagne de Sion, ils ne seront point ébranlés de l’éternité 1». 3. Quels sont ces hommes? « Ceux qui habitent Jérusalem. Ils ne seront point ébranlés de l’éternité, ceux qui habitent Jérusalem 2 ». Si nous entendons ici la Jérusalem de la terre, tous ceux qui l’habitaient en ont été chassés par la guerre et par la ruine de cette ville ; tu cherches maintenant un juif dans Jérusalem et tu n’en trouves point. Pourquoi donc ceux qui habitent Jérusalem ne seront-ils point ébranlés de l’éternité, sinon parce qu’il s’agit de cette autre Jérusalem dont on vous parle si souvent? C’est elle qui est notre mère, c’est après elle que nous soupirons en gémissant dans cet exil ; c’est là que nous voulons retourner. Nous nous sommes éloignés d’elle, et nous en 1. Ps. CXX, V, 1. — 2. Id. 2. 46 avions perdu le chemin. Le roi de cette ville est venu lui-même, il s’est fait notre voie, afin que nous pussions y retourner. C’est dans les parvis de cette Jérusalem que nos pieds étaient fermés 1, ainsi que vous l’avez entendu, dans un psaume des degrés que nous vous avons expliqué récemment, à vous du moins qui y assistiez ; c’est vers cette Jérusalem que soupirait celui qui chantait: « Jérusalem, qui est bâtie comme une cité, et dont les habitants sont unis ensemble 2 ». Ceux donc qui habitent cette ville ne uploads/Geographie/ saint-augustin-discours-sur-les-psaumes-ps-124-vaine-prosperite-des-mechants-confiance-des-justes.pdf

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