L’Islande médiévale : une société atypique et une littérature hors pair Premièr

L’Islande médiévale : une société atypique et une littérature hors pair Première conférence p. 11-30 TEXTE NOTES TEXTE INTÉGRAL • 1 Sur l’expansion viking en Atlantique Nord, voir J. Arneborg, « The norse settlements of Greenland » (...) 1L’Islande est une grande île située au milieu de l’Atlantique Nord. Les terres les plus proches se trouvent, d’une part, à huit cents kilomètres à l’est et au sud – à savoir la côte ouest de la Norvège et le nord de l’Écosse –, d’autre part, à cinq cents kilomètres à l’ouest – à savoir la côte orientale du Groenland, inabordable à cause de la banquise. Extrêmement isolée, l’Islande ne reçut pendant des siècles que quelques visites occasionnelles, et peut- être même hypothétiques, telles celles de Pythéas, venu de Marseille, ou de l’Irlandais saint Brendan. La grande expansion viking, commencée au VIIIe siècle et rendue possible notamment par de nouvelles techniques de construction des bateaux, permit à des explorateurs d’origine scandinave de s’aventurer sur ces mers inconnues. Ils peuplèrent d’abord les îles Féroé, puis l’Islande à la fin du IXe siècle, la côte ouest du Groenland un siècle plus tard et, enfin, le continent américain où les tentatives d’installation permanente n’aboutirent pas1. • 2 J. Jóhannesson, A History of the Old Icelandic Commonwealth. Íslendinga Saga, trad. de H. Bessason, (...) 2La superficie de l’Islande est de cent mille kilomètres carrés, soit le cinquième de la France. Au IXe siècle, seules les régions côtières étaient habitables : les grandes plaines du sud, les vallées fertiles du nord et les fjords de l’est et de l’ouest combinant des rivages relativement riches et un accès facile à la mer et à ses ressources. La population grandit rapidement. Vers l’an mil, les historiens estiment à plus de quarante mille le nombre d’habitants : largement de quoi faire société2. Le peuplement humain : économie, langue, culture et société • 3 J.H. Barrett, S. Boessenkool, C.J. Kneale et al., « Ecological globalisation, serial depletion and (...) • 4 H. Þorláksson, « Frá landnámi til einokunar », in A. Agnarsdóttir, H. Bjarnason, G. Gunnarsson et a (...) 3Il est important de noter que l’implantation humaine en Islande n’est pas seulement celle d’un groupe de personnes, mais aussi celle d’un système économique, d’une langue, d’une culture et d’une organisation sociale. Évoquons tout d’abord la question de l’économie. C’est sans doute la quête de ressources à exploiter qui a conduit les premiers voyageurs en Islande : en particulier la chasse au morse, dont les défenses étaient en ivoire précieux et dont le cuir épais servait à fabriquer le gréement des navires. Ces produits rares mais recherchés étaient vendus dans les marchés du nord de l’Europe3. Les liens commerciaux avec le reste du monde ne se sont jamais rompus, bien que le contenu et l’ampleur des échanges aient varié au cours des siècles4. • 5 Byskupasögur, éd. de G. Jónsson, Reykjavik, Íslendingasagnaútgáfan, 1953, t. I, p. 8. • 6 À ce sujet, voir mon article « Hvers Manns Gagn: Hrafn Sveinbjarnarson and the social role of Icela (...) 4Qui dit échanges commerciaux dit également interactions et influences. Les sagas mettent volontiers en scène des hommes importants d’Islande, possédant terres et pouvoirs, qui étaient également des marchands et avaient de ce fait des contacts avec des dignitaires étrangers. Un court texte narratif datant d’environ 1200 – Hungurvaka, que l’on pourrait traduire par « mise en appétit », et qui n’est pas à proprement parler une saga mais plutôt une chronique de l’établissement de l’Église catholique en Islande aux XIe et XIIe siècles – nous présente un évêque islandais de la seconde moitié du XIe siècle : Gissur Ísleifsson. Dans sa jeunesse, il fut un grand navigateur, commerçant dans de nombreux pays5. Marins, marchands, chefs locaux, voire hommes d’Église, les Islandais des couches supérieures de la société occupaient de multiples fonctions et pouvaient avoir des contacts suivis avec le reste du monde6. • 7 A. Gautier donne une excellente présentation récente en langue française : « L’âge viking », in F. (...) • 8 G. Karlsson, Landnám Íslands, Reykjavik, Háskólaútgáfan, 2016, p. 189-216. 5Les premiers colons islandais sont majoritairement venus de la Norvège et des régions des îles Britanniques, où des Scandinaves s’étaient implantés parfois pendant plusieurs générations. Une manière de vivre ensemble s’était développée aussi bien dans les pays nordiques que dans les communautés d’origine norroise établies ailleurs. Elle se caractérisait par une loi coutumière, c’est- à-dire des assemblées d’hommes libres dans lesquelles les litiges étaient réglés et où de nouvelles lois pouvaient être adoptées par un pouvoir central faible, voire inexistant ; ce dernier était contrebalancé par un système d’alliances basé sur les liens familiaux et l’amitié afin de protéger les individus7. Ce mode d’organisation sociale, qui n’excluait pas l’esclavage – ne l’oublions pas –, fut importé en Islande par les colons norrois, mais probablement également par des personnes originaires des régions celtiques des îles Britanniques, libres ou esclaves8. • 9 V. Óskarsson, « Íslensk málsaga », in : Málsgreinar, Reykjavik, Stofnun Árna Magnússonar í íslensku (...) 6Très peu de signes témoignent cependant d’une influence des langues celtes sur la langue islandaise : soit parce que les premiers colons les parlant étaient peu nombreux, soit parce que les immigrants d’origine norroise exerçaient une position dominante. Il en va de même des toponymes, bien que l’étymologie de quelques-uns puisse sembler celtique. Leur présence apparaît d’ailleurs davantage dans certaines régions que dans d’autres. C’est donc la langue norroise qui a investi le pays à la fin du IXe siècle, en même temps que ceux qui la parlaient. Fait remarquable, plus de onze siècles après la colonisation du pays, on constate peu de différence entre cette langue et l’islandais actuel9 ; d’où la toponymie éminemment transparente. Ainsi, la capitale, qui s’est construite autour d’une baie possédant des sources chaudes, a été baptisée « baie des vapeurs », ou Reykjavik. • 10 E.R. Barraclough, « Naming the landscape in the Landnám narratives of the Íslendingasögur and Landn (...) 7Cette accessibilité du sens des noms donnés aux lieux et aux particularités du paysage nous éclaire sur la culture des premiers Islandais. Beaucoup de toponymes se réfèrent aux animaux domestiques de ce peuple d’éleveurs : Geitafell, « la colline de la chèvre » ; Sauðanes, « le cap du mouton » ; Hestur, « la montagne du cheval ». D’autres indiquent les ressources qui pouvaient être exploitées : Hvallátur, lieux sur le littoral où les morses élevaient leurs petits ; Laxá, « rivières à saumon » ; Hrísey, « île boisée ». D’autres encore reflètent les modes de vie. Une quarantaine de monts s’appellent ainsi « Búrfell », « la montagne du garde- manger ». Tous se distinguent par une forme spécifique – pentes raides, sommet large et arrondi – et une situation à l’écart d’autres montagnes. Ils évoquent le bâtiment où l’on conservait les aliments dans les fermes de l’époque viking : búr signifiant « garde-manger » et fell, « montagne ». On trouve d’ailleurs ce toponyme aussi bien en Norvège que dans l’une des régions du Groenland habitée par des personnes d’origine norroise. La structure de l’habitat a donc influencé la perception du paysage et, ce faisant, les toponymes. Quelques noms de lieux font d’autre part référence aux divinités païennes : principalement au dieu Þór (Thor). Ce dieu ayant, semble-t-il, été particulièrement prisé par les paysans et les navigateurs, il n’est pas étonnant que de nombreux toponymes soient dérivés de son nom. La pratique de l’assemblée – ou du þing (thing) – explique aussi beaucoup de noms de lieux : Þingvellir (« plaines du parlement ») est le plus célèbre d’entre eux10. • 11 J. Byock, L’Islande des Vikings, Paris, Aubier, 2007, en particulier le chap. X. • 12 Ibid., chap. XIX. 8Une fois lancé, le mouvement de peuplement de l’île aurait été rapide et, en l’espace de quelques décennies, la majorité des meilleures terres auraient été colonisées. Il a donc fallu accorder les diverses lois, asseoir le pouvoir d’un groupe d’hommes sur d’autres, organiser la société, en somme. Du fait de son éloignement des autres terres, avec comme conséquence notable des difficultés insurmontables au Moyen Âge pour envahir le pays et subjuguer sa population, la société islandaise s’est structurée différemment des sociétés d’où venaient les colons et avec lesquelles elle interagissait. Moins hiérarchisée, la collectivité garantissait les liens entre les habitants grâce à un système d’alliances par le sang, le mariage, mais aussi par l’échange de dons ou de promesses de soutien mutuel. Aucun pouvoir central, aucun roi ni autre souverain ne maintenait l’ordre. La protection contre les agressions était assurée par ce système qui pouvait provoquer de longs conflits entre factions, mais que la communauté s’efforçait de contenir11. La soumission tardive des chefs islandais au roi de Norvège, qui n’eut lieu qu’en 1262, suivie de l’adoption d’un droit royal et d’un impôt royal quelques années plus tard, souligne le caractère atypique de la société islandaise dans le contexte européen des XIIe et XIIIe siècles12. Le Livre des Islandais • 13 G. Karlsson, Goðamenning. Staða uploads/Geographie/ l-x27-islande-medievale.pdf

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