Présentation de l’éditeur En 1637, Descartes révolutionne la manière que l’on a

Présentation de l’éditeur En 1637, Descartes révolutionne la manière que l’on a de faire de la géométrie : en associant à chaque point de l’espace trois coordonnées, il pose les bases de la géométrie algébrique. Cette géométrie est dite « commutative » : le produit de deux quantités ne dépend pas de l’ordre des termes, et A × B = B × A. Cette propriété est fondamentale, l’ensemble de l’édifice mathématique en dépend. Mais au début du XXe siècle, la découverte du monde quantique vient tout bouleverser. L ’espace géométrique des états d’un système microscopique, un atome par exemple, s’enrichit de nouvelles propriétés, qui ne commutent plus. Il faut donc adapter l’ensemble des outils mathématiques. Cette nouvelle géométrie, dite « non commutative », devenue essentielle à la recherche en physique, a été développée par Alain Connes. En un texte court, vif et fascinant, ce grand mathématicien nous introduit à la poésie de sa discipline. Alain Connes est mathématicien, médaille Fields, médaille d’or du CNRS, et titulaire de la chaire Analyse et Géométrie du Collège de France. La version audio du présent ouvrage est disponible à l’achat sur le site www.devivevoix.com Couverture : Paul Cox. © CNRS Éditions / De Vive Voix coll. « Les Grandes Voix de la Recherche » Paris, 2019. ISBN : 978-2-271-12772-3 www.cnrseditions.fr www.devivevoix.com Ce document numérique a été réalisé par PCA Sommaire Présentation de l’éditeur Le principe d’incertitude Les spectres Les algèbres d’opérateurs Le mille-feuille La géométrie non commutative Émergence du temps et thermodynamique La variabilité Unité de longueur Les infinitésimaux La musique des formes Le tic-tac de l’horloge divine L ’auteur Du même auteur Les Grandes Voix de la Recherche Retrouvez tous les ouvrages de CNRS Éditions Les Grandes Voix de la Recherche Une collection CNRS Éditions / De Vive Voix Donner la parole aux lauréats et lauréates de la médaille d’or du CNRS, la plus prestigieuse récompense scientifique française : telle est l’ambition de la collection Les Grandes Voix de la Recherche. En des textes courts et vivants, les médailles d’or retracent leur parcours, nous transmettent leur passion, nous présentent leurs travaux. Grâce à des contenus accessibles et à jour des dernières avancées scientifiques, ils nous introduisent au meilleur de la recherche française. En passeurs et médiateurs, ces grandes voix de la recherche explorent tous les domaines de la connaissance et présentent de manière claire les grands défis de la science. À écouter ou à lire, ces grandes voix de la recherche sont disponibles sous forme de livre audio et de livre papier. Alain Connes lors d’une conférence en 2012 à Villeneuve-d’Ascq. © Peter Potrowl. Le principe d’incertitude Il s’agit ici de retracer un parcours scientifique, en l’occurrence le mien, mais c’est en quelque sorte secondaire. Ce qui compte avant tout, ce sont les rencontres, et surtout les domaines scientifiques concernés. Après être entré à l’École normale supérieure, j’ai décidé de ne pas passer l’agrégation parce que je ne voulais pas recommencer à bachoter. J’avais commencé, à l’École, à faire de la recherche en mathématiques, mais je n’ai vraiment trouvé un sujet qui m’intéressait qu’après en être sorti, avec la mécanique quantique. J’avais toujours avec moi le petit livre publié par Heisenberg en 1930 (The Physical Principles of Quantum Theory) et j’avais été extrêmement inspiré par la manière dont il expliquait comment il avait découvert la mécanique des matrices qui sous-tend la mécanique quantique. Je commence par là, parce que cette découverte de Heisenberg a joué, tout au long de mon parcours, un rôle absolument essentiel. Avant la découverte de Heisenberg, il y avait un modèle pour l’atome, que l’on appelait « l’atome de Bohr » et qui postulait des électrons en orbite circulaire stable autour du noyau. Et il y avait des règles complètement ad hoc, qui n’avaient aucune justification conceptuelle mais permettaient de retrouver, par exemple, comment était fait le spectre de l’hydrogène. Heisenberg s’occupait justement de calculer des spectres d’atomes, c’est à dire déterminer mathématiquement l’ensemble des longueurs d’onde présentes dans la lumière émise par l’atome en question. Par un concours de circonstances – le hasard joue un rôle important en sciences –, il avait été envoyé par son université sur l’île d’Helgoland, dans la mer du Nord, pour soigner un grave rhume des foins : à l’époque, le seul remède était de se réfugier dans un endroit totalement à l’abri des pollens. C’est une île très petite, où il était logé chez une vieille dame et avait tout le temps nécessaire pour réfléchir et faire des calculs. Il avait élaboré sa nouvelle mécanique mais sa théorie lui paraissait contradictoire : la conservation de l’énergie, qui joue un rôle essentiel dans le formalisme classique, posait problème et devait rester vraie dans son nouveau formalisme. Il fit donc des calculs avec le système qu’il avait créé et il s’aperçut finalement que l’énergie était bien conservée ! Il décrit ce moment de manière très frappante dans son autobiographie. Il était alors 3 ou 4 heures du matin, et il dit qu’à cet instant-là il a eu devant les yeux un paysage qui l’a presque effrayé par son immensité. Au lieu d’aller dormir, il a gravi un des pitons rocheux qui bordent l’île et y a attendu le lever du soleil. Cette découverte de Heisenberg a été mon point de départ. Quand je suis sorti de l’École normale, j’étais élève de Gustave Choquet et il a eu l’idée de me faire apprendre de la physique en m’envoyant à l’école d’été des Houches, en 1970. Il y avait des conférences d’Oscar Lanford, qui expliquait ce que von Neumann avait fait après Heisenberg. Ce qu’avait trouvé Heisenberg c’est que, lorsque l’on fait des calculs de physique pour des systèmes microscopiques, comme un atome en interaction avec la lumière, un phénomène tout à fait extraordinaire se produit : on ne peut plus avoir la liberté que l’on a d’habitude de permuter l’ordre des termes dans une équation. Quand on écrit E = mc2, on pourrait aussi bien écrire E = c2m, le résultat serait le même : c’est la règle d’algèbre essentielle que l’on dit « de commutativité », qui fait que si l’on permute les deux termes d’un produit, le résultat est inchangé. Mais Heisenberg a trouvé que, lorsque l’on travaille avec un système microscopique et que l’on multiplie des quantités observables, par exemple la position d’une particule par sa vitesse, ou plus exactement par son moment (sa vitesse multipliée par sa masse), on ne peut plus permuter librement les termes du produit. Le corollaire est très connu : c’est le principe d’incertitude de Heisenberg, qui dit qu’il existe une limite à la précision avec laquelle on peut connaître simultanément deux propriétés d’une même particule associées à des observables qui ne commutent pas. Par exemple, plus on connaît avec une grande précision sa position, et moins on connaît précisément sa vitesse, et inversement. C’est la partie physique de ce qui se passe, on y reviendra. Conséquence : il y a une espèce de nouveauté permanente, de liberté, de la mécanique qui fait que, lorsque l’on répète certaines expériences au niveau microscopique, on n’obtient pas le même résultat. Par exemple, si l’on envoie un électron à travers une fente dont la taille est de l’ordre de la longueur d’onde de l’électron, celui- ci arrive sur une cible placée au-delà de la fente, à un endroit précis. Mais on ne peut pas reproduire l’expérience de telle sorte que l’électron arrive à nouveau à ce même endroit précis. Tout ce que l’on connaît, c’est la probabilité pour qu’il arrive à tel ou tel endroit. Il n’y a aucun moyen, c’est le principe d’incertitude de Heisenberg qui le dit, de répéter l’expérience de telle sorte que l’électron arrive exactement au même endroit. Il y a donc une espèce de fantaisie du quantique qui se manifeste à tout instant, chaque fois que l’on fait une telle expérience au niveau microscopique. Mathématiquement, c’est une autre histoire, parce que la découverte de Heisenberg a appris aux physiciens qu’il leur fallait faire attention lorsqu’ils manipulaient ces quantités observables dans le cadre de ce qui est devenu la mécanique quantique, c’est-à-dire la mécanique des systèmes microscopiques. Cela peut paraître déroutant, mais il s’agit en fait d’un phénomène auquel nous sommes habitués : il se manifeste tous les jours lorsque nous écrivons. Si nous permutons entre elles les lettres utilisées, comme quand on fait des anagrammes, nous modifions le sens des phrases : ainsi « onde gravitationnelle » comprend les mêmes lettres mais n’a pas le même sens que « le vent d’orage lointain ». Les deux ont pourtant la même valeur quand on travaille en algèbre commutative, où l’on se permet de permuter les lettres. Pour que les phrases ne perdent pas leur sens, on a compris qu’il faut faire attention à l’ordre des lettres dans une phrase. Et Heisenberg a montré que, quand on travaille au niveau microscopique, on n’a plus le droit de simplifier comme on simplifie dans les calculs de physique ordinaire. C’est une découverte majeure parce qu’elle a un impact considérable, uploads/Geographie/ la-geometrie-et-le-quantique-alain-connes.pdf

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