Revue germanique internationale 2 (1994) Histoire et théories de l’art ........

Revue germanique internationale 2 (1994) Histoire et théories de l’art ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Élisabeth Décultot Philipp Otto Runge et le paysage. La notion de « Landschaft » dans les textes de 1802 ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Élisabeth Décultot, « Philipp Otto Runge et le paysage. La notion de « Landschaft » dans les textes de 1802 », Revue germanique internationale [En ligne], 2 | 1994, mis en ligne le 26 septembre 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : http://rgi.revues.org/452 ; DOI : 10.4000/rgi.452 Éditeur : CNRS Éditions http://rgi.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://rgi.revues.org/452 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. T ous droits réservés Philipp Otto Runge et le paysage. La notion de « Landschaft » dans les textes de 1802 ELISABETH D É C U L T O T Les réflexions théoriques de Philipp Otto Runge (1777-1810) sur le paysage constituent un des aspects les plus novateurs, mais aussi les plus controversés de la théorie romantique de l'art. Les contemporains du peintre, puis les divers critiques qui s'y sont intéressés n'ont pas manqué de souligner leur importance. Daniel Runge, qui publie en 1840 et 1841 les écrits de son frère regroupés sous le titre de Hinterlassene Schriften 1 accorde de façon symptomatique aux textes sur le paysage une place à part en tête du premier volume. De nombreux critiques ont depuis volontiers reconnu en Runge, sous l'influence peut-être de cette première édition, un théori- cien du paysage 2. Pourtant cette dénomination est loin d'aller de soi, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que le mot Landschaft n'apparaît que pendant une période très brève dans la correspondance, essentielle- ment durant l'année 1802, c'est-à-dire au début du séjour du peintre à Dresde. Il semble que Runge évite soigneusement par la suite d'employer ce terme et préfère utiliser des périphrases plus vagues telles que « art nou- veau », « voie nouvelle », etc. Ensuite parce que la structure essentiellement épistolaire des sources et les préventions très marquées du peintre à cette époque contre toute volonté excessive de systématisation — telle que la pratiquaient à son avis les académies néo-classiques — semblent perpétuel- lement remettre en question tout effort d'édification théorique 3. En dépit de ces obstacles, la réflexion de Runge sur le concept de pay- sage apparaît incontestablement comme l'une des parties les plus ache- 1. Philipp Otto Runge, Hinterlassene Schriften, éd. par Daniel Runge, 2 vol., Hambourg, 1840-1841. Fac-similé de l'édition originale, 2 vol., Göttingen, 1965 (abrégé HSI ou HSII). Ces textes ont été en partie traduits dans : P. O. Runge, Peintures et écrits, présenté par E. Tunner, traduit par E. Dickenherr et A. Pernet, Paris, 1991. Nous nous appuierons, sauf indication contraire, sur nos propres traductions. 2. Cf. Christa Franke, Philipp Otto Runge und die Kunstansichten Wackenroders und Tiecks, Mar- burg, 1974, p. 65-81, ou encore : Otto Georg von Simson, Philipp Otto Runge and the Mytho- logy of Landscape, in The Art Bulletin, décembre 1942, vol. 24, n° 4, p. 335 sq. 3. Cf. HS II, p. 104, 125, 166, 173, 222-223, etc. Revue germanique internationale, 2 / 1 9 9 4 , 39 à 5 8 vées de son œuvre écrite et comme la matrice de tous ses développements ultérieurs sur la théorie de l'art. Il convient de se demander en quoi cette réflexion rompt avec la tradition esthétique qui précède. Runge ne conti- nue-t-il pas, malgré la radicale modernité de ses développements, de se référer implicitement à une esthétique et à une sémiotique plus anciennes ? Quels enjeux cette conception du paysage représente-t-elle à la fois pour l'esthétique du peintre lui-même et pour celle du premier romantisme ? Nous tenterons, dans l'étude qui suit, de répondre à ces questions afin de cerner la signification que Runge associait au mot Land- schaft dans ses écrits de 1802. I / M O D E R N I T É D U PAYSAGE : P R O B L È M E S DE D É F I N I T I O N La pensée de Runge est pénétrée vers 1802 du sentiment prophétique d'une naissance prochaine, d'une éclosion imminente : l'époque va « enfan- ter » un âge nouveau 1. Runge, pour qui art et religion sont intimement liés, évoque l'attente de cette naissance dans des termes qui rappellent le temps de l'annonciation, le passage de l'ancienne alliance à l'alliance nouvelle 2 et se définit, selon un topos littéraire bien connu, comme le messie d'un nouvel « évangile » de l'art 3. L'art à venir est décrit comme une terre promise, un pays de Canaan dont le peintre se veut l'explorateur 4. Cette « voie radicale- ment nouvelle » qui doit régénérer l'art présent en passe de s'épuiser dans l'imitation néo-classique du genre historique, Runge la nomme « pay- sage » 5. Le peintre a présenté lui-même sa théorie du paysage comme une rupture complète avec la tradition. L'idée de tabula rasa, de destruction des œuvres du passé, d'éradication de la tradition revient à plusieurs reprises dans sa correspondance 6. Des cendres d'un cataclysme qui engloutirait tous les chefs-d'œuvre produits jusqu'alors devrait renaître ex nihilo, par une sorte de palingénésie artistique, l'art neuf du paysage : Il m'est difficile de croire que renaisse un art dont la beauté égale le sommet de l'art historique avant que toutes les œuvres pernicieuses d'une époque récente ne soient anéanties ; il faudrait emprunter une voie radicalement nouvelle que l'on voit déjà assez nettement tracée devant nous et peut-être viendrait alors le temps où pourrait revivre un art véritablement beau, et cette voie est celle du paysage 1. 1. HS II, p. 167, lettre à Daniel, 21 novembre 1802. De même HS I, p. 37, lettre à Daniel, 23 mars 1803. 2. Cf. HS II, p. 183, lettre à sa mère, 18 décembre 1802. 3. HS I, p. 28, lettre à son père, 13 janvier 1803. 4. Cf. HS I, p. 26, lettre à Tieck, 1 er décembre 1802. 5. HS I, p. 14-15, lettre à Daniel, 9 mars 1802. 6. Cf. HS I, p. 8, lettre à Daniel, 9 mars 1802. Egalement HS II, p. 237, lettre à Quistorp, 30 août 1803. Pour l'idée de tabula rasa dans l'esthétique du XVIII e siècle, cf. Robert Rosenblum, Transformations in Late Eighteenth Century Art, Princeton, 1967, p. 146, 182. 7. HS I, p. 14-15, lettre à Daniel, 9 mars 1802 (souligné dans le texte). O n est frappé dès la première lecture par la violence des termes employés dans les écrits de cette époque : Runge parle de « révolution » dans l'art, du « combat » que doit mener la modernité pour s'imposer 1, de l'anéan- tissement de « l'ancien », du « trivial », de « l'usé » 2. Cette radicale modernité du paysage évoqué par Runge pose d'em- blée un problème de définition. Qu'entendait exactement le peintre par Landschaft ? Comment pouvait-il définir comme absolument neuf un art qu'entre autres Annibal Carrache, Nicolas Poussin, Claude Lorrain ou encore l'école hollandaise des X V I I e et X V I I I e siècles avaient déjà si souvent illustré ? Christian Ludwig von Hagedorn, Salomon Geßner, Johann Georg Sulzer 3, pour ne citer que quelques exemples de la seconde moitié du X V I I I e siècle, n'en avaient-ils pas déjà défini les contours théoriques ? Il est remarquable que Runge n'ait jamais fait reposer sa théorie sur des exemples empruntés aux maîtres reconnus de la peinture de paysage 4. Dans plusieurs textes de 1802, le peintre affirme que l'histoire de l'art n'a pas encore produit de paysagiste au sens moderne où lui-même l'entend. Tout au plus y a-t-il eu « de temps à autre, et justement dans une période assez récente » quelques peintres de talent qui ont su « pressentir l'esprit » du paysage à venir 5. Runge n'a jamais précisé quels étaient ces peintres précurseurs. Comme le montre Christa Franke 6, il semble avoir apprécié parmi les paysagistes de son temps Carl Wilhelm Kolbe 7, Ludwig Heß, dont il admire les Schweizer Prospecte en 1800 8, les peintres Johann Christian Klengel et Jacob Wilhelm Mechau, qu'il range parmi « les plus grands paysagistes vivants » 9 et surtout Anton Graff 1 0, qu'il rencontre plusieurs fois à uploads/Geographie/ philipp-otto-runge-et-le-paysage-la-notion-de-landschaft-dans-les-textes-de-1802.pdf

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