Le français, langue diasporique d’un genre spécifique ? Nicole Koulayan On n’ha
Le français, langue diasporique d’un genre spécifique ? Nicole Koulayan On n’habite pas un pays, on habite une langue Emile Michel Cioran (1993) L’espèce humaine s’est assez vite caractérisée par une grande mobilité qui l’a façonnée, millénaire après millénaire. Les migrations d’ordre économique, historique, colonialiste, personnelle ou autres, continuent de dynamiser une grande partie des sociétés contemporaines. Depuis le déplacement du monde rural vers la ville, ou les exodes dus à la guerre, jusqu’à l’émigration officielle et clandestine vers des horizons que l’on imagine plus prometteurs. Les analyses se sont très tôt attachées à séparer les notions de diaspora et de migration, bien que la première soit la conséquence de la seconde. Pourtant, elles peuvent arriver à se confondre à certains moments spécifiques de leur histoire. Cela semble être le cas pour la communauté française et sa langue vieille de plus de huit cent années. Dans ce long cheminement, on l’aura vue émerger, résister, se développer, s’institutionnaliser, s’exporter. Siècle après siècle, elle gagnera une identité plurielle, solide, toujours plus vigoureuse, comme l’atteste sa situation géo-linguistique dans le monde d’aujourd’hui. Au travers de l'expansion du français hors de France, qui s’est très vite manifestée sous différentes formes, nous nous essaierons à une analyse du français à l’aune d’une interprétation diasporique. Notre travail commencera par un état des lieux (passé et présent) de la situation géographique du français et par le rappel de ses différents statuts sociolinguistiques. Puis, nous nous appuierons sur les définitions des notions phares investies dans notre démarche (communauté, langue maternelle, diaspora, langue en diaspora, langue de diaspora et identité) pour arriver à une analyse en abîme dont devrait résulter une compréhension plus fine de la situation du français dans le monde. Hier et aujourd’hui, le français hors de ses frontières En 1066, à Hastings, la victoire de Guillaume, Duc de Normandie, sur les Anglais, sera à l’origine de la création du « Royaume anglo-normand ». Ses successeurs vont se partager entre l’Angleterre et la France . Ainsi, durant toute la moitié du XIIes, la langue française, sous sa variante normande qui comptait aussi un important apport angevin, va se superposer à l’anglo-normand.En 1 même temps qu’elle bénéficiera des influences d’un français fortement littéraire venu du continent.(Hagège,1997) Ensuite, du XVIIe au XXes, elle se transportera aux quatre coins du monde, dans les régions états, pays, territoires, départements, devenus à ce jour indépendants, mais dans lesquels une partie de la population parle encore le français. Il s’agira par ordre chronologique: - XVIIè : du Canada, St-Pierre et Miquelon, Martinique et Guadeloupe, Guyane, Sénégal, Madagascar, Terre-neuve, Réunion, Pondichéry, Chandernagor, Haïti, Louisiane ; - XVIIIè: Maurice, Mahé, Karikal, Seychelles, Yanaon, - XIXè : Algérie, Guinée, Comores (sauf Mayotte), Tahiti, Nouvelle- Calédonie, Mauritanie, Liban, Syrie, Kampuchea (ex Cambodge), Cochinchine, Congo, marquises et Tuamotou, Tunisie, Gambier (Polynésie française), Zaïre, Annam (Vietnam), Bénin, Tonkin, Wallis et Futuna, République Centrafrique, Gabon, Côte d’Ivoire, Laos, Mali, Burkina-Faso ; - XXè: Niger, Tchad, Cameroun, Maroc, Burundi, Togo, Vanuatu, Ruanda Soit un total de cinquante espaces géographiques répartis sur l’ ensemble de notre planète et sur lesquels des Français se sont installés pour un temps plus ou moins long. Ils ont créé autant de communautés 1 francophones vivant loin de leur territoire d’origine. Aujourd’hui, le français est la langue officielle de plusieurs pays : Bénin, Burkina-Faso, République Centrafricaine, Congo-Brazaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Sénégal, et langue co-officielle en Belgique, Suisse, Canada, Haïti, Burundi, Seychelles,.. pour une totalité de 51 états et 34 pays. Seconde langue de communication au niveau mondial , elle est la langue maternelle de 75 millions de personnes. Or, le territoire national n’en relevait que 617475 millions lors du dernier recensement (1999), voici ce qu’il en est des proportions : 82% de la population en France, 23,2% au Canada, 41%en Belgique, 18,4% en Suisse, 58% pour Monaco 2 . Pour l’ensemble de ces territoires, le français revêt des statuts différents : langue seconde dans les pays où il a acquis le statut de langue officielle ou co-officielle ; langue de l’administration dans les pays de l’Afrique de l’ouest ; langue de communication dans certains autres ; enfin langue étrangère pour le reste du monde. 1 Nous entendons par communauté le sens tel qu’il est présenté dans les dictionnaires ou encyclopédies, à savoir : Communauté : Caractère de ce qui est commun à plusieurs personnes, à plusieurs groupes sociaux …Groupe de personnes vivant ensemble et partageant des intérêts, une culture ou un idéal communs (Hachette, 1997). 2 Sources Rapport du Haut Conseil de la Francophonie, 1999. 2 En 2002, on comptait plus de 145 millions de personnes scolarisées en français et en 2010, on estimera à environ 500 millions le nombre de « francophones » susceptibles d’avoir appris le français. 3 Pour les 52 Etats membres de la Francophonie, il constitue une langue administrative, d’enseignement, de la justice, des médias, du commerce et des affaires. En 1999, on évaluait à environ 130 millions les francophones réels (ayant une maîtrise courante du français), 61 millions de francophones occasionnels (avec une pratique limitée ) et entre 100-110 millions de francisants (locuteurs qui seraient en contact à différents degrés avec la langue française)et d’apprenants de français hors de l’espace francophone. 4 Si nous nous en tenons exclusivement à l’aspect géographique, la présence du français dans le monde, quel que soit son statut, est attestée encore à ce jour sur tous les continents. Ainsi au départ (le XVIes) depuis un seul territoire: la France, le français a essaimé en dehors de ses frontières. Chargé d’une culture, d’un mode de pensée, d’une mémoire et d’une histoire particulières, assez fortes pour perdurer jusqu’à ce XXIes dans des représentations imaginaires des plus intéressantes. A quoi attribuer cette longévité assez rare dans l’histoire linguistique ? Il nous semble qu’un des éléments pouvant constituer une part de la réponse, serait à relever dans le voyage que la langue et les individus ont fait ensemble à un moment donné. Quelles qu’en soient les raisons, ce dernier les a doté par là- même d’une empreinte communautaire par les différents ancrages qui en ont résulté. Empreinte d’autant plus marquante, qu’elle a pu traverser les siècles. Sans doute les faits se sont-ils compliqués par des événements historiques incontournables comme les conquêtes coloniales, les velléités d’hégémonie culturelle ou tout simplement des questions de goût, d’attraits et de choix linguistiques conscients. Mais la sociolinguistique a bien montré que les langues uniquement véhiculaires, n’ont qu’une assez courte durée d’usage, parce que non légitimées identitairement par une communauté, ce qui n’est pas exactement le cas du français. Ainsi le nœud central sur lequel nous ramène tous nos fils conducteurs est celui de communauté. Cette notion importante l'est à un double titre. Car non seulement, elle nous éclaire sur les raisons de cette traversée réussie par-delà les siècles, mais elle établit déjà implicitement le lien avec la notion qui nous intéresse tout particulièrement : celle de diaspora 5 . 3 Sources : Bulletin du Centre international pour le Développement des Inforoutes en Français (CIDIF) Canada, janvier 2003 4 Sources : Rapport annuel de la Délégation Générale à la langue Française, 1999 5 Diaspora : En dehors de sa signification historique et notée avec un D, voici les différentes définitions: Dispersion (d’une communauté) à travers le monde ; ensemble des membres dispersés. Les diasporas arménienne, libanaise, chinoise (Petit Robert, 2002) Dispersion d’une ethnie quelconque. Ensemble des membres d’une ethnie, d’une communauté dispersée (Hachette, 1998) Dispersion d’un peuple, d’une ethnie à travers le monde.(Grand Larousse universel,1995) 3 Langue et diaspora Nous percevons la langue française, comme liée à un long mouvement de diaspora de nature et de forme diverses étalé dans le temps. Qu’en est-il du clivage entre « langue de diaspora » et « langue en diaspora » ? A ce niveau, G Dettras (2001) précise que du point de vue linguistique : … considérant le modèle diasporéique évoqué nous constatons que toutes les situations migratoires ne sont pas forcément vouées à produire des ensembles durables qui seraient légitimement définissables en termes de diaspora. Par conséquent on ne parlera de « langue de diaspora » que si l’on examine un groupe qui présente au moins deux traits (..) : a) la tradition (ou transmission) d’une histoire dans la longue durée. Les « trois générations » fétiches de nombreux sociologues contemporains ne sont pas suffisantes pour appliquer le terme de diaspora à n’importe quel groupe d’émigrants. b) la référence à un territoire d’origine, réel ou imaginaire. Très souvent, cet élément qui ne correspond plus à l’expérience directe des acteurs sociaux, sera investi d’une fonction symbolique représentable par une image sur le mode métonymique. La sacralisation qui opère une transformation de la mémoire plus ou moins précise du pays d’origine en image fétiche est un trait essentiel de l’idéologie diasporéique. Nous retenons de ces deux traits, les termes centraux de tradition, transmission d’une histoire sur une longue durée et ensuite de référence à un territoire d’origine réel ou imaginaire . Nous observons ce qu’il en est par rapport à ce que le temps nous a laissé de l’implantation uploads/Geographie/ langue-et-diapora.pdf
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- Publié le Fev 09, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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