Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques Juillet
Langues et cité Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques Juillet 2010 Numéro 17 Langues Le breton Menace ou officialisation p. 2 Paradoxe breton p. 3 Nouvelles technologies Une grande entreprise p. 4 Enseignement bilingue p. 5 Petite enfance Personnes agées p. 6 Langue et littérature p. 7 Le roman p. 8 Musiques et langues p. 9 Dynamique breton- français p.10 et cité Dans une perspective d’observation des pratiques langagières, le cas du breton apparait comme emblématique de la situation des langues en danger dans les sociétés européennes. Face au déclin de la transmission et de l’usage social de la langue, un puissant mouvement en faveur de sa préservation et de sa revitalisation a émergé dans la société civile, relayé par les collec- tivités territoriales bretonnes qui, dans le cadre constitutionnel et règlementaire posé par l'État, et souvent en partenariat avec lui, y consacrent désormais des moyens signifi catifs. Tout processus de revitalisation et d’aménagement linguistiques est le lieu de tensions et de contradictions : entre langue normée et langue héritée, néolocuteurs et locuteurs traditionnels, prati- que vernaculaire et pratiques savantes, entre diff érentes repré- sentations de la langue, diff érentes sensibilités politiques… Pour autant, rien ne dit que ces contradictions soient insurmontables. Quoi qu’il en soit, si le 20e siècle a été le siècle du déclin de l’usage vernaculaire du breton, il a également été celui de l’émer- gence de nouveaux usages : formels, littéraires, techniques, artis- tiques… et la plupart des Bretons – comme le montrent diff érents sondages – ne semblent pas prêts à faire le deuil de leur langue. S’il est vrai que le breton normé n’est pas le breton des locuteurs traditionnels, n’est-ce pas là justement le prix à payer pour la survie de la langue ? Ce numéro de Langues et Cité propose au lecteur un panorama qui se veut objectif et sans concessions, des usages actuels du breton. Sa réalisation n’aurait pas été possible sans la participa- tion de Fañch Broudic qui en a conçu le sommaire et assuré la coordination. 2 Fañch BROUDIC CRBC (CNRS, EA 4451), Brest « Moins on le parle, plus on en parle » C ’est par cette sentence en forme d’aphorisme qu’un journaliste présentait déjà la situation du breton le 1er août 1991 dans un quotidien régional. Une vingtaine d’années plus tard, le propos reste pertinent : la langue bretonne est l’objet d’un constant double discours. On redoute d’une part sa disparition imminente. Mais la promotion dont elle bénéfi cie désormais lui confère d’autre part un statut explicite qu’elle n’avait jamais eu jusqu’à présent. En 1913, l’écrivain Yves Le Febvre est persuadé que le breton « ne répond plus aux nécessités historiques » du moment et ne pense pas qu’on puisse « empêcher son élimination plus ou moins rapide par le français ». Un siècle plus tard, on ne parle que de la nécessité de « sauver la langue bretonne ». Ses défenseurs les plus actifs sont conscients que « le point zéro » pourrait être atteint sans tarder et que ce ne peut donc être que « la reconquête ou le tombeau ». Question de survie Les parents d’élèves de Diwan sont convaincus qu’à travers leurs écoles « c’est la survie de la langue bretonne qui se joue ». L’Offi ce de la langue bretonne est alarmiste : son dernier rapport la présente comme étant « à la croisée des chemins », bien qu’elle ne soit « pas encore dans une situation désespérée ». Ces déclarations correspondent à celles qui à travers le monde prennent la défense des langues menacées et veulent préserver la diversité linguistique. Une langue ne peut exister en soi si elle n’a pas de locuteurs. À cet égard, le breton est assurément l’une de celles dont le nombre de locuteurs a le plus régressé depuis le milieu du 20e siècle. Le dernier sondage fait état d’un taux de 13 % de bretonnants en Basse-Bretagne, ce qui correspond à une population de 172 000 habitants (Broudic 2009 a et b). Comme il y en avait 1 100 000 vers 1950, le nombre de bretonnants a diminué de plus de 80 % en une soixantaine d’années (Broudic 1995). Pour autant, personne ne peut dire quand le breton pourrait disparaitre. Mais comme 70 % des locuteurs ont aujourd’hui plus de 60 ans et si les tendances observées depuis dix ans se prolongent, le seuil des 100 000 locuteurs pourrait être atteint d’ici une quinzaine d’années. Reconnaissance « offi cielle » Dans le même laps de temps, le breton s’est pourtant vu reconnaitre progressivement comme l’une des langues de Bretagne et comme l’une des langues de France. La première reconnaissance législative – et la seule, bien qu’étant obsolète à ce jour – est intervenue le 11 janvier 1951 lors de l’adoption de la loi Deixonne, qui autorisait timidement l’enseignement facultatif de quatre langues locales, dont le breton. La reconnaissance constitutionnelle est ac- quise près de 60 ans plus tard, le 21 juillet 2008 : avec l’adoption du nouvel article 75-1 de la Constitution, elle est implicite puisque personne n’imagine que le breton ne soit pas considéré comme l’une des langues régionales qui font désormais partie du patrimoine de la France. Entre-temps, une charte culturelle avait été signée le 4 octobre 1977 entre les représentants de l’État d’une part et d’autre part l’Assemblée régionale et les conseils généraux des cinq départements : ce texte traduisait pour la première fois la reconnaissance de la « personnalité cul- turelle » de la Bretagne par la République. Puis, c’est le Conseil régional de Bretagne qui, le 17 décembre 2004 et à l’unanimité, « reconnait offi ciellement, aux côtés de la langue française, l’existence du breton et du gallo comme langues de la Bretagne » en s’engageant sur un plan de politique linguistique. La formulation est subtile, puis- que le Conseil régional ne proclame pas à proprement parler le breton et le gallo (langue romane parlée dans la partie orientale de la région) comme langues offi - cielles en Bretagne aux côtés du français. Mais cette reconnaissance « offi cielle » et la mise en œuvre par la Région de la glottopolitique qui en découle ont changé la donne. Des conventions additionnelles au contrat de plan ont été signées entre l’État et la Région. Les conseils généraux et des conseils municipaux s’impliquent également, quoique de manière variable, en faveur de l’enseignement du breton ou pour la mise en place d’une signalisation routière bilingue. Une offi cialisation de fait Ces initiatives ne sont pas toujours considérées comme suffi santes. Mais les panneaux routiers bilingues donnent une nouvelle visibilité à la langue. Bien d’autres réalisations y contribuent : la scolarisation de plusieurs milliers d’élèves en classes bilingues en est une. Des programmes TV en breton sont diff usés sur la TNT ou sur la toile. Plusieurs stations de radio proposent des émissions. Des comédies de situation (sitcoms) ou des feuilletons sont mis en production. Des troupes de théâtre présentent de nouvelles créations. Nombre de chanteurs ont acquis une forte notoriété. Pour ce qui est de l’expression culturelle, la langue bretonne a dynamiquement investi de multiples domaines. Le statut actuel du breton est paradoxal à bien des égards. Alors qu’il est clairement perçu comme une langue dont le nombre de locuteurs décline, il bénéfi cie régionalement d’une forme de légitimation qu’il n’a pas sur le plan national : ce hiatus pourrait se révéler une diffi culté pour l’avenir. Mais en région, c’est une offi cialisation de fait : l’Offi ce de la langue bretonne va devenir un établissement public et il aura pour tâche de mettre en œuvre la politique linguistique de la région. Alors qu’il y a un large consensus pour conserver ou pour enseigner la langue régionale, le pourcentage de ceux qui estiment indispensable ou utile de la connaitre n’est pas si important. Un dernier point demande réfl exion : de quoi parle-t-on lorsqu’on parle de langue bretonne ? S’agit-il seulement des nouveaux brittophones qui ont pour référence la langue normée, ou des bretonnants de moins en moins nombreux dont le breton est la langue première ? Une réfl exion nécessaire. LE BRETON : UNE LANGUE MENACÉE OU UNE LANGUE OFFICIALISÉE ? 3 Les mots et les causes : le paradoxe breton Ronan CALVEZ Université de Brest du cœur, des champs et de la convivialité ; le français, la langue de la raison, de la ville et de la formalité. Cette répartition fonctionnelle des usages n’a pas été sans incidence sur les représentations que les bretonnants se faisaient parfois des langues : le breton, c’était le passé et c’était le stigmate d’un statut social peu valorisé ; le français, c’était l’avenir et c’était le garant d’une ascension sociale réussie. Pour les institutions régionales qui le véhi- culent, le breton est un symbole, celui d’une culture dynamique et ouverte sur le monde. En décembre 2004, l’assemblée régionale vote à l’unanimité la mise en œuvre d’un projet de politique linguistique qui reconnait « officiellement, aux côtés de la langue française, l’existence du breton et du uploads/Geographie/ lc-17-breton-def.pdf
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- Publié le Apv 23, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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