Ruralia Numéro 01 (1997) Varia ................................................

Ruralia Numéro 01 (1997) Varia ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Ronald Hubscher Réflexions sur l'identité paysanne au XIXe siècle : identité réelle ou supposée ? ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Ronald Hubscher, « Réflexions sur l'identité paysanne au XIXe siècle : identité réelle ou supposée ? », Ruralia [En ligne], 01 | 1997, mis en ligne le 01 janvier 2003. URL : http://ruralia.revues.org/4 DOI : en cours d'attribution Éditeur : Association des ruralistes français http://ruralia.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://ruralia.revues.org/4 Document généré automatiquement le 07 mai 2011. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. T ous droits réservés Réflexions sur l'identité paysanne au XIXe siècle : identité réelle ou supposée ? 2 Ruralia, 01 | 1997 Ronald Hubscher Réflexions sur l'identité paysanne au XIXe siècle : identité réelle ou supposée ? 1 Prolonger un tel titre par une interrogation peut sembler surprenant sinon incongru. Les paysans ne constituent-ils pas le groupe social le plus aisément identifiable, défini par des caractéristiques spécifiques : un espace approprié, un travail fondé sur la mise en valeur de la terre 1, la plus vénérable des occupations humaines, la plus emblématique aussi dans l'imaginaire social qu'elle nourrit d'une abondance de mythes agraires. Une relation privilégiée, charnelle et symbolique 2 s'instaure entre le paysan et sa terre loin de se réduire pour lui à un simple outil de production. Autant d'éléments qui signent l'originalité d'une civilisation paysanne dite civilisation traditionnelle et qui dans le champ des études rurales ont donné lieu à une lecture en terme d'opposition binaire : ville/campagne, pouvoir central/ pouvoir local, société englobante/communauté villageoise, rationalité capitaliste/logique paysanne de production, etc. 2 Aussi bien le terme paysan, un terme générique mais polysémique 3, semble aller de soi pour le sens commun, les littérateurs et les chercheurs. Il connote un ensemble de références ou de stéréotypes véhiculés par l'imaginaire collectif qui construisent le paysan et lui font endosser une identité. Est-il dès lors pertinent de douter de certitudes aussi fortement établies et les mots n'auraient-ils plus de sens ? Au-delà d'un simple exercice de déconstruction, fort à la mode, nous voudrions simplement rappeler l'intérêt d'une démarche intellectuelle qui, à l'instar du photographe variant la distance focale et l'angle de prise de vue donne une perception différente du même sujet, modifierait l'objet étudié selon le regard, la nature et la position de l'acteur dans le champ social. Autrement dit, au XIXe siècle, le terme paysan renvoie-t-il les populations agricoles à leur propre réalité ? Ont-elles conscience de leur identité, intériorisent- elles et acceptent-elles les schèmes de la société englobante censés les définir comme une catégorie spécifique ? Le regard de l'Autre est-il suffisant pour conférer le sentiment d'une commune appartenance générateur de solidarité ? 4 3 Deux éléments essentiels nous semblent au fondement des solidarités qui structurent et individualisent tout groupe social : une culture et une profession 5, laquelle est déterminante dans la construction identitaire. Dès lors la question est de savoir si le travail de la terre constitue une profession car ce point de vue est loin d'être partagé par les contemporains. Dans l'affirmative, à partir de quel moment est-il considéré comme tel ? Les grandes thèses d'histoire rurale dont l'apport a été majeur dans la connaissance des campagnes françaises du XIXe siècle 6 n'ont pas abordé ce problème, quand bien même le travail agricole et la mise en valeur du sol y apparaissent comme un thème récurrent. L'absence d'interrogations sur l'évolution des représentations de l'activité agricole, toujours appréhendée dans une sorte d'intemporalité, le renoncement à toute réflexion sur la signification de cette activité pour les paysans eux-mêmes, l'inexistence d'une véritable problématique culturaliste dans la majorité des travaux expliquent que la question d'une identité paysanne et de ses fondements n'a jamais fait l'objet d'une analyse approfondie 7. Les quelques remarques qui suivent visent simplement à montrer l'intérêt d'une analyse, certes non exempte de difficulté, privilégiant le point de vue de l'acteur sur sa propre condition 8. Un flou sémantique 4 Et tout d'abord que signifie le terme paysan pour l'homme des champs, terme le plus fréquemment utilisé par les citadins pour le désigner. On sait combien le vocabulaire, l'emploi de tel mot préféré à tel autre constituent un enjeu social et politique 9. On sait aussi combien l'art Réflexions sur l'identité paysanne au XIXe siècle : identité réelle ou supposée ? 3 Ruralia, 01 | 1997 et la littérature ont contribué dans le long terme à produire une représentation de la paysannerie qui a puissamment envahi l'imaginaire collectif. Une représentation schématique, au point de réduire le paysan à un archétype. Proche de la Nature, il en incarne toutes les vertus et d'une certaine manière perpétue le modèle du bon sauvage du XVIIIe siècle ; dépeint sous de sombres couleurs, être fruste et brutal, il est alors cantonné aux marges de la société policée. Ces deux visions d'une paysannerie naturalisée et instrumentalisée servent alternativement à des fins idéologiques 10. Mais l'opinion commune a le plus souvent retenu dans les attributs qui disent le paysan les connotations négatives, péjoratives : la balourdise, l'inculture, la routine 11. Le discrédit implicite frappant celui qui est désigné comme tel, implique de sa part un refus plus ou moins avoué d'assumer toute la charge négative contenue dans ce mot au regard de la société englobante. À Compreignac, commune du Limousin, le terme paysan « dès le début du siècle, semble-t-il, a déjà revêtu une connotation péjorative, et il [le paysan] préfère la dénomination plus solennelle et moins dépréciative de "cultivateur" » 12. 5 Peut-on inférer de cette attitude l'homonymie du paysan et de l'exploitant ? Telle semble être la posture des historiens, admettant implicitement les présupposés des contemporains. Dans sa thèse sur la Beauce, Jean-Claude Farcy observe qu'au début du XIXe siècle « le terme de laboureur est fréquemment utilisé pour désigner les hommes qui dirigent les grandes exploitations. Après le milieu du XIXe siècle il tend à disparaître, remplacé par celui de cultivateur dont la signification recouvre peu à peu toute la paysannerie qui exploite un minimum de surface » 13. On mesure toute l'opacité du terme paysannerie compris de la sorte car il renvoie à la seule notion d'exploitant, mal cerné socialement, et suggère soit la non appartenance des ouvriers et des domestiques agricoles à cet ensemble, soit l'existence d'une autre paysannerie mal définie dans son essence puisqu'elle ne répond pas au critère censé la définir. Dans cette dernière hypothèse, la dimension socio-économique du signifié paysan, pourtant explicite dans le précédent argumentaire, serait évacuée au seul profit d'une hypothétique identité culturelle 14. 6 De manière générale, le vocable paysan ne figure pas sur les listes nominatives recensements quinquennaux de la population. Ordinairement, l'individu recensé s'auto-désigne et la taxinomie en usage fait référence soit à un statut juridique fermier, métayer, propriétaire- exploitant ­, soit à un statut social cultivateur, journalier 15. Ces différences de positions, fortement perçues à l'intérieur de la société rurale, confirmées par une dominante de mariages homostatutaires, ne génèrent-elles pas des identités éclatées, en sorte que pour les intéressés, l'étiquette de paysan n'est aucunement un signe d'appartenance au groupe ? Elle ne restitue nullement la réalité vécue au sein de la communauté, fondée sur des liens de solidarité et de dépendance dont la nature varie selon le statut socio-économique des individus et la perception qu'en ont les uns et les autres. Même si l'on admet, selon le sens commun, que le travail de la terre fait le paysan et par conséquent fixe son identité, la mobilité intragénérationnelle contribue à l'obscurcir et met en question le sentiment d'appartenance 16. Qu'en est-il de Guislain Decrombecque qui n'est pas un héritier ? Né en 1797 dans une famille de petits cultivateurs artésiens, contraint très jeune en se formant sur le tas d'assurer la direction du modeste bien paternel, possédant à son mariage 1 000 francs, 75 ares de labour une maison entourée d'un jardin, il exploite en 1868 450 hectares selon les méthodes les plus modernes. Devenu un véritable capitaine d'agriculture, il obtient en 1867, lors de l'exposition universelle tenue à Billancourt, le 1er grand prix d'agriculture 17. À partir de quel niveau de réussite a-t- il eu le sentiment de franchir la barrière séparant l'exploitant agricole de l'agriculteur, terme désignant à l'époque les gros propriétaires ou les gros cultivateurs ouverts au progrès et à uploads/Geographie/ hubscher-identite-paysanne.pdf

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