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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/305305209 Le caméléon dans la jungle sonore : variations du r en Guadeloupe Chapter · January 2012 CITATIONS 0 READS 285 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: IPFC - Interphonology of Contemporary French / Interphonologie du français contemporain View project Pronunciation in Progress (Pro2F): French Schwa and Liaison View project Elissa Pustka University of Vienna 50 PUBLICATIONS 105 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Elissa Pustka on 14 July 2016. The user has requested enhancement of the downloaded file. Elissa Pustka Ludwig-Maximilians-Universität, Munich Le caméléon dans la jungle sonore : variations du r en Guadeloupe 1. Introduction1 Le r2 constitue un véritable « caméléon »3 dans la jungle des sons linguistiques. Vu sa marginalité dans les systèmes phonémiques (cf. Tru- betzkoy 1939, Martinet 1969), il est quasiment prédestiné à la variation et au changement (cf. Laks 1980, Wiese 2003 et 2011) : fricative sourde ou so- nore, vibrante, approximante ou même voyelle – il peut prendre presque tou- tes les ‘couleurs’ en fonction de son environnement, et aussi disparaître com- plètement. Dans le français parlé aux Antilles4, c’est en particulier son absence qui est considérée comme sociolinguistiquement saillante : « Si l’on deman- de à un Français ‘métropolitain’ de caractériser le français parlé aux Antilles, il répond généralement que les Antillais ne prononcent pas les r. » (Walter 1988 : 225 ; cf. aussi Jourdain 1956, Prudent 1993, Pustka 2007, Pustka à paraître). Ce trait est bien connu depuis l’époque de Napoléon : sa première femme, Joséphine de Beauharnais, étant une béké martiniquaise5, l’accent 1 Mes remerciements vont au DAAD qui a financé l’enquête de terrain en Guade- loupe en février/mars 2004. Je suis également reconnaissante aux participants du colloque sur le français antillais à la Sorbonne en novembre 2010 ainsi qu’à ceux de la conférence P&P7 en octobre 2011 à Osnabrück pour leurs nombreux com- mentaires et suggestions. Un grand merci en particulier à André Thibault pour sa relecture critique de cet article. Toutes les erreurs sont les miennes. 2 La mise en italiques (r) indique qu’il s’agit d’une catégorie préthéorique, laissant ouverte la question s’il s’agit d’un phonème, d’un allophone ou d’une absence de segment correspondant à un graphème (ici : ‹r›). Elle correspond plus ou moins au niveau diasystémique, marqué dans Pustka 2007 par des astérisques, p. ex. *r*. 3 La métaphore du caméléon remonte à Wiese (2003 : 41) : « The phoneme /r/ in German and many other languages is a chameleon in terms of segmental features, which change frequently and quickly, and which seem largely irrelevant with respect to phonological regularities. The possibility of change is most likely due to the fact that /r/ is defined in prosodic terms […]. Segmental variation is simply irrelevant for the identity of a unit which is essentially prosodic. It is the prosodic (phonotactic) stability which allows liberal use to be made of segmental features for sociolinguistic purposes. » [c’est moi qui souligne] 4 J’évite ici le terme français antillais, qui à mon sens devrait être réservé au français régional L1. La paraphrase français parlé aux Antilles est plus large et englobe aussi l’interlangue des locuteurs L2. 5 Les békés sont les Antillais blancs qui descendent des anciens maîtres des planta- tions. 272 Elissa Pustka ‘créole’ devint à la mode dans les cercles mondains de Paris et fut imité par les ‘incoyables’ et ‘meveilleuses’. Jusqu’à nos jours, il est constamment re- pris dans les caricatures, à commencer par le pirate Baba6 dans les bandes dessinées d’Astérix (p. ex. ‹’omains› pour ‹Romains›) jusqu’aux infirmières martiniquaises des Inconnus. Par crainte de produire ce schibboleth, les An- tillais, eux, produisent des hypercorrections (cf. aussi sections 4 et 5) : Le Noir entrant en France va réagir contre un mythe du Martiniquais qui-mange- les-R. Il va s’en saisir, et véritablement entrera en conflit ouvert avec lui. Il s’ap- pliquera non seulement à rouler les R, mais à les ourler. Épiant les moindres réac- tions des autres, s’écoutant parler, se méfiant de la langue, organe malheureuse- ment paresseux, il s’enfermera dans sa chambre et lira pendant des heures – s’acharnant à se faire diction. Dernièrement, un camarade nous racontait cette histoire. Un Martiniquais arrivant au Havre entre dans un café. Avec une parfaite assurance, il lance : ‘Garrrçon ! un vè de biè.’ Nous assistons là à une véritable intoxication. Soucieux de ne pas répondre à l’image du nègre-mangeant-les-R, il en avait fait une bonne provision, mais il n’a pas su répartir son effort. (Fanon 1952 : 16) À l’inverse, la prononciation du r (dans certains contextes) est aux Antilles marquée à tel point qu’on la qualifie de ‘roulée’, bien qu’il s’agisse phonéti- quement d’une fricative et non d’une vibrante (cf. Bellonie 2010 pour la Martinique et Pustka à paraître pour la Guadeloupe). Malgré son impact sociolinguistique, une étude phonologique du r dans le français parlé aux Antilles fait défaut jusqu’à présent (mis à part quelques petites remarques dans Jourdain 19567 et Valdman 1978b8). 6 Ce cas fameux est à vrai dire un mauvais exemple, car Baba réunit plusieurs cli- chés en même temps : phénotype africain et accent créole – mais accent créole blanc, faisant allusion aux ‘incoyables’ du Directoire (cf. Stoll 21975 : 104). 7 « Dans cette position [coda à l’intérieur du mot ; E.P.], et suivant le degré de culture ou la situation sociale du sujet parlant, on peut entendre à la Martinique à la place de l’r normal du français soit un u, soit un g spirant très faible, ce qui se passe invariablement si le sujet au lieu de parler créole parle français, il se pro- duit alors entre la consonne r et la consonne explosive qui suit une assimilation de tension qui aboutit, suivant les sujets, et quelquefois pour un même sujet, sui- vant le degré d’attention apporté à bien prononcer, à un son instable qui peut être un g spirant très faible ou un ou (u) qui forme diphtongue avec la voyelle précédente. Ce phénomène est caractéristique du français des Antilles. » (Jour- dain 1956 : 27) 8 « Un des traits marquants du français des ‘îles’, le français tel qu’il est parlé par les Antillais, est la chute du r en position implosive – à la fin du mot ou avant une consonne – et sa labialisation. La source de ce trait se trouve dans la pronon- ciation et la distribution du /r/ en créole. Du point de vue phonétique, le /r/ créole a un point d’articulation plus avancé que le /r/ grasseyé du français et partage avec ce dernier sa faiblesse d’articulation et son caractère résonant qui le rapproche des sons vocaliques. Il est par surcroît plus ou moins labialisé selon les divers dialectes et l’entourage phonologique. […] dans les parlers de l’Océan Indien /r/ se réalise plus ou moins comme le son correspondant du français, Le caméléon dans la jungle sonore : variation du r en Guadeloupe 273 L’objectif du présent article est de combler cette lacune. Il fournit tout d’abord l’état de la question sur le comportement du r dans les deux langues en contact, le créole et le français (section 2). Ensuite sera présentée l’en- quête empirique, sa méthode (section 3) ainsi que ses résultats (section 4). La section 5, finalement, est consacrée à un essai d’explication diachronique de la variation observée, focalisant sur le niveau des représentations. 2. État de la question Le français antillais est un français régional en pleine émergence (cf. Pustka 2007) – et comme pour toutes les variétés régionales, la question cen- trale qui se pose est celle du ‘substrat’9. Il n’en est pas autrement pour le comportement du r : dans quelle mesure s’explique-t-il par le créole et où faut-il admettre un développement indépendant ? Afin de pouvoir évaluer ces deux possibilités, je présenterai par la suite l’état de la question sur le r en créole guadeloupéen, dans les autres créoles à base française ainsi qu’en français ; le cas du français réunionnais pour sa part montrera à quels résul- tats on peut s’attendre dans une situation de contact entre le créole et le fran- çais (cf. Carayol 1977, Bordal 2006, Bordal/Ledegen 2009). La créolistique s’intéresse habituellement peu à la phonologie. Vu que l’intérêt des créoles pour la linguistique générale résulte de sa genèse extraordinaire, les chercheurs abordent en priorité la substance (grammati- cale et sémantique), dans laquelle ils espèrent (re-)trouver une grammaire universelle ou africaine, la forme (sonore) étant considérée comme inter- changeable (relexification). Ainsi le nombre de travaux sur la phonologie des créoles à base française est-il assez limité ; on y trouve néanmoins quelques informations très précieuses sur le r : il existe deux thèses sur le créole gua- deloupéen (Hazaël-Massieux 1972, Facthum-Sainton 2006a), un article sur le créole martiniquais, adoptant une perspective diachronique (Gulyás 2004), plusieurs ouvrages et articles sur le créole haïtien (Valdman 1978a, Tinelli 1981, Nikiema 2002, Russell Webb 2010) ainsi que deux uploads/Geographie/ le-cameleon-dans-la-jungle-sonore-pdf.pdf

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