18 LE COLLÈGE ST. EUGENE DE MAZENOD DE NGAOUNDÉRÉ OU L’ŒCUMÉNISME PAR L’ÉCOLE N
18 LE COLLÈGE ST. EUGENE DE MAZENOD DE NGAOUNDÉRÉ OU L’ŒCUMÉNISME PAR L’ÉCOLE Nicolas OWONA NDOUNDA Chargé de recherche, CNE/MINRESI owonanicolas@gmail.com Résumé Du fait de pesanteurs sociales, le Nord-Cameroun est longtemps resté parent pauvre de l’éducation “moderne”. Celle-ci connut son essor avec l’évangélisation de la région. Notre communication tente de faire comprendre comment l’enseignement confessionnel catholique, à travers le Collège de Mazenod, et grâce à l’œcuménisme, a pu se frayer une place de choix dans l’Adamaoua, région la plus islamisée du Cameroun, dans un contexte social qui ne semblait favorable ni à l’implantation d’une nouvelle religion chrétienne, ni d’un nouvel ordre d’enseignement, en plus de celui coranique déjà existant. Abstract History of modern teaching in general, and the denominational one in particular, in the North-Cameroon, is intrinsically connected to its evangelization. Our communication aims to understand how the catholic denominational education, by ecumenical means, was able to adapt itself in Adamawa, the most Islamized region of Cameroon, in a period when the social context was not favorable to the setting-up of a new Christian religion and a new order of education. Introduction Le Collège St. Eugène de Mazenod de Ngaoundéré, plus souvent appelé, Collège de Mazenod ou Collège Mazenod, est un établissement confessionnel catholique fondé par les missionnaires Oblats de Marie Immaculée (OMI), qui se sont vus confier par la Congrégation de la Propagande de la Foi du Vatican en 1946, la tâche d’évangéliser la région du Nord- Cameroun1. Cette région avait la réputation d’être très hostile à l’égard des étrangers sur le plan environnemental, avec un climat très humide sur le Plateau de l’Adamaoua et très sec à mesure que l’on s’avançait vers le Tchad ; des voies de communications presqu’inexistantes dans un paysage montagneux et rocailleux, malgré la pénétration coloniale et l’existence de quelques villes2. Lorsqu’ils débarquent à Ngaoundéré, les OMI trouvent une ville d’une superficie de 17 000 Km² environ3, avec une population estimée à 13 000 habitants en 1950 selon le Bureau Central d’Études d’Outre-mer (BCEOM), déjà établie et dominée par les Foulbé islamisés. Ceux-ci ont conquis tout le Nord-Cameroun sous la bannière du djihad au XIXe siècle. Aussi, seules les écoles coraniques fleurissent dans cette région avant la colonisation. 1[]. Les expressions “Nord-Cameroun” et “Grand-Nord” sont utilisées dans le cadre de cette étude afin de désigner les trois régions administratives actuelles de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord. 2[]. Voir A. Tassou, « Évolution historique des villes du Nord-Cameroun (XIXe – XXe siècles) : des cités traditionnelles aux villes modernes. Les cas de Maroua, Garoua, Ngaoundéré, Mokolo, Guider et Meiganga », Thèse de doctorat/Ph.D. d’Histoire, Université de Ngaoundéré, 2005. 3[]. La superficie de la ville est indiquée par le rapport de l’administrateur français de la subdivision de Ngaoundéré de 1951. Cette ville est aujourd’hui qualifiée de « vieille ville de Ngaoundéré », c’est le site bâti par les Foulbé à la suite des conquêtes du djihad du XIXe siècle. 18 L’arrivée des Européens, colons et missionnaires, se heurte à l’ancrage culturelle qui voit en l’école “moderne” un instrument de christianisation. Cette conception de l’école fit connaître au Grand-Nord un très grand retard dans le processus de scolarisation par rapport au reste du pays. Notre objectif est donc de comprendre comment un collège confessionnel catholique, en l’occurrence le Collège de Mazenod, a pu s’imposer dans un contexte peu favorable au christianisme en général, et à son école en particulier. Cette question nous semble d’autant plus pertinente que, dans l’article 2, chapitre I des Dispositions Générales de l’enseignement privé catholique édictées par l’Organisation de l’Enseignement Privée Catholique (OEPC), il est clairement stipulé que « l’organisation [OEPC] s’est en effet engagée à éduquer les élèves sur la base de la conception de vie fondée sur la foi et sur la morale catholique, conformément à l’enseignement des Évêques. »4. Même si cette organisation ajoute cette réserve : Les établissements accueilleront, dans la limite des places disponibles et entoureront de soins égaux tous les enfants que leur confient les familles, sans distinction ou discrimination, fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sur toute autre situation, que celle-ci s’applique à l’enfant ou à sa famille5. Ainsi, comme le craignent les populations islamisées de Ngaoundéré, les établissements confessionnels catholiques se doivent de respecter et d’enseigner les principes de la vie chrétienne. De l’enseignement privé catholique, doit donc émerger un être respectueux des mœurs religieuses catholiques. En 1989, les évêques du Cameroun, dans une de leurs lettres pastorales, soulignaient déjà que l’école catholique « se définit avant tout par sa référence au Christ, homme parfait, et à l’Évangile qui est l’âme de cette école. Elle [l’école catholique] s’engage par conséquent à promouvoir l’homme intégral, parce que dans le Christ, toutes les valeurs humaines trouvent leur pleine réalisation et leur unité harmonieuse »6. Or, le Collège de Mazenod, s’est illustré par son œcuménisme social, marqué par l’acceptation de tous sans distinction ni de sexe, ni de religions. Cette acceptation s’illustre par le fait que, le Collège a longtemps reçu les prêches d’un imam et d’un pasteur, et garde jusqu’à lors en son sein, un espace aménagé et servant de mosquée. Doit-on alors voir en ces modifications la clé du succès de cet établissement et de son adoption à la fois par la population musulmane et la communauté protestante ? Ou est-ce simplement parce que l’enseignement privé catholique a gagné ses lettres de noblesse à travers le mérite de ses enseignements ? À ce jour, certaines de ces modifications structurelles perdurent malgré une certaine évolution des mentalités, malgré les résultats et la notoriété du Collège de Mazenod. Ne doit-on y voir alors un œcuménisme économique, lorsque l’on sait que les musulmans à Ngaoundéré détiennent l’essentiel du pouvoir économique ? En effet, depuis la mort d’Yves Plumey en 1991, le Collège de Mazenod ne cesse de vivre des moments économiquement difficiles. Les subventions de l’État sont presqu’inexistantes et, les élèves, devenus la principale source de revenus. Cette étude se propose donc de répondre à ces différentes interrogations, à travers une analyse des contextes sociopolitique et scolaire du Nord- Cameroun à l’arrivée des OMI ; situation qui permet d’appréhender la nécessité pour Plumey de créer un établissement secondaire catholique, avec l’œcuménisme au centre de sa 4[]. Organisation de l’enseignement privée catholique (OEPC), Statuts, codes déontologiques, règlements intérieurs, février 2007, p. 7. 5[]. OEPC, Statuts, codes déontologiques, règlements intérieurs, op. cit., p. 43. 6[]. Conseil National Épiscopal du Cameroun, Lettre pastorale des évêques du Cameroun sur l’enseignement catholique, 1989, p. 7. 18 politique. Ensuite, il s’agit de comprendre l’évolution de cet établissement scolaire jusqu’à nos jours, afin de bien cerner son fonctionnement, ses difficultés et d’interroger la portée réelle de cette politique d’œcuménisme. Les contextes sociopolitique et scolaire à l’arrivée des missionnaires catholiques Contexte sociopolitique à l’arrivée des OMI Lorsque les Foulbé, avec à leur tête Djobdi, arrivent à Ngaoundéré en 1836, ils y trouvent déjà installés les Mboum, société structurée et hiérarchisée, bâtie autour du bellaka (chef). Après quelques luttes, ces derniers s’allient aux Foulbé. Par cette alliance, les Mboum obtiennent un statut particulier : sans être des esclaves, ils ne sont pas non plus traités comme des Foulbé de sang. Ils payent donc un tribut au laamiido, chef spirituel et militaire foulbé islamisé7. Néanmoins, ils sont tellement associés à la gestion du lamidat qu’il est presqu’impossible de les distinguer des Foulbé8. La nouvelle administration foulbé met en place un système fonctionnant sur la base des razzias et de l’esclavage. Les captifs « étaient la principale richesse économique des Foulbé, car le Foulbé libre ne travaillait pas et refusant d’exercer un métier autre que celui de berger ou de propriétaire de troupeaux, tout le soin des cultures vivrières incombait aux captifs »9. Ainsi, à la suite des conquêtes Foulbé, la population de Ngaoundéré est constituée des Foulbé, vainqueurs et islamisés ; des personnes vaincues et qui, du fait de leur islamisation, sont passées du statut d’esclave à celui d’hommes libres ou rimbe (singulier dimo) ; les esclaves ou matchoube (singulier matchoudo), qui sont constitués de populations kirdi ou encore des haabé10, qui signifient non islamisé ou tout simplement païens. Conscientes de la solidité de l’organisation foulbé, les administrations coloniales, allemande dès 1901 et française à partir de 1915, sont assez complaisantes envers leurs exactions à l’égard des autres peuples non-islamisés. Dans le souci de respecter les préceptes de l’Islam, qui n’autorisent pas de réduire en esclavage d’autres musulmans, le laamiido de Ngaoundéré l’Ardo Yaya Dandi (qui régne de 1924 à 1929) et son fils, l’Ardo Mohammadou Abbo qui lui succéde, empêchent la construction de mosquées dans certains villages, véritables viviers d’esclaves11. De cette domination foulbé naît chez les autres populations un sentiment de frustration que les missionnaires luthériens, suivis plus tard des missionnaires catholiques n’ont pas de mal à exploiter. 7[]. Le laamiido est en effet le « représentant de Dieu, le « commandeur des croyants ». La souveraineté étant d’essence divine, le chef idéal est nanti d’une véritable bénédiction divine, « risku », uploads/Geographie/ le-college-st-eugene-de-mazenod-de-ngaoundere-ou-l-x27-oecumenisme-par-l-x27-ecole.pdf
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- Publié le Nov 15, 2021
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