GUILLAUME D’ORANGE, LE MARQUIS AU COURT NEZ ANONYME Traduction par W. J. A. Jon

GUILLAUME D’ORANGE, LE MARQUIS AU COURT NEZ ANONYME Traduction par W. J. A. Jonckbloet I. Les Premières Armes de Guillaume II. Le Couronnement du roi Louis. III. Le Charroi de Nîmes. IV. La Prise d’Orange. V. Le Vœu de Vivian. VI. La Bataille d’Aleschant. VII. Renouard au tinel. VIII. Le Moniage de Guillaume. I. LES PREMIÈRES ARMES DE GUILLAUME. I. Le départ pour la Cour. Seigneurs barons, si vous voulez entendre une chanson comme on n’en fit plus depuis la mort d’Alexandre-le-Grand, écoutez-moi. Un moine de Saint-Denis l’a mise par écrit. Il s’agit d’un des fils d’Aymeric de Narbonne, de Guillaume : et je vous raconterai comment il se rendit maître d’Orange et épousa dame Orable. Beaucoup de jongleurs vous chantent l’histoire du valeureux, du sage et noble Guillaume au court nez, qui passa sa vie à combattre les ennemis de la foi et rendit de si grands services à la Chrétienté : jamais chevalier qui lui fût comparable, ne vit le jour. Cependant un noble moine ayant entendu ces récits, il lui sembla qu’ils n’étaient pas bien clairs ; c’est pour cela qu’il en a rajeuni le texte d’après un manuscrit qui avait bien cent ans. On lui a tant donné et promis qu’il a fini par nous céder son poëme. Que celui qui veut l’entendre, se tourne vers moi et m’écoute en silence. Vous avez entendu parler des enfants d’Aymeric de Narbonne : ils s’appelaient Bernard, Guillaume, Garin, Ernaut, Buevon, Aymer et Guibert, tous jeunes et sans position. Un jour ils se trouvaient devant la grande salle dans la cour du château de Narbonne : ils entouraient Bernard, l’aîné, qui tenait sur son poing un jeune faucon, auquel il faisait grosse gorge avec une aile de poulet. En ce moment le noble comte Aymeric sortit de la chapelle, où il venait d’entendre la messe, avec la belle Hermengard de Pavie, son épouse : il était accompagné de quatre-vingts chevaliers portant de riches fourrures de martre et des pelisses d’hermine. Quand il vit ses enfants si beaux et si preux, son cœur s’en réjouit ; car il les aimait bien, le noble comte Aymeric. Et s’adressant à sa femme, il lui dit : — Dame Hermengard, de par Dieu ! regardez nos fils ! Si le Seigneur, dans sa miséricorde, me prête vie jusqu’à ce que je les voie tous chevaliers, je serai bien heureux. — Cela sera, monseigneur, répondit la dame. À peine avaient-ils prononcé ces paroles, que voici un messager arrivant en grande hâte sur un mulet d’Espagne. Il s’arrête devant le comte, et le salue en ces termes : — Que ce Dieu qui créa le monde protège le noble comte Aymeric, sa dame, ses fils, et toute sa maison. — Que Dieu te garde, frère, répondit le comte. Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Que cherches-tu ? Portes-tu un message ? Réponds-moi sans mentir. — Que Dieu me soit en aide ! répond l’étranger, je vous dirai la vérité. Sachez que je viens de la part du Roi Charles de Saint-Denis, qui vous mande de lui envoyer vos quatre fils aînés, afin qu’ils viennent le servir à Rheims ou à Paris. Quand ils auront servi cinq ou six ans, il les fera chevaliers et leur donnera ce qu’il faut pour soutenir leur état : de l’or et de l’argent, des chevaux de prix, des châteaux, des bourgs et des villes dont ils seront les seigneurs. — Je rends grâces à Dieu de cette offre, reprit Aymeric. Et dans sa joie s’adressant à ses enfants, il leur dit : — Enfants, Dieu vous protége, car avant six ans vous serez tous chevaliers, et de la main du plus noble prince qui règna jamais. Si vous le servez de bon cœur, il vous récompensera en vous donnant des terres, des châteaux, des villes, de l’or, et à chacun de vous des armes et un coursier. C’est surtout à vous que je le dis, Guillaume, qui prenez une mine si dédaigneuse. — Je consens à aller, s’écria Bernard ; car il fait bon vivre dans l’intimité d’un si noble prince. Je partirai sans retard avec mes frères. — Certes, je ne veux pas y aller moi, dit Guillaume. Servir pendant six ans, c’est une trop longue attente. Car par Dieu qui jugera le monde, il me tarde d’aller combattre les mécréants : j’espère bien gagner assez d’or avec mon épée d’acier et j’hériterai de leurs terres. Et vous, dit-il à ses frères, vous, je vous tiens pour de pauvres sires. Vous devriez prendre des armes dès aujourd’hui et faire la guerre aux Musulmans ; mais vous êtes des lâches et votre enfance ne finira jamais. Mais par ce Dieu qui règne en Paradis, je vous jure que je ne resterai pas ici : je me rendrai dans la terre étrangère, droit en Espagne, pour attaquer les Sarrasins et gagner honneur et profit. — Je ne reviendrai pas avant d’avoir conquis tant de bien que je pourrai entretenir mille chevaliers aux roides lances et aux gonfanons de pourpre. Là-dessus Guibert, le plus jeune des frères, lui répondit : — Par ma foi ! frère, j’irai avec toi : même si je n’avais un cheval, j’irais à pied, sans armes, dans ma pelisse grise. Cette réponse fit grand plaisir à Guillaume, qui lui dit : — Par Dieu ! voilà une bonne parole. Elle vous portera bonheur, si je reste en vie. Vous pourrez toujours compter sur moi. Alors Ernaut et Buevon et Garin se joignirent à leur cadet et promirent de l’accompagner. Guillaume les en remercia, mais Bernard leur dit : — Seigneurs, vous avez grand tort de vouloir aller avec lui et de me laisser moi, qui suis l’aîné. Suivez-moi et je vous mènerai partout où vous voudrez. Ces paroles mirent Guillaume en colère et il dit à Bernard : — Par mon chef ! vous en avez menti. Fussiez-vous cent chevaliers, tous fils d’Aymeric, je serai partout votre chef : c’est moi qui vous guiderai et qui vous donnerai châteaux et villes et riches fiefs. Cette réponse attira l’attention du messager sur Guillaume : il remarqua qu’il était grand et robuste, et il lui parut extrêmement fort, d’un caractère fier et peu endurable. Il se dit à part lui : — Si Dieu prête vie à ce jeune homme et qu’il soit armé chevalier, maint Turc et maint Esclavon mourront de sa main : il les chassera de leur pays et deviendra leur effroi. Les choses en étaient là, quand la noble Hermengard intervint, et s’adressant à Aymeric, lui dit : — Monseigneur, tous sept sont nos enfants, ne les laissez pas se disputer. Si l’Empereur vous mande auprès de lui, allez-y, je vous en prie et emportez avec vous tant d’or qu’à la cour on ne vous tienne pas pour un homme de rien. Aymeric fut de l’avis de la comtesse. Il tira Guillaume de côté et lui dit : — Mon fils, tel a été mon amour pour toi, que jamais tu n’as exprimé un désir le soir qu’il ne fût accompli le matin suivant. C’est maintenant à toi de faire ma volonté ; or, viens avec moi en France, pour entrer au service de l’empereur. C’est mon devoir d’obéir à ses ordres, puisque c’est de lui que je tiens mon fief : c’est lui qui me confia Narbonne. — Vous ne m’avez jamais parlé de cela, reprit Guillaume. C’est donc votre volonté arrêtée que j’aille avec vous à Paris, père ? — Certes, beau fils, et nous partirons demain au point du jour. J’emmènerai avec moi mille braves chevaliers armés. — Eh bien ! j’irai avec vous, père. Mais emportez avec vous tant d’or qu’on ne nous tienne pas à la cour pour des hommes de rien. — Soyez sans crainte, répondit Aymeric. Alors le comte Guillaume prenant à part son frère aîné Bernard et sa mère, leur dit : — Remarquez bien que notre père ne nous avait jamais parlé de ses rapports avec Charlemagne. Je le suivrai à la cour de l’empereur, et dès qu’il m’aura armé chevalier, j’irai en Espagne pour faire la guerre aux païens. Je frapperai tant de coups de mon épée, qu’elle sera ensanglantée jusqu’à la poignée. Et quand je me serai rendu maître de toute l’Espagne, j’en donnerai tant à chacun de mes frères qu’ils auront plus que mon père, le comte Aymeric, n’a jamais possédé. — Mon fils, répondit la mère, j’en serais bien heureuse. On passa encore cette nuit à Narbonne. Le lendemain à l’aube, Aymeric, le messager de l’empereur et ses fils montèrent à cheval. On chargea sur des sommiers des malles pleines d’or, de draps de soie et de lampas et de belles peaux de martre. Guillaume à la blanche face, lui aussi, monta à cheval. Dame Hermengard embrassa sa jambe et lui donna un baiser sur les deux joues. — Tu pars, mon fils, lui dit-elle, que Jésus t’ait en sa garde et que Dieu te fasse accomplir de grandes choses. Moi uploads/Geographie/ le-cycle-de-guillaume-d-x27-orange.pdf

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