Joël Goffin Le secret de Bruges-la-Morte 2 février 2011 Le secret de Bruges-la-
Joël Goffin Le secret de Bruges-la-Morte 2 février 2011 Le secret de Bruges-la-Morte de Joël Goffin est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 Belgique. Site bruges-la-morte.net Dépôt légal enregistré à la Bibliothèque Royale de Belgique le 15 juillet 2011 sous le n° B 2011 2.530 Post CXX Annos patebo (1892-2012) Cette étude est dédiée à Julien Behaeghel Décidément il était le bon génie de la cité, qui la révélait à elle-même, lui mettait au jour d’occultes trésors, qu’elle ignorait. Georges Rodenbach, Le Carillonneur. Il émane de lui quelque chose d’immatériel et d’extraterrestre. Un regard curieusement voilé, et puis cette bouche qui ne s’ouvre jamais. Il est le silence incarné. Alma Schindler-Mahler évoquant Georges Rodenbach. Celui qui veut savoir quelque chose sur moi – comme artiste seul fait notable – devra observer attentivement mes œuvres et par elles seulement chercher à y reconnaître qui je suis et ce que je veux. Gustav Klimt. Ils ont des yeux et ne voient point. Jérémie. Assis au milieu, Georges Rodenbach au béguinage de Bruges (1893). Photo : Flori Van Acker. 7 En guise de postface... C’est Paul Gorceix (1930-2007), professeur émérite à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III et membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, qui m’a encouragé à entreprendre une lecture ésotérique de Bruges-la-Morte. J’avais conversé avec lui à maintes reprises à l’occasion de la préparation de l’Exposition Georges Rodenbach ou la Légende de Bruges qui s’est tenue au Musée départemental Stéphane Mallarmé (2005) en Seine-et-Marne. J’en étais le commissaire scientifique. Paul Gorceix écrivit pour le catalogue de l’Exposition une pertinente analyse de l'analogie dans l'imaginaire du poète de Bruges. En mars 2012, après avoir écrit cette étude, j'ai enfin trouvé le temps de lire in extenso sa biographie de Georges Rodenbach, l’un de ses derniers ouvrages. Et j'ai découvert que l’article consacré à Bruges-la-Morte semblait effectivement initier mes recherches qui s'étalèrent principalement de 2006 à 20111. Je tiens ici à rendre hommage aux immenses connaissances de Paul Gorceix sur nos Lettres, ainsi qu’à sa disponibilité la plus désintéressée en ce qui concerne sa contribution à l’histoire et à l’étude du symbolisme littéraire belge. Voici quelques extraits de l’article de Paul Gorceix consacré à Bruges-la-Morte : Le regard ouvert à l’occulte, à ce que les autres ne voient pas, constitue une des bases de la structure de Bruges-la-Morte. […] Entre l’illuminisme de Swedenborg, les doctrines occultistes, le magnétisme et les recherches menées au XIXe siècle sur la problématique de l’homme intérieur, il y a continuité et même filiation. […] La dimension de l’occulte chez Rodenbach n’a pas suffisamment été prise en compte. Elle est pourtant présente dans Bruges-la-Morte […] Cette source occulte ne doit pas être négligée dans la création littéraire de Rodenbach, même si elle est non dite. 1 Paul Gorceix, Georges Rodenbach (1855-1898), Honoré Champion, Paris, 2006, pp. 130-151. 8 9 1. Bruges, la perle du Nord Bruges est à l'origine un débarcadère gagné sur les caprices de la mer du Nord. Vers 865, le fonctionnaire royal Baudouin Bras-de-Fer enlève Judith, la fille de Charles le Chauve, puis s'enferme dans une enceinte fortifiée. Il est considéré comme le fondateur du comté de Flandre. L'existence d'un estuaire, le Zwin, qui permet aux nefs gorgées de marchandises d'arriver à proximité de Bruges, favorise l'expansion de l'agglomération. Celle-ci se transforme rapidement en immense entrepôt des marchés du Nord (Flandre, Champagne, Île-de-France et Angleterre), du monde latin (Espagne, Gênes et Florence) et autres (pays de la mer Baltique). Durant plusieurs siècles, le puissant vassal tient la dragée haute au roi de France. Philippe d’Alsace (1143-1191), comte de Flandre « par la grâce de Dieu », comme il se plaît à le proclamer, n’est-il pas à un moment donné le tuteur du jeune Philippe Auguste (1165-1223) et les lys héraldiques n’ont-ils pas figuré sur le sceau de la ville de Bruges jusqu’au milieu du 13ème siècle ? Un exemple symbolique de cette toute-puissance : le comte de Flandre apporte « en dot » à l'héritier du trône de France le sang « pur » des carolingiens. L'union de Philippe Auguste avec Isabelle de Hainaut, qui descend par ses deux parents de Charles de France ou de Lorraine (953-991), permet en effet de légitimer définitivement la dynastie des 10 capétiens considérée par d'aucuns comme usurpatrice. Au sacre du roi de France, le comte de Flandre aurait tenu l'épée fabuleuse de Charlemagne surnommée « Joyeuse ». Coïncidence ou non, à partir de ce règne, les capétiens ne se croiront plus obligés de se faire couronner de leur vivant. La cathédrale Saint-Donat de Bruges détruite sous le régime français pour des raisons peu claires imitait le plan de la Chapelle palatine de l'empereur Charlemagne mythifié. Toujours est-il que les rois de France considéreront pour longtemps leurs vassaux du Nord comme des rivaux à l’ambition démesurée et aux intérêts économiques proches de ceux de l’Angleterre. Comme des ennemis à combattre sans relâche. Au début du 15ème siècle, devenue bourguignonne au gré des alliances de ses princes, la ville connaît son apogée. Les activités commerciales intenses, les cérémonies fastueuses de l'Ordre de la Toison d'Or, le rayonnement international des peintres Van Eyck et Memling ne laissent rien présager de l'imminence du déclin. La fin tragique de Charles le Téméraire dans les marécages de Nancy suivie de la mort accidentelle de sa fille, Marie de Bourgogne, plonge dans la guerre civile une cité jalouse de ses libertés. Les troubles coïncident avec l'ensablement inexorable de l'estuaire du Zwin, qui donnait accès à la mer du Nord. Une situation dont la ville d'Anvers, à l’embouchure de l’Escaut, plus cosmopolite, résolument tournée vers l’avenir et favorisée par le pouvoir de tutelle tirera le plus grand avantage. Durant la période espagnole et ses guerres de religion, une partie de l'élite intellectuelle, convertie aux idées de la Réforme, émigre aux Pays-Bas ou en Allemagne, comme les familles des peintres Frans Hals et de Pierre-Paul Rubens. Touchée de plein fouet par le déclin de l'industrie drapière, Bruges, au milieu du 19ème siècle, est l'une des villes les plus pauvres du jeune Royaume de Belgique. La « belle endormie » n'abrite désormais plus que 40.000 habitants, soit autant qu'au 14ème siècle (ils étaient au moins 100.000 autour de 1500) ! dont plus de la moitié survit grâce à la mendicité et à un artisanat pénible, principalement celui de la dentelle. Trois faits majeurs lui permettront de sortir de sa léthargie dans le dernier quart du 19ème siècle. Une importante colonie anglaise, aisée et cultivée, s’établit durablement à Bruges. Cette ville, qui semble tirée d’un roman de Walter Scott, se trouve idéalement placée sur la route du pèlerinage obligé au champ de bataille de Waterloo. La proximité géographique et un coût de la vie plus favorable encouragent également ce mouvement démographique lent mais constant durant des décennies. Les sujets de Sa Gracieuse Majesté appuient les autorités municipales dans leur volonté de renforcer le caractère médiéval et romantique de Bruges. C’est le début d’une restauration systématique, parfois lourde, des monuments historiques de la cité intra-muros. En 1892, le succès parisien de Bruges-la-Morte attire sur elle l'attention des lettrés de l'Europe entière qui viennent s'imprégner du climat supposé morbide et fatal de cette nouvelle Thulé, au grand dépit de la population locale qui rejette l’étiquette négative accolée à leur ville. Plus fondamental pour les habitants, le projet de Bruges-Port-de-mer, l'actuel Zeebrugge, destiné à renouer le contact avec la mer salvatrice mobilise toutes les énergies des notables. En 1907, le nouveau port est inauguré dans la liesse populaire. 11 Pour la défense de Rodenbach, il convient de signaler les propos de Karel van de Woestijne (1878-1929), poète de grande valeur et militant du mouvement flamand, qui écrivait en 1902, l’année de la fastueuse exposition brugeoise consacrée à Memling, que la ville se trouvait plongée dans « un rêve morbide, s’accrochant à la splendeur moyenâgeuse » et qu’elle était le « dernier bastion du traditionalisme gothique ». Aspect de Bruges (1904-1905). Fernand Khnopff. 12 2. Un vénérable grand-père Il y a de l’atavisme dans les œuvres et l’hérédité, ici aussi, explique mon amour pour cette Bruges admirable, que je serais heureux d’avoir assurée d’un peu de gloire auprès des esprits artistes de la France. Georges Rodenbach cité par Arthur Daxhelet2 Contrairement à une légende tenace – que le poète lui-même accréditait dans les milieux littéraires français ! – Georges Rodenbach n'est pas né à Bruges. Il n'y a même résidé que de façon épisodique. Il a vu le jour à Tournai (Hainaut belge), une ancienne ville romane située à deux pas de la métropole lilloise. Sa mère, Rosalie-Adélaïde Gall, descendait en ligne directe d'une famille alliée aux noms les plus marquants de cette bourgade traversée par l'Escaut qui, à bien des égards, rappelle Bruges. De nombreux monuments de la cité flamande ont été construits en pierres de Tournai. Par sa similitude avec celui de la cathédrale scaldienne, le chœur de l’église Notre-Dame constitue uploads/Geographie/ le-secret-de-bruges-la-morte.pdf
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- Publié le Jan 23, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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