arXiv:2211.14254v1 [math.NT] 25 Nov 2022 Séminaire Bourbaki du vendredi Novembr

arXiv:2211.14254v1 [math.NT] 25 Nov 2022 Séminaire Bourbaki du vendredi Novembre 2022 6e année, 2022–2023, no 33 LES CONJECTURES DE WEIL : ORIGINES, APPROCHES, GÉNÉRALISATIONS par Antoine Chambert-Loir Résumé. — Je retracerai l’histoire des conjectures de Weil sur le nombre de solutions d’équations polynomiales dans un corps fini et quelques unes des approches qui ont été proposées pour les résoudre. Abstract (The Weil conjectures: origins, approaches, generalizations) I recount the history of the conjectures by Weil on the number of solutions of polyno- mial equations in finite fields, and some of the approaches that have been proposed to solve them. 1. PROLOGUE : GAUSS Dans ses Disquisitiones arithmeticae, Gauss (1863 [1801]) démontrait plusieurs théo- rèmes qui dénombrent les solutions de certaines équations en congruences modulo un nombre premier. Il prouve par exemple que le nombre de couples (푥, 푦) d’entiers modulo 푝tels que 푥2 + 푦2 ≡1 (mod 푝) est donné par N(푥2 + 푦2 = 1) = 푝−  −1 푝  , où · 푝  désigne le « symbole de Legendre » modulo 푝, défini par 푎 푝  = 0 si 푝divise 푎, 1 si 푎est un carré modulo 푝(l’expression était « résidu quadratique »), et −1 sinon. Il utilisait ensuite cette formule pour établir la « loi complémentaire » de sa loi de réciprocité quadratique (theorema aureum) disant que 2 푝  vaut 1 si 푝≡±1 (mod 8) et −1 si 푝≡±3 (mod 8). La dernière entrée de son agenda, publié par Klein (1903), est une affirmation du même genre : Observatio per inductionem facta gravissima theoriam residuorum biqua- draticorum cum functionibus lemniscaticis elegantissime nectens. Puta si 푎+푏푖est numerus primus, 푎−1+푏푖per 2+2푖divisibilis, multitudo omnium solutionum congruentiae 1 ≡푥푥+ 푦푦+ 푥푥푦푦 (mod 푎+ 푏푖) inclusis 푥= ∞, 푦= ±푖; 푥= ±푖, 푦= ∞ 33–02 fit = (푎−1)2 + 푏푏. 1814 Iul. 9. Autrement dit, on considère un nombre premier 푝congru à 1 modulo 4. D’après Fermat, il s’écrit sous la forme 푎2 + 푏2 (de sorte que 휋= 푎+ 푏푖est un premier de l’anneau Z[푖] des entiers de Gauss). Quitte à échanger 푎et 푏, on suppose que 푎est impair et 푏est pair; quitte à remplacer 푎par −푎, on peut supposer que 푎+ 푏≡1 (mod 4); alors, 푎−1 + 푏푖est divisible par 2 + 2푖dans Z[푖]. De manière équivalente, on impose que (푎−1)2 + 푏2 est divisible par 8, d’où 푝−2푎+ 1 ≡0 (mod 8); lorsque 푝≡1 (mod 8), on a donc 푎≡1 (mod 4), tandis que lorsque 푝≡5 (mod 8), on a 푎≡3 (mod 4). Gauss affirme alors que le nombre de couples (푥, 푦) dans Z tels que 푥2 + 푦2 + 푥2푦2 = 1 modulo 푝est égal à (푎−1)2 + 푏2 −4 = 푝−2푎−3. C’est toutefois une conjecture que Gauss énonce ici — observatio per inductionem facta gravissima — et plusieurs mathématiciens après lui en proposeront des démonstra- tions : Herglotz (1921); Chowla (1949). Pourtant, ainsi que le rappelle Weil (1949), Gauss avait démontré des résultats analogues pour les congruences cubiques 푎푥3 −푏푦3 ≡1 (mod 푝) (Gauss (1863, §358)) et biquadratiques 푎푥4 −푏푦4 ≡1 (mod 푝), 푦2 ≡푎푥4 −푏 (mod 푝) (Gauss (1863 [1801], §23)) On a par exemple N(푦2 = 1 −푥4) =          2 si 푝= 2; 푝−1 si 푝≡3 (mod 4); 푝−1 −2푎 si 푝≡1 (mod 4), où l’on a écrit 푝= 푎2 + 푏2 avec 푎≡푝(mod 8). 2. ESTIMATION ET DÉNOMBREMENT Hasse & Davenport (1935) et Weil (1949) généralisent ces formules à toutes les équations de la forme 푚 Õ 푖=1 푎푖푥푛푖 푖= 1 non seulement en congruences modulo un nombre premier 푝, c’est-à-dire dans le corps fini Z/푝Z, mais dans un corps fini arbitraire. Leur solution est exprimée en termes de sommes de Gauss ou de Jacobi (introduites par Gauss) et met en évidence de très grandes régularités. Ces questions, et notamment la réflexion de Weil, sont nées de la fusion de deux motivations assez différentes. 33–03 Dans sa thèse, Artin (1924a,b) avait poursuivi l’analogie entre corps de nombres et corps de fonctions entamée par Dedekind (1857) en mettant en vis-à-vis le corps Q des nombres rationnels et les corps de fractions rationnelles F푝(푥) en une indéterminée 푥à coefficientsdansZ/푝Z. Il meten regard l’anneauZdesentiersrelatifsetcelui F푝[푥] des polynômes, tous deux des anneaux principaux, les nombres premiers correspondent aux polynômes irréductibles unitaires, les unités ±1 aux polynômes constants non nuls et les entiers strictement positifs aux polynômes unitaires. En observant que pour 푛> 0, on a 푛= Card(Z/(푛)) tandis que pour un polynôme unitaire P, on a Card(F푝[푥]/(P)) = 푝deg(P), l’analogue de la fonction zêta de Riemann 휁Z(푠) = Õ 0<푛 1 푛푠= Ö 푝premier 1 1 −푝−푠 est la série 휁F푝[푥](푠) = Õ 0≠I⊆F푝[푥] 1 Card(F푝[푥]/I)푠= Ö P irréductible unitaire 1 1 −푝푠deg(P) . Artin poursuivait donc cette analogie des nombres rationnels aux corps quadra- tiques en étudiant l’arithmétique des corps de la forme F푝(푥)( p 푓(푥)) obtenus en adjoignant à F푝(푥) une racine carrée d’un polynôme sans facteur carré 푓. Il introdui- sait en particulier leur fonction zêta et démontrait que c’est une fraction rationnelle de 푞−푠, établissait leur équation fonctionnelle, vérifiait la « formule analytique du nombre de classes », les utilisait pour étudier l’analogue des théorèmes des nombres premiers et de la progression arithmétique. Il vérifiait aussi, mais seulement dans un petite nombre de cas (§23), l’analogue de l’hypothèse de Riemann, c’est-à-dire que les zéros de ces fonctions zêta soient des nombres complexes de partie réelle 1/2; il avait apparemment en vue la finitude de l’ensemble des corps de ce type dont le nombre de classes est donné. En des termes géométriques encore anachroniques, dont la nécessité n’apparaîtra que peu à peu, il étudie la courbe affine hyperelliptique d’équation 푦2 = 푓(푥). En Grande-Bretagne, Davenport (1933), alors élève de L. J. Mordell, tentait d’esti- mer des « sommes exponentielles » analogues aux sommes de Gauss, du genre Õ 푥∈Z/푝Z  푓(푥) 푝  où 푓est un polynôme. C’est une somme de 푝termes égaux à ±1, et parfois 0; guidé par l’heuristique qu’elle devrait être de l’ordre de √푝, il obtenait une majoration non triviale, en O(푝3/4) lorsque 푓est unitaire de degré 4. En observant que 1 + 푓(푥) 푝  est le nombre de solutions dans Z/푝Z de l’équation 푦2 = 푓(푥), on a Õ 푥∈Z/푝Z  푓(푥) 푝  = N(푦2 = 푓(푥)) −푝 faisant un lien entre les deux questions. 33–04 Peu après sa thèse, Artin avait étendu son étude en remplaçant Z/푝Z par un corps fini arbitraire. Ainsi, il a pu montrer que la validité de son hypothèse de Riemann était inchangée si l’on étendait le corps fini, sans modifier le polynôme 푓et en déduire des familles de polynômes pour lesquelles l’hypothèse est vérifiée. Selon Roquette (2018), il semble que ce soit cette vérification qui lui ait permis de croire en la véracité de l’hypothèse de Riemann. Roquette publie cependant une lettre qu’Artin écrit à Herglotz dans laquelle il se plaint de l’attitude quelque peu « mandarinale » de Hilbert lors de son exposé à Göttingen et explique qu’il souhaite subitement abandonner ce sujet. (Pour une description de ces lettres d’Artin à Herglotz et les travaux non publiés d’Artin, voir aussi Ullrich (2000).) Dans les années suivantes, M. Deuring et F.K. Schmidt ont mis en place la théorie des courbes sur un corps fini, notamment leurs fonctions zêta. C’est cependant Artin qui a expliqué à H. Hasse, lors d’une visite à Hamburg en 1932, le lien entre le problème de majoration de sommes d’exponentielles et l’analogue de l’hypothèse de Riemann, convaincant le second de s’y attaquer : en 1935, Hasse résoudra le cas des courbes elliptiques, c’est-à-dire lorsque le polynôme 푓a degré 3 ou 4. 3. LES CONJECTURES DE WEIL Pour énoncer les conjectures générales de Weil, nous adoptons désormais un lan- gage géométrique. Considérons donc un corps fini 푘et une variété algébrique V sur 푘, c’est-à-dire, suivant son goût, un schéma de type fini sur 푘, ou bien un système d’équations polynomiales { 푓1(푥1, . . . , 푥푚) = · · · = 푓푟(푥1, . . . , 푥푚) = 0} à coefficients dans 푘. L’ensemble V(푘) des points 푘-rationnels de V correspond aux solutions dans 푘푚du système { 푓1 = · · · = 푓푚= 0}; comme le corps 푘est fini, c’est un ensemble fini et on note N(V) son cardinal. Soit 푞le cardinal de 푘. La théorie des corps finis apprend que 푞est une puissance de la caractéristique 푝de 푘et qu’inversement, toute puissance de 푝est le cardinal d’un corps fini, unique à isomorphisme près. Ainsi, toute puissance 푞푛de 푞est le cardinal d’un corps fini 푘푛qui est l’unique extension de degré 푛de 푘. On notera N푛(V) le cardinal de V(푘푛). Introduisant une indéterminée 푡, Weil (1949) définit alors la série formelle à coef- ficients rationnels ZV(푡) = exp ∞ Õ 푛=1 1 푛N푛(V)푡푛 . Motivée par les calculs que Weil avait faits au début de son article, cette formule peut-être étrange généralise les définitions de Dedekind et Artin. En effet, les points uploads/Geographie/ les-conjectures-de-weil-origines-approches-generalisations.pdf

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