ÉPOQUES EST UNE COLLECTION DIRIGÉE PAR JOËL CORNETTE Illustration de couverture

ÉPOQUES EST UNE COLLECTION DIRIGÉE PAR JOËL CORNETTE Illustration de couverture : Estampe illustrant un occasionnel publié en 1755, intitulé Lisbonne abîmée ou idée de la destruction de cette fameuse ville. © 2005, CHAMP VALLON, 01420 SEYSSEL WWW. CHAMP-VALLON. COM ISBN 2-87673-414-1 ISSN 0298-4792 LES TREMBLEMENTS DE TERRE AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES Grégory Quenet LES TREMBLEMENTS DE TERRE AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES LA NAISSANCE D’UN RISQUE Champ Vallon REMERCIEMENTS Le moment des remerciements permet de prendre conscience de toutes les aides et encouragements qui ont rendu possible un travail de si longue haleine. Par sa manière de diriger ce travail, Daniel Roche a su le faire mûrir, refusant heureusement mes demandes répétées pour changer de sujet de thèse. J’ai une dette particulière envers l’ouverture d’esprit et l’enthousiasme d’Agnès Levret qui a accepté de faire découvrir les séismes français à un non-sismologue. Les échanges intellectuels et amicaux avec Bruno Helly ont été déterminants pour éclairer cet objet historique, souvent si difficile à construire. Je repense aussi aux très nombreuses discussions stimu- lantes avec René Favier, Claude Gilbert, Jean-Marc Moriceau, Geneviève Massard-Guilbaud, Jacques Berlioz, Laurent Loty, Nicole Pellegrin, Serge Briffaud, Jacques Bernet, Catherine Verna, Jean Vogt. Ce travail n’aurait pu voir le jour sans le soutien de l’Institut de Radio-Protection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), Électricité de France (EDF) et le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM) qui m’ont accordé leur confiance et la possibilité d’accéder à leurs riches fonds. Je tiens à remercier particulièrement leurs représen- tants, Jérôme Lambert, Marc Durrouchoux et, encore une fois, Agnès Levret. Ma dette envers l’IRSN est consi- dérable car cet institut a financé mes nombreux déplacements dans les archives provinciales et sur le terrain. Au sein de cet organisme, le service du BERSSIN m’a accueilli avec générosité, sous la direction de Fabrice Cotton puis de Catherine Berge. Oona Scotti et David Baumont n’ont pas ménagé leurs efforts pour répondre à mes interrogations sur les séismes, me fournir des cartes et des données. Les cartes ont été réalisées par Paul-David Régnier qui a eu l’amitié de me consacrer beaucoup de temps, après avoir joué un rôle direct dans ma rencontre avec les tremblements de terre. De nombreux amis ont nourri mes lubies telluriques, Michaël Biziou, Nicolas Franck, Jean L’Ivonnet, Frederik Steenbrink, Yann Sordet. Sans l’aide constante de Joël Cornette, je n’aurais pu améliorer ainsi ce livre et il a été pour moi un modèle d’écriture ainsi qu’une présence amicale encourageante. Patrick Beaune a su faire preuve d’une grande patience avec moi et a fait bénéficier mon manuscrit de toute sa compétence d’éditeur, avec le renfort de Myriam Monteiro-Braz. Le département d’histoire de l’Université Paris-VIII, en m’accueillant pendant quatre années, m’a donné la pos- sibilité de réaliser la thèse à l’origine de ce livre. Le soutien amical des modernistes a été précieux. Mes collègues de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yelines, Chantal Grell et Steven Kaplan, ont su m’encourager pour la réécriture finale. Enfin, un si long travail ne se fait pas tout seul. Carole a été constamment à mes côtés pendant toutes ces années. 6 INTRODUCTION Voici une curieuse histoire, qui pourrait s’intituler Comment Frédéric le Grand, roi de Prusse, a interdit l’existence des tremblements de terre dans son royaume. Le récit commence le matin du 18 février 1756, lorsque le bruit se répand à Magdeburg, dans le royaume de Prusse, qu’un tremblement de terre a été ressenti au Monastère de Berge1. Blumenthal, président de la Chambre de la guerre et des domaines du duché de Magdeburg, exige aussi- tôt un rapport de l’abbé dudit monastère. Certaines personnes ont ressenti une nette secousse du bâtiment à ce moment, tandis que la majorité n’a rien noté, ce qui permet au clerc d’exclure un tremblement de terre. Cependant, le même jour et à la même heure, une secousse tellurique est observée à Halle, et immédiatement relatée par le journal de la ville2. L’article rapporte soigneusement le nom des témoins, les lieux d’observation et la direction sud-nord indiquée par une paire de ciseaux et un couteau de chasse. Un mouvement identique, rappelle le périodique, a été observé par le pasteur d’un bourg voisin, le 1er novembre de l’année passée. Cette commotion s’est révélée coïncider avec le fameux tremblement de terre de Lisbonne. L’histoire ne fait que commencer car Lamprecht, président de la ville de Halle, conseiller à la guerre et aux domaines, envoie le numéro des Hallische Zeitungen le 20 février au président de la Chambre de Magdeburg. De son côté, Lamprecht penche plutôt pour une rafale de vent inhabituelle. Sceptique lui aussi, le journal de Magdeburg, le Magdeburg. privilegirte Zeitung, ne rend compte des secousses ni à Magdeburg ni à Halle3. En revanche, son concurrent à Halle fait le récit de la secousse à Magdeburg dans son numéro du 21 février, contredit immédiatement par le Magdeburgische du 26 février qui accuse l’imagination de s’être emparée d’un simple coup de vent4. 7 1. D. Heinemann, « Friedrich der Grosse und dass Erbeben in Magdeburg und Halle a. S. von 1756 », Geschichtsblätter für Stadt und Land Magdeburg, n° 45, 1910, pp. 359-362. 2. Hallische Zeitungen, n° 29, 19 février 1756. 3. Magdeburg. privilegirte Zeitung, n° 24, 24 février 1756. 4. Magdeburgische, n° 25, 26 février 1756. Entre-temps, le président de la Chambre, Blumenthal, a écrit au roi le 22 février en faisant sien le point de vue de l’abbé Steinmetz et de Lamprecht, président de la ville de Halle. La réponse de Frédéric le Grand ne se fait pas attendre. Dans une lettre au même Blumenthal, le roi tranche en affirmant qu’un « tel bruit s’est plus produit dans l’imagina- tion de quelques personnes fantaisistes et craintives que dans la réalité », que l’article du journal de Halle n’est « qu’exagération et légèreté, il a voulu ainsi induire le public en erreur ». Il commande donc de « déclarez partout que le premier qui s’aviserait à nouveau de parler de secousse tel- lurique serait mis en prison »1. Une fois communiqué, cet ordre est appli- qué strictement par les journaux du duché de Magdeburg. Cet interdit ne les empêche pas, dans les semaines qui suivent, de rapporter plus ou moins en détail les phénomènes sismi ques observés le même jour et à la même heure en d’au tres lieux, en particulier au bord du Rhin, en Hesse, en Westphalie, aux Pays-Bas. Le même séisme est relevé en France, par exemple à Clermont. Dans son Petit journal, Legras de Préville indique qu’il « a tout au plus duré le temps qu’un homme employeroit à faire deux pas ; il n’a fait aucun tort »2. L’ampleur prise par cet épisode place en pleine lumière la figure de la catastrophe et son importance dans la culture des Lumières : au royaume du despote éclairé, la calamité naturelle n’a pas sa place. Le fameux trem- blement de terre du 1er novembre 1755 est bien sûr en cause car il détruit Lisbonne et ébranle les esprits européens, déclenchant un vaste débat phi- losophique. Les événements prussiens montrent, cependant, que les polé- miques ne se limitent pas aux cercles érudits et touchent le roi, les respon- sables locaux, les savants, les gazettes urbaines, voire les hommes ordinaires. La profusion des interventions sur les séismes étonne et dépasse les années 1750. Les tremblements de terre mettent en jeu le sens à donner à la Providence et à la quête de bonheur ici-bas. Ils interrogent la capacité de la science à expliquer les phénomènes physiques et les attentes des contemporains envers les savants. Pourtant l’importance historique des aléas naturels est encore largement sous-estimée par les historiens, pour ne pas dire ignorée. Que savons-nous des séismes en dehors du désastre de Lisbonne ? Comment les hommes des décennies précédentes les appréhen- daient-ils et qu’en connaissaient-ils ? Aujourd’hui encore, le désastre de Lisbonne éveille nos souvenirs d’éco- liers, qui du Poème sur la destruction de Lisbonne, qui des mésaventures de Pangloss et de Candide dans la capitale du Portugal. Cette postérité litté- raire ne doit cependant pas faire oublier la nécessaire déconstruction de INTRODUCTION 8 1. Archives royales de Magdeburg, Rep. A 9 n° 575. 2. BM de Clermont (Oise), ms. 43 : Legras de Préville, Petit journal et Mémoire de mes affaires, ainsi que des choses dont j’ay été curieux de me retracer le souvenir pour ma satisfaction particulière, jour par jour, suivant l’ordre des dattes, commençant par le 6 octobre 1755 (fol. 13). l’événement. Toutes les catastrophes naturelles ne suscitent pas un reten- tissement européen, et le séisme de Lisbonne est sans doute la première d’entre elles à y parvenir. Quelles que soient les rumeurs en circulation, ce fléau n’est pas le plus meurtrier de l’époque moderne. Faut-il alors recon- naître au philosophe, à Voltaire, le pouvoir d’ériger le phénomène naturel en événement européen ? Certaines interprétations ont défendu cette thèse, mais le succès des attaques voltairiennes révèle une curiosité collec- tive forte, rentre en écho avec d’autres prises de position. Toutes ces questions sont centrales mais restent classiques dans leur for- mulation, car elles relèvent de uploads/Geographie/ les-tremblements-de-terre-aux-xviie-et-xviiie-siecles.pdf

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