L’heure du crime Dominique Renaud Chapitre I Vendredi, 13 janvier. Les rues de

L’heure du crime Dominique Renaud Chapitre I Vendredi, 13 janvier. Les rues de La Rochelle1 sont désertes. Comme son port : on peut y apercevoir une dizaine de bateaux, tout au plus. L’horloge de la vieille ville indique 17 h 45. Depuis deux jours, il pleut. Les habitants ne sortent pas, et les commerces sont fermés. Rue Bonpland, il fait nuit noire. Une pluie fine lave les rues. Un décor un peu triste, celui d’après Noël, lorsque toutes les lumières s’éteignent et que les gens rentrent chez eux. Une seule porte éclaire faiblement le trottoir: celle du Café de la Marine. Un endroit tranquille, à ce qu’on dit et calme. Un homme entre et dit bonsoir au garçon de café qui tourne alors son regard vers lui. 0 Bonsoir, répond-il. Le barman est grand et large d’épaules, avec une boucle à l’oreille droite. 1 Vous désirez ? 2 Un demi2 Le client s’est installé à une table, au fond du bar, le dos contre le mur. Face à lui, une dizaine de tables rondes aux chaises vides. 3 C’est l’hiver, dit le patron. En hiver, il n’y a personne. 4 Sauf moi. Quelque chose qui ressemble à un sourire se dessine au coin des yeux de l’inconnu. L’idée d’être en vacances, peut-être, car dans la vie cet homme ne sourit pas. Jamais. 5 Vous venez d’où ? 6 De Paris. 7 Voyage d’affaires ? 8 Je suis en vacances. Je ne connais pas cette région. 9 Pourquoi venir à cette époque ? En juillet, c’est beaucoup mieux. La vie culturelle occupe une place importante, ici. Il y a les festivals; les Francopholies3, surtout. Mais, peut-être vous n’aimez pas la chanson française ? 10 Je n’aime pas la foule. 11 Solitaire ? 12 Non. Mais quand on habite Paris, on apprécie le calme. Et cette bière, elle arrive ? 13 Tout de suite, monsieur. Soudain, la porte du café s’ouvre. Un homme apparaît. Grand, maigre, la main gauche sur son cœur. L’autre main tient encore la poignée de la porte. Il essaie de dire quelque chose. Trop tard. Il jette un dernier regard vers le comptoir, pousse un cri, puis tombe, tête en avant. 1 La Rochelle: ville de l’ouest de la France, sur l’océan Atlantique. Connue comme ville historique et lieu du festival annuel de la chanson française. 2 Un demi: grand verre de bière. 3 Les Francopholies : festival de la chanson franco-canadienne, qui a lieu chaque été. Le barman le regarde fixement, un verre à la main, un torchon4 dans l’autre. Il est devenu tout pâle. Déjà son client est penché au-dessus du corps immobile, qu’il retourne sur le dos. L’homme a reçu un coup de couteau près du cœur. Il en est presque sûr. La victime est jeune : trente ans à peine. Taille 1,80 m. Vêtements élégants. Aucun papier. Aucun document. Sauf une photographie, d’un format carte d’identité, trouvée dans sa poche de pantalon. Le client la prend, la range dans son portefeuille, puis regarde sa montre. 18h :04. 14 Il est mort, dit-il en se redressant lentement. Vous le connaissez ? 15 Jamais vu, répond le barman. Il revient à son comptoir, se prend la tête entre les mains, puis lève les yeux. Il regarde le corps sans vie et se met à jouer avec le verre vide entre ses doigts. Il tremble comme une feuille. De grosses larmes refusent de tomber sur le bord de ses yeux. 16 Il faut appeler la police, dit-il enfin. 17 La police… répète le client en se tournant vers l’homme. Vous l’avez devant vous ! Chapitre II L’inspecteur Simoni est parisien de naissance. Il a passé toute sa jeunesse et une partie de sa vie d’adulte à Paris. Il vient de fêter ses cinquante ans et travaille dans la police depuis vingt-cinq ans. Célibataire depuis toujours, mais père d’un enfant adoptif, qui est aujourd’hui un jeune homme. L’inspecteur Simoni est un très bon père. C’est l’une des deux choses qu’il fait le mieux, avec la cuisine. D’ailleurs, à la police, on l’appelle « papa-gâteau » ! Pour l’heure, il est venu à La Rochelle pour se reposer et visiter la ville, qu’il ne connaît pas. Mais, le meurtre de la veille vient de modifier ses plans de vacances : déjà, il n’a pas pu faire la grasse matinée. On lui a fixé un rendez-vous ce matin pour 8 h 30, sur les lieux même du crime. Simoni n’a donc pas dormi, car il a passé une partie de la nuit dans les bureaux du commissariat pour faire sa déposition5. 8h 25. Dans la petite rue Bonpland, les voitures des journalistes et de la télévision régionale s’arrêtent les unes derrière les autres, en face du Café de la Marine. Simoni attend devant la porte d’entrée le commissaire Broussac. Celui-ci arrive quelques minutes plus tard en compagnie d’un policier et lui demande de passer à l’intérieur du café afin de pouvoir parler tranquillement. 18 Je suis vraiment désolé pour cet accident, dit-il à Simoni en lui serrant la main. Une façon très désagréable de prendre contact avec notre ville. Je suppose que vous êtes en vacances ? 19 C’est exact. 20 Depuis quand ? 21 Je suis arrivé hier par le TGV de 16h 50. 22 Si je comprends bien, vous n’avez pas encore pris le temps de visiter La Rochelle ? 4 Torchon: toile utilisée pour essuyer la vaisselle. 5 Déposition: déclaration d’un témoin, témoignage. 2 23 Non, en effet. J’ai eu juste l’occasion d’apercevoir le port de plaisance, au sud de la ville, l’un des plus importants d’Europe, m’a-t-on dit. Mais je sens que je vais beaucoup aimer cette ville. 24 Et ses habitants ? 25 Pour le moment, je n’en connais que deux: le patron du Café de la Marine, et ce jeune homme qui, malheureusement, n’a pas eu le temps de me parler. 26 Votre impression sur ce crime? 27 Je pense que la victime n’est pas entrée dans ce café par hasard. 28 Racontez-moi comment cela s’est passé. L’inspecteur explique: son arrivée dans le café désert; la discussion avec le barman, puis l’apparition soudaine du jeune homme, la chemise pleine de sang, enfin le coup de fil à l’hôpital et quelques instants plus tard, à la police. 29 Le seul problème, c’est qu’il n’avait aucun papier sur lui. Je ne sais donc pas qui c’est. 30 Moi, si! répond le commissaire. Thierry de Vallombreuse. Fils du député Charles de Vallombreuse. Simoni le regarde, surpris. 31 Les journalistes le savent ? 32 Pas encore. 33 Vous pouvez me faire en quelques mots le portrait de Thierry de Vallombreuse ? 34 Facile. Thierry est âgé de 28 ans. Diplômé d’études commerciales. Élève brillant. Cinq ans plus tôt, il se marie avec une jeune femme, universitaire, fille d’un grand industriel de la région nantaise6, avec qui il a un enfant. Brigitte, son épouse, est ce qu’on appelle une belle femme. Visage bien dessiné, cheveux bruns, yeux bleus, elle fait penser à Isabelle Adjani7. 35 Côté cœur, aucun problème, semble-t-il. Bref, un couple heureux, presque parfait. 36 Pourquoi « presque » ? 37 Parce que la perfection n’existe pas, répond le commissaire dans un soupir. Parlons à présent de cet autre témoin: Morbier. D’après vous, il ne connaissait pas la victime ? 38 C’est ce qu’il dit. Mais… tenez, j’ai trouvé ça sur M. de Vallombreuse, fait l’inspecteur en lui remettant la photo d’identité prise dans l’une des poches de pantalon du mort. 39 Intéressant, très intéressant… Qu’en pensez-vous ? 40 Rien pour le moment. Je préfère attendre un peu. Voir venir. C’est une habitude chez moi. 41 Vous avez raison. Cela dit, je dois tenir compte de cette photographie. Je ne peux pas faire autrement. Le commissaire se tourne vers le policier qui garde l’entrée. 6 Région nantaise: autour de la ville de Nantes, à l’ouest de la France. 7 Isabelle Adjani: actrice de cinema française. 3 42 Dumas, faites venir M. Morbier. L’homme arrive un instant plus tard. Le commissaire lui pose quelques questions. Morbier répond. Mais, très vite, Broussac a l’impression que l’homme récite une leçon apprise par cœur. 43 Vous êtes le patron de ce café ? lui demande-t-il. 44 Le gérant, seulement. 45 Il y a longtemps que vous travaillez ici ? 46 Six mois. 47 Six mois ? Qui s’occupait du café avant vous ? 48 Hervé Chottard. 49 Ce café paraît être une bonne affaire. Pourquoi n’est-il pas resté ? 50 Je… je ne sais pas. Le commissaire sent que l’homme lui cache quelque chose. 51 Que faisiez-vous avant de venir ici ? 52 Je… j’étais au chômage. 53 Vous êtes de la région ? 54 Non, je suis breton8. De Brest. Mais j’ai longtemps vécu à Nantes. 55 Tiens! Comme c’est bizarre. 56 Pourquoi ? 57 Parce que la victime est du même endroit. 58 Ah ? 59 Vous ne la connaissiez pas, m’avez-vous dit ? 60 Non. 61 Vous en êtes sûr ? 62 Certain. 63 Vous savez que cela uploads/Geographie/ lheure-du-crime.pdf

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