Crédits Photo Couverture : Vincent Kauffmann - http://earthworm.online.fr Bertr

Crédits Photo Couverture : Vincent Kauffmann - http://earthworm.online.fr Bertrand Lambert TF1, une expérience Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Les éditions du 117, 2006 « Il arrive que de l’anecdotique émerge le fondamental. » Edwy Plenel, Un temps de chien « Au cours de l’année 2000, le Conseil n’a pas eu à connaître de cas de manquements aux dispositions à visée déontologique sur l’antenne de TF1. » Rapport annuel du CSA sur TF1 7 Roulette russe. Je n’avais jamais imaginé faire un stage à TF1. Je n’avais d’ailleurs rien demandé. Mais lorsque la directrice de formation de l’IPJ m’a proposé de mettre fin à ma scolarité deux mois plus tôt que prévu, le diplôme de l’école en poche, pour aller me confronter à la réalité du métier au sein de la rédaction qui confectionne le JT le plus regardé de France, je n’ai évidemment pas dis « non ». Ne soyons pas hypocrite, quels que soient l’opinion ou les a priori que l’on peut avoir, et les étudiants en école de journalisme ne sont pas les derniers à émettre des doutes vis-à-vis de la première chaîne généraliste française, aucun jeune journaliste, fraîchement diplômé mais aux épaules encore frêles car toujours sans carte de presse et déjà à la recherche de piges ou de CDD pour payer son loyer, ne peut refuser ce qui est alors considéré par tous comme « une chance incroyable ». Au mieux une passerelle royale vers le monde du travail, au pire une expérience journalistique et humaine de premier ordre. La désignation des deux heureux élus de la promo appelés à côtoyer PPDA et consorts avait d’ailleurs fait beaucoup jazer. De nombreux étudiants, mais aussi parfois les professeurs- intervenants, se demandant ouvertement, et à juste titre, quels avaient été les véritables critères de sélection. Un quasi- psychodrame, preuve de l’intérêt porté par mes camarades pour ces huit semaines en immersion dans la rédaction de TF1. La directrice l’admit à demi-mot : j’avais été désigné parce que j’étais le seul de la promo à être passé par la rue Saint-Guillaume, autrement dit à pouvoir me prévaloir du diplôme de Sciences Po. Pas sûr qu’elle vantait là l’esprit de synthèse ou la capacité à mieux appréhender le monde, enseignés par le prestigieux corps professoral de l’IEP, mais plutôt une ligne sur un CV appelé à impressionner mes futurs interlocuteurs au sein de la chaîne. Je n’avais donc pas véritablement été choisi pour mes qualités de rédaction audiovisuelle, loin d’être si évidentes notamment par rapport à certains de mes camarades. Mon cas n’était pourtant pas le plus choquant, à en croire la vox populi. Celle qui allait m’accompagner cristallisait clairement autour de son nom les rancœurs de mes camarades. Dès le premier jour de scolarité, 8 cette étudiante s’était montrée littéralement obsédée par la télé en général, et par TF1 en particulier : elle avait notamment fait des pieds et des mains pour piger pour le site internet de TF1, dès la fin 1999, une façon détournée de mettre un premier pied au cœur de l’empire TF1. Elle souhaitait, et ne s’en cachait pas, devenir la Claire Chazal du siècle qui allait bientôt s’ouvrir. Son principal atout : une présentation impeccable, très chic, très bourgeoise, assez proche du modèle bimbo des présentatrices « Barbie » de LCI ou des Miss Météo de Canal +. Mais ses tailleurs Chanel et sa silhouette avantageuse avaient du mal à cacher la platitude des ses prestations, somme toute très ordinaires, lors des ateliers télé du jeudi. Les protestations, parfois virulentes, notamment de la part d’étudiantes à la plastique tout aussi redoutable, si ce n’est plus encore, et à l’ego déjà très développé, fusèrent de toute part. Sans succès. Faute d’explications rationnelles, les rumeurs les plus folles circulèrent sur le compte de l’étudiante désignée : pistonnage familial, filiation indirecte avec Etienne Mougeotte… autant de on-dit que ma camarade entretenait plus ou moins en laissant délibérément planer le doute, notamment sur cet éventuel lien de parenté avec le numéro 2 de TF1. Elle et moi irions donc à TF1, nos camarades de l’atelier télévision devant se contenter de stages d’été dans les Bureaux régionaux d’information (BRI) de France 3, à travers l’Hexagone, ou sur LCI, alors encore situé au 78, rue Olivier de Serres dans le 15eme arrondissement de Paris1. 1 Le déménagement de LCI au pied de la tour TF1 (et le rapprochement qui s’en suivit entre les rédactions des deux chaînes) eut lieu quelques semaines plus tard, en septembre 2000. 9 Règles du jeu. A l’époque -depuis les règles du jeu ont été sensiblement modifiées- chaque école de journalisme reconnue par la convention collective des journalistes avait la possibilité d’envoyer à TF1 deux de ses étudiants de deuxième année (ou quatre si l’école dispensait une formation spécifique de JRI2) dans le cadre de conventions de stage de durée variable, sur lesquelles je reviendrai plus tard. Sélectionnés différemment selon les cas, avec plus ou moins de transparence, une dizaine de jeunes diplômés, a priori les meilleurs de leur promo, étaient donc envoyés au 1, quai Point du Jour à Boulogne-Billancourt, dans cette tour de verre se dressant fièrement face à la Seine, à l’intérieur de laquelle l’entreprise TF1 mettait au point sa stratégie industrielle et gérait, avec succès sur un plan financier et de notoriété, le budget pour l’information le plus important de France (700 MF en 2000, soit 14,4% du coût de la grille3). Une tour d’ivoire inaccessible aux non-initiés dont Pierre Péan et Christophe Nick avaient révélé trois ans plus tôt les rouages intimes et l’incroyable mode de fonctionnement (nature incestueuse des rapports entre la chaîne et les responsables politiques, instrumentalisation de l’antenne au profit de Bouygues etc…) dans TF1, un pouvoir, un pavé très documenté de 700 pages, publié chez Fayard, qui avait fait grand bruit. La plupart des conventions de stage courraient du 1er mai au 30 juin. Les stagiaires avaient donc deux mois pour faire leurs preuves, s’enrichir de l’expérience des glorieux confrères avec 2 Le JRI (Journaliste Reporteur d’Images), est un « journaliste spécialisé dans la prise de vues d’images animées, apte à recueillir, à apprécier et à exploiter des éléments d’information audiovisuelle. Il doit unir aux capacités techniques de l’opérateur de prise de vues les qualités d’initiative et de jugement du journaliste reporter. Il est responsable de la qualité technique de la prise de vues et co-responsable avec le rédacteur reporter du contenu informatif des images du sujet prêt à diffuser » (extrait de l’annexe 3 de la convention collective nationale de travail des journalistes). 3 Le budget de l’information, en baisse de 50 MF par rapport à 1999, représentait en 2000 le troisième poste de dépense de la chaîne après les acquisitions programmes de fiction (1305 MF) et le sport (850 MF). Source : Rapport annuel 2000 du CSA sur TF1. 10 lesquels ils allaient avoir la chance de travailler, avant de se disputer lors de joutes journalistico-verbales les premières places du fameux prix Francis Bouygues, celui que toutes les écoles de journalisme s’enorgueillissent d’avoir décroché, ne serait-ce qu’une fois. Dans sa plaquette de présentation, le Celsa4 n’hésite pas, par exemple, à mettre en avant qu’un de ses anciens étudiants a remporté en 1994 la bourse TF1… même phénomène sur le site internet de l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), où sont publiés les noms des anciens primés par la profession, un peu comme un club de foot qui exhiberait ses trophées… Dans la guéguerre que se livrent à fleuret plus ou moins moucheté les différentes écoles de journalisme, tout est bon pour attirer les meilleurs candidats possibles à leur concours d’entrée. Chaque année, il faut le savoir, la profession organise des concours ouverts aux élèves des écoles de journalisme ou aux jeunes diplômés, destinés à susciter et favoriser des carrières de journalistes spécialisés notamment dans l'écriture télévisuelle ou radiophonique. Les lauréats bénéficient de bourses d’études, de stages, de contrats… Ces distinctions restent des références professionnelles pour le lauréat, et pour l’école qui l’a préparé. Le prix Francis Bouygues du Reportage, créé par TF1 en 1991, est considéré comme l’une des bourses les plus prestigieuses : c’est le must des concours télés, bien loin devant la bourse Jean d’Arcy attribuée depuis 1984 par France Télévision, l’équivalent des bourses radios Francis Lauga (Europe 1) ou Jean-Baptiste Dumas (RTL). Les lauréats, rédacteur et JRI, effectuent un stage rémunéré d'un an au sein de la rédaction de TF1 avec la perspective d'un recrutement éventuel. La mission des stagiaires- candidats dont je faisais partie était donc double : faire honneur à leur école et tenter de se faire une place au soleil de TF1. C’est dire la responsabilité qui pesait sur nos frêles épaules. Les stagiaires arrivèrent les uns après les autres, au compte- gouttes. A quelques exceptions près, dont les dents acérées ne 4 Le Celsa est l’Institut des hautes études en sciences de l’information et de la communication, basé à Paris : il dispense une formation en deux ans reconnue par la uploads/Geographie/ tf1-une-experience.pdf

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