Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie par Olga Kapeliouk /

Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie par Olga Kapeliouk / Le Monde diplomatique L.-J. Calvet rappelle, dans cette nouvelle édition révisée, que le colonialisme s’est toujours accompagné d’une domination linguistique imposant, avec plus ou moins de succès, la langue des colonisateurs à la population locale. Il montre comment l’emploi de la langue importée par l’administration et son expansion, à la faveur du néo-colonialisme, au sein des élites urbaines locales (à l’exclusion des paysans), correspondent à la division en classes sociales de la société colonisée : ainsi la lutte contre la domination linguistique se confond-elle avec la lutte des classes et avec le combat nationaliste, la langue étant le « maquis du peuple » (p. 155). Cette analyse se fonde surtout sur la politique de la France alors que le colonialisme a suivi plusieurs voies dans ce domaine. La Belgique au Congo dans le passé et l’Afrique du Sud à l’heure actuelle ont tout fait, par exemple, sous le faux prétexte de respecter la langue maternelle des divers peuples, pour les enfermer dans un ghetto linguistico-culturel les empêchant de communiquer entre eux et de forger un nationalisme noir. La révolte de Soweto, en 1976, n’a-t-elle pas éclaté parce qu’on a voulu supprimer l’enseignement de l’anglais dans les écoles des Noirs ? L’auteur a tendance, d’autre part, à idéaliser la situation après l’élimination de la langue du colonisateur. A l’exception de deux ou trois, les Etats africains sont tous plurilingues et le choix d’une langue officielle commune y est souvent ressenti comme un acte de domination d’une ethnie sur les autres peuples. Olga Kapeliouk Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie Petite Biblioth que Payot, 2002 (rééd.), 328 p., 10,40 €.  par Alice Krieg Mensuel N° 128 - Juin 2002 Les représentations mentales Linguistique et colonialisme, réédité ici en poche, a paru pour la première fois en 1974. Il est devenu depuis un classique de cette branche des sciences du langage que l'on nomme la politique linguistique (l'auteur préfère parler plus justement de politologie linguistique). Celle-ci s'intéresse aux rapports qu'entretiennent les langues et le politique, que ces rapports s'exercent entre des langues différentes (par exemple, prééminence de l'anglo-américain dans les échanges scientifiques internationaux) ou à l'intérieur d'une même langue (volonté de réduire l'écart entre variantes régionales, réformes de simplification de l'orthographe...). Au cours de cet ouvrage écrit dans le contexte d'une décolonisation en voie d'achèvement, Louis-Jean Calvet s'attache à décrire et illustrer la « glottophagie ». Ce terme est assez explicite : une langue en mange une autre. Mais les chemins qui conduisent à la glottophagie ont la complexité des sociétés humaines : ils mêlent l'histoire et la géographie, les intérêts politiques, économiques, religieux et scientifiques. La description des langues à laquelle travaillent les linguistes a longtemps servi à justifier l'entreprise coloniale, à l'instar de l'anthropologie physique. La distinction entre ce qui relèverait du « dialecte » (toujours péjoratif, celui du sauvage et de la tribu) et ce qui relèverait de la « langue » (valorisée, celle du civilisé et de la nation) est un de ces outils à demi scientifiques qui légitiment la domination. Plus largement, un ensemble de qualificatifs aux fondements scientifiques très contestables distribue les langues sur une échelle de valeur : il y aurait des langues plus claires, plus riches, plus aptes à nommer l'abstraction... Autre aspect de la glottophagie : en situation de conquête, une des modalités de l'oppression d'un peuple ou d'une communauté passe par la domination exercée sur sa langue. Plus d'un quart de siècle après l'édition initiale, certaines des données exposées dans ce volume sont obsolètes, et les analyses, marquées du sceau de l'engagement explicite de l'auteur contre l'impérialisme colonial, s'appliquent à des situations dont plusieurs ont disparu. Des passages sont en outre un peu techniques pour le non-spécialiste. Reste que ce livre a le poids de ceux qui ont contribué à ouvrir des champs de recherche et d'action. uploads/Geographie/ linguistique-et-colonialisme-petit-traite-de-glottophagie.pdf

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