Magazine école Séquence Société Institut Français de Presse Master 2 Promotion
Magazine école Séquence Société Institut Français de Presse Master 2 Promotion 2010 Rédaction et édition, dossier réalisé par : Coraline Bertrand, Gwénola de Coutard, Rémi Dupré, Yann Leon, Fabien Ortiz Rédaction en chef : Eric Pelletier, Fabien Rocha Directeur de la publication : Rémy Rieffel Responsable administrative : Laurence Durry Institut français de presse Université Panthéon-Assas-Paris II 4 rue Blaise-Desgoffe, 75 006 Paris 01 53 63 53 20 D ’ un côté, les hommes, dé- tenus. Visages fermés, re- gards durs et crânes rasés, ils affichent un air sombre. De l’autre, les femmes, sous contrôle judiciaire. Apprêtées et maquillées, elles semblent se demander ce qu’elles font là. Sept trentenaires, organi- sateurs du trafic, face à huit jeunes femmes que l’appât du gain a transformé en « mu- les », des passeuses selon le jargon du milieu. Au total, une centaine de kilos de cocaïne a été acheminée en France par ce réseau, de 2005 à 2007. Importée de Colom- bie, la drogue transitait par la Guyane, le Sénégal, la Gui- née-Bissau, la Côte d’Ivoire ou le Mali, ce qui confirme le rôle désormais prépondérant de l’Afrique de l’Ouest dans le trafic de cocaïne (lire p.4). La came passait ensuite par les Pays-Bas ou la Belgique avant d’être écoulée en région pari- sienne. Le président de la 14e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, Thierry de Bonnefon, hérite d’un dossier relative- ment simple. Écoutes, aveux, saisies : tous les éléments à charge concordent. Les « mu- les » reconnaissent les faits. Et les trafiquants se rendent à l’évidence. Alors qu’il a nié pendant toute l’instruction, le présumé chef du réseau, Mo- hamed Benazzouz, admet son rôle de leader. Oui, il était l’organisateur du trafic. Oui, il récupérait la marchandise, la vendait et en consommait beaucoup. Silhouette élancée, boule à zéro et regard d’acier, Mohamed ris- que gros. Récidiviste – à l’instar de ses co-prévenus – il savait gé- rer son business. Le « big boss » possédait un bel appartement à Amsterdam (Pays-Bas), une su- perbe Ferrari, une luxueuse villa à Dakar (Sénégal), un énorme 4x4 Hummer… Colérique, in- timidant et à l’insulte facile, Mohamed Benazzouz faisait pression sur ses « filles ». La- mia en a fait l’expérience. Aujourd’hui mère d’un bébé de deux mois, elle a touché 10 000 € pour l’acheminement de 22 kg de drogue. Léger ma- quillage, cheveux lissés et gros- ses boucles d’oreilles créoles, elle lui réclamait une rallonge pour avoir transporté plus de Quinze prévenus comparaissent jusqu’au 23 mars devant le tribunal correctionnel de Paris pour un trafic de cocaïne entre le Sénégal et la région parisienne DOSSIER La coke part à l’assaut du marché français 2 - Société Magazine IFP Mars 2010 Magazine IFP Mars 2010 3 - Société coke que prévu. « Comment ça, tu veux plus de thune ?! (…) Sale pute, tu t’prends pour qui ? T’es pas assez payée, pétasse ? T’as qu’à aller porter plainte au commissariat ! » Impassible, le président poursuit sa lecture du rapport d’écoutes, sans sour- ciller. Les avocats ricanent. « J’ai été naïve, je regrette », s’excuse d’emblée Nadia. Doyenne des passeuses, elle aura 46 ans en mai. En un an, elle a transporté 10,5 kg de cocaïne en plusieurs voyages au Sénégal et en Guyane. Un business allé- chant, à 2 000 € le kilo rapporté. Ce kilo sera pourtant revendu 60 000 € au consommateur. Divorcée et mère d’un gar- çon de 9 ans, Nadia a accepté ce « job » pour l’argent. Elle précise : « Si c’était à refaire, je les dénoncerais à la police. » Le président ironise sur sa naïveté. La lecture – fastidieuse – des écoutes menées par les enquê- teurs révèle une « mule » prête à négocier sa rémunération com- me une « femme d’affaires ». « Si je recrute une fille, j’veux un pourcentage sur ce qu’elle gagne. » La cocaïne du boss, condition- née en petits sachets, elle l’a scotchée sur sa peau. Comme Fatoumata, Kadidiatou ou Btis- sam. Amies ou cousines, ces femmes présentent le même pro- fil. Jeunes (de 25 à 28 ans), non toxicomanes, célibataires pour la plupart, parfois mères : elles vivent chez leurs parents et peu d’entre elles ont un emploi. Seule Btissam, bientôt 27 ans et mariée depuis neuf mois, avait déjà eu maille à partir avec la po- lice. Barmaid au moment de son interpellation en juillet 2007, elle perçoit aujourd’hui le Revenu de solidarité active. Vêtue de noir, avec un foulard couvrant pudi- quement ses cheveux, elle confir- me ses dépositions. Et raconte comment avec son amie, Farida, elles ont été draguées dans la rue par l’un des prévenus, Sidi, qui leur a rapidement proposé d’en- trer dans la combine. Mais de Dakar, Farida n’a ra- mené qu’un pouce amoché, après une embrouille entre les deux femmes. Face aux risques encourus, elle a choisi de se dé- sister. Btissam, elle, est revenue avec 11 kg de cocaïne. Les débats s’éternisent. Le pré- sident Bonnefon prend le temps de décortiquer toutes les écoutes téléphoniques, de vérifier cha- que déposition des prévenues. Une question revient en boucle : « Vous vous souvenez avoir dit ça ? » Un président atypique Alors que l’assistance pique du nez, le président revigore le prétoire par des remarques incongrues. En plein interroga- toire d’une passeuse, il passe du coq‑à‑l’âne et évoque d’autres af- faires concernant Benazzouz. Il lui reproche de ne pas connaître les personnes citées. Personne ne voit où le président veut en venir. Un avocat : « C’est révé- lateur de ce qu’il a dans la tête. Pour lui, l’affaire est pliée. » Le prévenu fronce les sourcils, il ne comprend pas non plus. Le président précise qu’il plaisante. Sans convaincre. Tandis que les passeuses se suc- cèdent à la barre avec le même discours, Thierry de Bonnefon rappelle la gravité des faits, pour éviter toute banalisation de l’af- faire. Soudain, il s’enflamme. « Ce réseau s’inscrit dans un système de véritables mafias, de trafics à grande échelle… C’est grave ! Et cette affaire repré- sente un boulot de dingue, on s’avale des kilomètres de dos- siers ! Vous êtes jugée devant un tribunal correctionnel alors que les assises devraient en prendre leur part. » Les avocats bondissent, scanda- lisés par une éventuelle crimina- lisation de l’affaire, prévue par l’article 469 du code de procédu- re pénale. Le président s’amuse de ce grabuge. Sans crier gare, le procureur tance vertement le magistrat : « Nous ne sommes pas là pour vous écouter remet- tre en cause la compétence de ce tribunal ! » Grisonnant, l’allure bonhomme, Thierry de Bonnefon s’est fait une réputation par ses petits ré- clats, son humour décalé. Il se révèle un président atypique. « Il a le mérite d’être juste dans ses décisions. Alors que ses as- sesseurs… », confie la défense. « L’envoyer en prison ruinerait sa vie », plaide un avocat. Clope et éclats de rire Fatoumata a touché 8 000 € pour le transport de 4 kilos de coke et 2 000 € pour avoir re- cruté une amie. Son avocat dé- plore les lenteurs de la justice : « Sa situation a évolué depuis son interpellation, il y a deux ans. Elle a un enfant de dix mois, un emploi et s’occupe de sa mère, malade. L’envoyer en prison ruinerait sa vie ! Trois ans pour porter cette affaire devant la justice, c’est scanda- leux. À vous dégoûter du mé- tier. » Commis d’office dans ce dossier, le jeune avocat n’exer- ce que depuis cinq ans. Les bancs du public ne désem- plissent pas. On y devine des amis, de la famille et beaucoup de curieux. Il y a même un ou deux enfants. « Si tu touches à la drogue, voilà ce qui va t’arri- ver ! », plaisante un avocat. Harassées par une après-midi d’interrogatoire, les passeuses décompressent en plaisantant à la sortie du tribunal. Une clope, des éclats de rires. Il faut bien penser à autre chose. Les jeunes femmes risquent jusqu’à dix ans de prison. Récidivistes, les dé- tenus encourent vingt ans de ré- clusion. Fin de l’audience le 23 mars. l Coraline BERTRAND « J’étais la bonne poire » « Lourde toxicomane », selon le président Bonnefon, Sylvie, 47 ans, sort d’une cure de désintoxication. Cette femme au visage fatigué gérait le transport de la drogue de Belgique ou des Pays-Bas jusqu’en France. Seule prévenue d’origine européenne, inconnue de la police, elle pense avoir été choisie pour ne pas éveiller les soupçons. Aujourd’hui, Sylvie estime s’être « fait avoir ». « Je consommais. Mais je risque la prison pour des mecs qui me payaient au lance-pierre. J’étais la bonne poire », se plaint l’ex-cocaïnomane. C.B. Le boss, les « mules » et la blanche De l’Amérique latine à l’Europe La coke est désormais la deuxième drogue la plus consommée en Europe, après le hachisch. Produite en Amérique latine, elle est acheminée par petites quantités grâce à des passeurs surnommés « mules », via les vols uploads/Geographie/ mag-ifp-m2-mars-2010.pdf
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- Publié le Mai 18, 2022
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