114 L'énigm e Pirî Reis L’énigme Pirî Reis Deux cartes du X V Ie siècle posent

114 L'énigm e Pirî Reis L’énigme Pirî Reis Deux cartes du X V Ie siècle posent la plus troublante question sur les civilisations disparues Paul-Émile Victor et Ariette Peltant Planète a la réputation de se lancer dans des hypothèses auda­ cieuses. On lui reproche souvent de ne pas assez présenter ces hypothèses comme telles, mais de laisser parfois planer une impres­ sion d'affirmation. Nous n'hésitons pas, dans l’ar­ ticle que voici, à suivre la voie des hypothèses audacieuses. Mais nous insistons sur le fait qu 'il ne s'agit de rien d'autre. Moins encore d'affirmations. Les vrais scientifiques sont des poètes et des imaginatifs. Sans eux, la science n'existerait pas. Les autres sont des comptables, des épiciers; ils ne découvrent pas. Et d ’ ailleurs: que la vie serait ennuyeuse sans imagination! Paul-Émile Victor. « Il n'y a rien dans ce livre qui ne soit basé sur des cartes », écrivait Pirî Reis. et ce livre contenait des cartes qui défient notre science. Notre passé est entièrement remis en question «C ette carte du monde a 5 000 ans et même davantage. Mais elle contient des données encore antérieures de plusieurs milliers d'années. » L'hom m e qui fait cette surprenante déclaration est un technicien qui a occupé un poste officiel: Mr. I. Walters, longtemps attaché comme cartographe au Service hydrographique de la Marine am é­ ricaine. Ce qu ’il avance, même s’il parle en son nom personnel, n'engage pas que lui, d ’autant que cette phrase fut prononcée publiquement. Il s’agissait, en 1956, d'un Forum radiodiffusé de l’Université de G eorgetow n, consacré aux cartes de Pirî Reis, et auquel participaient, outre Mr. Walters, le R.P. Linehan, de la Compagnie de Jésus, sismologue, membre de l'Observatoire de Boston College, membre des expéditions de l'U.S. Navy en A ntarc­ tique, et Arlington H. Mallery, l'hom me des cartes de Pirî Reis, leur « inventeur» au sens étymologique du terme. Et tous deux souscrivirent sans réserve à l'affirmation de Mr. I. Walters. Le sujet, signalé pour la première fois par Paul-Émile Victor, fut repris d ’abord dans le Matin des Magiciens, puis dans Planète. Un professeur américain, Charles H. Hapgood, a étudié pendant plusieurs années avec ses élèves le problème: son livre, les Anciens Rois de la terre, constitue un événem ent susceptible de bouleverser les conceptions de l’histoire de la civilisation. Les cartes de Pirî Reis ont une réalité historique, parfaitement datée et contrôlable, qui com m ence en 1513, et une réalité Les civilisations disparues 115 «préhistorique» au sens technique du terme, c’est-à-dire uniquement conjecturelle et sans documents à l’appui, celle d’avant 1513. Ces cartes furent retrouvées au Musée Topkapi Commençons par ce que l’on sait de façon sûre et irréfutable. Le 9 novembre 1929, M. Malil Edhem, directeur des Musées nationaux turcs, en faisant procéder à un inventaire et à un clas­ sement de tout ce que contenait alors le fameux Musée Topkapi à Istanbul, découvrit deux cartes du monde — où plutôt des fragments — que l’on croyait disparues à jamais: celles de Pirî Reis1, célèbre héros (pour les Turcs) ou pirate (pour, tous les autres) du xvi' siècle, qui relate abon­ damment les conditions et les circonstances dans lesquelles il fit ces cartes, dans son livre de mémoires, le « Bahriye »2 Le seul récit écrit n’avait alors guère retenu l’attention, mais la carte allait peu à peu le valo­ riser considérablement. En fait, il fallut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que l’étude comparée des cartes et du texte de Pirî Reis soit réellement entreprise. D’une famille de grands marins turcs, Pirî Reis, un remarquable homme de mer, multiplia les succès aux quatre coins de la Méditerranée et des mers avoisinantes, remporta de nombreux succès navals et contribua à asseoir la suprématie mari­ time, incontestée alors, de l’Empire ottoman. Mais Pirî Reis était un homme cultivé et intel­ ligent: il prit, tout en courant l’aventure, le temps d’écrire le « Bahriye », qui fourmille de notations pittoresques et vivantes sur tous les ports de la Méditerranée et de cartes variées (215 au total). Il prit aussi, avant d’écrire, celui d’établir deux cartes du monde, l’une en 1513, l’autre en 1528 (sous le règne de Soliman le Magnifique). Il fut un cartographe d’une conscience exem­ plaire. Il commence par affirmer que la confection d’une carte demande des connaissances appro­ fondies et une qualification indiscutable. Dans sa préface au «Bahriye», il évoque longuement sa première carte dessinée dans sa ville natale, Gelibolu, du 9 mars au 7 avril 1513 (an 919 de l’hégire). Il déclare que, pour l’établir, il a compulsé toutes les cartes existantes connues de lui, certaines très secrètes et très anciennes, une vingtaine environ, y compris des cartes orientales qu’il était sans doute le seul à l’époque à connaître en Europe. Sa connaissance du grec, de l’italien, de l’espagnol et du portugais l’aida grandement à tirer le meilleur parti des indications portées sur toutes les cartes qu’il consulta. Il avait aussi, naturel­ lement, en main une carte établie par Christophe Colomb lui-même, qu’il avait eue grâce à un membre de l’équipage du célèbre Génois: ce marin avait été capturé par Kemal Reis, oncle de Pirî Reis, et put donc en outre compléter orale­ ment la science de notre cartographe turc. Christophe Colomb n'a pas découvert l'Amérique Jusque-là, l’œuvre de Pirî Reis n’avait qu’un intérêt anecdotique, encore que ce ne soit pas un intérêt mineur, témoignage de la grandeur du passé pour les Turcs, démystification des « pirates barbaresques » pour les Européens3. Le « Bahriye» resta donc longtemps un « classique» turc pour gens cultivés. Pourtant, avant même que les cartes dont il parle ne fussent connues et et ne posassent un point d’interrogation à nombre de chercheurs dans le monde entier, sa connais­ sance approfondie aurait permis aux historiens d’éviter leur plus monumentale erreur, qui fut d’affirmer que Christophe Colomb avait décou­ vert l’Amérique. Il l’a redécouverte, ou plus exactement il a révélé à l’Europe occidentale ce continent dont l’existence n’était jusqu’alors connue que de quelques initiés. Le témoignage de l’amiral turc est net et sans équivoque. C’est dans le chapitre sur « La mer occidentale » (nom longtemps donné à l’océan Atlantique) qu’il parle abondamment du navigateur génois et qu’il raconte ainsi son aventure: « Un infidèle, dont le nom était Colombo et qui était génois, fut celui qui découvrit ces terres4. 116 L’énigme Pirî Reis Un livre était parvenu dans les mains dudit Colombo et il trouva qu’il était dit dans le livre qu’au bout de la Mer Occidentale, tout à fait à l’Ouest, il y avait des côtes et des îles, et toutes sortes de métaux et aussi de pierres précieuses. Le susdit ayant longuement étudié le livre, alla solliciter l’un après l’autre les notables de Gênes et leur dit: «Voilà, donnez-moi deux bateaux pour aller là-bas et découvrir ces terres.» Ils dirent : « O homme vain, comment peut-on trouver une limite à la Mer Occidentale? Elle se perd dans le brouillard et la nuit. » » Le susdit Colombo vit qu’il ne pouvait rien attendre des Génois et se hâta d’aller trouver le Bey d’Espagne pour lui raconter son histoire en détail. On lui répondit comme à Gênes. Mais il sollicita si longtemps les Espagnols que leur Bey lui donna finalement deux bateaux, fort bien équipés, et dit: « O Colomb, s’il arrive ce que tu dis, je te fais Rapudan de cette contrée. » Et ayant dit, le roi envoya Colombo sur la Mer Occiden­ tale.» Pirî Reis passe ensuite au récit que lui a fait le marin de Christophe Colomb qui était devenu son esclave. Inutile de relater toiit ce récit, rendant compte de l’étonnement des marins européens devant les sauvages plus qu’à demi nus qu’ils trouvèrent sur les îles où ils mirent d’abord pied. Une mention pourtant est essentielle à notre propos: « Les habitants de cette île5 virent qu’aucun mal ne leur venait de notre bateau; aussi ils prirent du poisson et nous le portèrent en se servant de leurs canots. Les Espagnols furent très contents et leur donnèrent de la verro­ terie car Colombo avait lu dans son livre que ces gens aimaient la verroterie. » Ce détail extraordinairement surprenant et qui à notre connaissance n’a pas encore été commenté, prend encore plus de relief si l’on se rapporte aux indications portées en légende d’une de ses cartes, où Pirî Reis affirme que le livre en 1. En turc, «reis» veut dire «anim al» et «pirî» « l’admirable, le sublime». De sorte que Pirî Reis est plutôt un titre honorifique qu’un nom proprement dit. 2. C’est-à-dire « Le livre de la mer » ou « de la navigation ». 3. Ces « pirates barbaresques » pullulaient dans la littérature euro­ péenne de l’époque. Qu’il suffise de citer le fameux « Que diable allait-il faire dans cette galère? » 4. Pirî Reis dit: « l’Antilia » - nom générique alors de toute l’Amérique. 5. Il nous est bien difficile de savoir laquelle. uploads/Geographie/ mapas-de-piri-reis.pdf

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