Note de l’auteure Chères amies lectrices, chers amis lecteurs, Je vous emmène à

Note de l’auteure Chères amies lectrices, chers amis lecteurs, Je vous emmène à nouveau en Alsace, une de nos belles régions de France, où j’avais donné vie à l’ouvrage Les Fiancés du Rhin. C’est avec un grand plaisir que j’ai mis à l’honneur la jolie ville de Colmar et sa « Petite Venise » , un de ses quartiers les plus anciens et les plus pittoresques. Je ne vous propose pas une série, cette fois-ci, mais un roman et son héroï ne, Lisel, jeune couturière pleine de rê ves et passionnée par le domaine de la mode. Nous sommes au cœur des années 2 0 , qui ont vu la femme se libérer des corsets, des jupes longues, couper ses cheveux. Lisel suit son chemin, semé d’embû ches, en quê te d’amour et de réussite. En cette période de fê tes, je vous invite à l’accompagner, sous la radieuse lumière des mille feux de Noël. Je tiens aussi à redire, mê me si cet avertissement figure sur chaque ouvrage sérieux, que toute ressemblance avec des personnes existantes serait fortuite, et que les événements sont fictifs, hormis ceux signalés comme authentiques par une note. Agréable lecture, 1 La morsure des flammes Colmar, rue des Clefs, mercredi 1 9 novembre 1 9 2 4 Lisel était sortie de son pas dansant de l’atelier de couture. Elle y exerçait comme première main depuis trois mois, chargée de diriger et de surveiller le travail de trois ouvrières, ses « petites mains ». Toutes les quatre étaient employées par Mme Erna Weiss, la patronne du magasin Aux confections pour dames. Au moment d’entrer dans l’arrière-boutique, la jeune femme hésita, puis elle eut un sourire rassuré. « C’est son jour de congé, songea-t-elle. J’ai dix bonnes minutes devant moi. » Elle tourna la poignée, considéra le décor familier de la pièce où on entreposait des rouleaux de tissu et des toilettes prêtes à être livrées, emballées dans du papier. — Mais… Le réchaud à alcool était allumé et dispensait des flammèches bleuâtres. Lisel n’eut pas le temps de s’interroger davantage. La porte claqua dans son dos. Un léger bruit lui indiqua qu’on poussait la targette. — Alors, ma jolie, tu viens faire ton petit trafic ? fit la voix rocailleuse de Karl Landolt, le commis. L’homme, un quadragénaire bourru, la harcelait de ses avances grossières. Son manège avait commencé deux semaines plus tôt. — Monsieur Karl, vous devriez avoir honte ! s’indigna-t-elle. Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous n’étiez pas censé travailler aujourd’hui. — Je voulais te prendre la main dans le sac, rétorqua-t-il. Vois un peu ce que j’ai déniché, bien caché sous les coupons de lainage ! C’est ça que tu 1 venais chercher ? — Mes croquis ! — Oui, des dessins de mode, pas mal du tout en plus ! L’homme, grand, brun, buriné, brandissait sous son nez une liasse de feuilles couleur sépia. — Mme Weiss ne serait pas contente, si elle savait que ce que tu fabriques dans son dos, se moqua-t-il. Pareil pour la robe de soirée, celle que tu as planquée à l’étage. Je t’ai à l’œil, ma petite caille ! Furieuse, Lisel le fixait d’un air écœuré. Elle n’en pouvait plus de ses insinuations salaces, de ses sourires équivoques ponctués de caresses discrètes, à la moindre occasion. — Est-ce que vous allez me laisser tranquille, à la fin ? s’écria-t-elle. Rendez-moi mes croquis ! Elle essaya d’attraper le rouleau de feuilles, mais Landolt recula. — Seulement si tu es gentille. Un baiser par dessin, ensuite je ne t’ennuie plus. — Non, jamais. Vous me dégoûtez. — Tant pis pour toi. Tu y tiens, à tes gribouillages, on dirait. C’est dommage. Landolt plaça une première feuille au-dessus des flammes du réchaud. Lisel la vit se consumer lentement. — Arrêtez ça ! dit-elle d’une voix nette, tendue par la colère. D’une main, il l’attira contre lui, en quête de ses lèvres. Elle se débattit, révulsée par son haleine avinée. Il riait en sourdine, émoustillé par son contact. — Allez, ma belle, sois raisonnable, marmonna-t-il. Je t’assure, c’est dans ton intérêt. Belle, la jeune couturière l’était. Â gée de vingt-deux ans, de taille moyenne, mince, les seins hauts, la taille fine, elle avait des traits ravissants, des yeux noirs et de longs cheveux d’un roux sombre, où le soleil faisait naître des reflets d’or rouge. — Vous êtes complètement fou ! se rebiffa-t-elle en le frappant de ses poings fermés. Il la lâcha et plaça toutes les feuilles au-dessus du brûleur. Ivre de rage et de chagrin, Lisel voulut les récupérer, mais Karl Landolt fut plus rapide. Il les souleva, par un des coins encore intact, et les agita en l’air. — Attention ! hurla-t-elle. Six costumes en tulle, suspendus à environ un mètre du réchaud, s’enflammèrent, avant de mettre le feu au rideau de mousseline voilant des étagères. — Bon sang, tu as fait du beau ! grogna le commis, effrayé par la vitesse à laquelle se propageaient les flammes. Faut sortir de là ! Hébété, Landolt ouvrit la porte qui communiquait avec la rue Vauban, à l’arrière du magasin. Le vent s’engouffra, attisant le départ d’incendie. Sans réfléchir, Lisel se saisit de cinq croquis, se brûlant les doigts au passage. Puis, malgré la douleur, elle tira la targette pour se ruer dans le couloir. Le ronflement du brasier l’assourdissait. Elle écarta la lourde tenture qui la séparait de la grande salle aux trois vitrines, où trônaient des mannequins en cire habillés de toilettes à la mode. — Il y a le feu dans l’arrière-boutique, madame Weiss ! cria-t-elle à une élégante personne qui siégeait derrière son comptoir en bois verni. Vite, téléphonez aux pompiers. — Seigneur, gémit celle-ci. J’appelle la caserne ! Vous, prévenez les ouvrières, on doit sortir le plus possible de tissus de prix, et aussi nos derniers modèles ! Alertées par les cris de leur patronne et le grondement de l’incendie, Odile, Gretel et Sofia se ruèrent hors de l’atelier. — Mon Dieu, tout va flamber ! s’affola Odile en découvrant les hautes flammes qui jaillissaient de l’arrière- boutique. — Quel malheur ! Qu’est-ce qui est arrivé ? s’égosilla Sofia. — Vite, courez aider madame Erna, je vous rejoins ! leur ordonna Lisel. Pourtant une fois seule, elle plia ses dessins aux bords roussis, sans se soucier de la douleur qui irradiait de ses mains brûlées, puis monta en courant jusqu’au premier étage. Le feu ravageait le rez-de-chaussée du magasin, situé à l’angle de la rue Vauban et de la rue des Clefs, la voie la plus commerçante de Colmar. Quelques badauds s’étaient attroupés sur le trottoir d’en face. Chaudement emmitouflés, ils évaluaient entre eux les chances de sauver le bâtiment. Debout au milieu de la chaussée, Erna Weiss trépignait d’une rage impuissante, devant l’étendue du désastre. Odile, Gretel et Sofia l’entouraient, muettes de consternation. L’incendie signait pour elles la fin d’un emploi en ces temps de crise économique. — Les pompiers tardent à venir, fit remarquer le commerçant voisin, un des meilleurs cordonniers de Colmar. — Vos apprentis ont bien mis les rouleaux de soie de Chine à l’abri chez vous, monsieur Klein ? lui demanda madame Weiss, ses traits poupins durcis par la colère. — Tout est en lieu sûr, affirma-t-il. Vos derniers modèles aussi, mon épouse les a rangés dans notre chambre. Hé, il faut bien s’entraider. — Je vous remercie, mais quel malheur, quel malheur ! se lamenta-t-elle. Regardez, tout brûle. La commerçante disait vrai. Les flammes léchaient les piliers en bois sculpté, leur peinture verte, elles attaquaient les satins, les taffetas, les tulles, les dentelles sur leur dévidoir. — Et Lisel, madame Weiss, où est-elle ? s’inquiéta soudain Sofia. — Je n’en sais rien, trancha sa patronne. Peut-être bien qu’elle s’est enfuie ! J’ai mon idée ! C’est elle qui m’a prévenue, et c’est peut-être bien elle qui a mis le feu ! Lisel, enfermée dans une pièce du premier étage, ne pensait plus qu’à survivre. Ses yeux sombres, pleins d’effroi, observaient le modeste décor où elle risquait de mourir, prise au piège des flammes. Il y avait un lit de camp, une table, deux chaises et un lavabo. — Je n’aurais jamais dû monter ici, se reprocha-t-elle. Je croyais avoir le temps de redescendre ! Affolée, elle serra plus fort contre sa poitrine un paquet volumineux, en papier kraft, dans lequel était roulée la précieuse robe qui l’avait amenée là. « Un modèle de ma création, se répétait-elle. Je voulais tant prouver à Mme Weiss que j’avais du talent ! » Des grondements sinistres résonnèrent soudain sur le palier, derrière la porte de la pièce. Lisel imagina l’écroulement d’un pan de mur, ou bien l’éclatement des lambris peints en vert pastel de la cage d’escalier. — Je dois sortir de là ! Après avoir hésité un court instant, elle ouvrit en grand la fenêtre qui donnait rue Vauban. Le cœur serré, elle se pencha pour estimer la distance entre les pavés de la rue et l’unique issue qui uploads/Geographie/ marie-bernadette-dupuy-les-feux-de-noel.pdf

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