UNIVERSITE DE PARIS IV – SORBONNE CELSA Ecole des hautes études en sciences de

UNIVERSITE DE PARIS IV – SORBONNE CELSA Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication MASTER 2ème année Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication « Data-Hari » : le journalisme sacrifié sur l’autel des données ? Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD Nom, Prénom : Alexis Chailloux Promotion : 2011-2012 Option : MISC (Médias Informatisés et Stratégies de Communication) Soutenu le : 22 octobre 2012 Note du mémoire : Mention : 2 Remerciements Je voudrais remercier avant toute chose mon rapporteur universitaire, Étienne Candel, ainsi que mon rapporteur professionnel, Anthony Hamelle, pour les nombreuses pistes ouvertes et l’intérêt consacré à mon travail. Je remercie les personnes ayant pris de leur temps personnel pour s’entretenir avec moi : Caroline Goulard, à la passion contagieuse, Pierre Romera, un « ami pour la vie » grâce à Twitter, et Jean-Christophe Féraud, pour sa ferveur du journalisme « avec un grand J ». J’espère les recroiser très vite et poursuivre nos discussions. J’adresse un immense merci à ma grand-mère, ange-gardienne bienveillante et attentionnée durant toute la période de rédaction, sans qui ce mémoire n’aurait jamais pu voir le jour dans les délais impartis. À l’heure d’écrire ces lignes, j’ai une pensée particulière pour elle. Je n’oublie pas mes deux parents, relecteurs d’une rare réactivité, pour leurs commentaires parfois fantasques, souvent rigoureux, toujours utiles. Leur investissement quotidien à mes côtés fut d’une aide précieuse. Merci encore à Marion, Claire et Alix, qui ont participé à la fastidieuse mais nécessaire tâche de relecture. Merci enfin à toute la promotion des MISC 2012, pour les rires, les pleurs, les joies, les déprimes et les encouragements au moment, si redouté, de rédiger le mémoire. Sans ce salutaire espace de décompression, la tâche aurait été plus périlleuse encore. 3 Introduction En 1989, Bill Dedman reçoit le prix Pulitzer du journalisme d’investigation pour son enquête « The Color of Money », publiée dans The Atlanta Journal1. En croisant des bases de données ethno-démographiques et bancaires, il démontre, cartes à l’appui, que l’appartenance ethnique est, toutes choses égales par ailleurs, un facteur de discrimination au moment d’attribuer un prêt immobilier. En 2012, Michal J. Berens et Ken Amstrong reçoivent le prix Pulitzer du journalisme d’investigation pour leur enquête « Methadone and the politics of pain », publiée dans The Seattle Times2. En croisant des bases de données de certificats de décès, d’hospitalisations et de pauvreté, ils démontrent, cartes à l’appui, que la méthadone, analgésique réputé pour sa dangerosité, est systématiquement prescrite par Medicaid, l’assurance-santé publique destinée aux plus démunis, à des fins d’économie budgétaire3. La première enquête relève simplement du journalisme d’investigation, quand la seconde est considérée comme une récompense pour le « journalisme de données »4. Comment expliquer une telle différence de traitement ? 1 FANEN, Sophian, « Les Américains défricheurs du déchiffrage », Ecrans, [disponible en ligne], 4 janvier 2012 (lorsqu’un article a été consulté en ligne, la mention « disponible en ligne » sera faite, l’URL complète et la date de consultation étant indiquées en bibliographie). 2 « Seattle Times methadone investigation wins Pulitzer Prize », The Seattle Times, [disponible en ligne], 16 avril 2012. 3 BERENS, Michael. J., « How we linked methadone to powerty », The Seattle Times, [disponible en ligne], 10 décembre 2011. 4 « Le journalisme de données récompensé », Courrier International, [disponible en ligne], 28 juin 2012. 4 Contextualisation Une première réponse est apportée par le concept d’ « intermédialité », défini par André Gauderault et Philippe Marion pour décrire la genèse du cinéma. Dans ce cadre théorique, un « média naît toujours deux fois5» : une « naissance intégrative » (ou « fausse naissance »), puis une « naissance différentielle » (ou « autonomisation identitaire »). La « naissance intégrative » correspond au moment où une nouvelle technique de traitement de l’information apparaît. À ce moment, le média est encore dépendant d’autres formes médiatiques : « dépourvu de réelle épaisseur paradigmatique (…) son identité lui échappe encore6 ». La « naissance différentielle » intervient lorsque le média s’affirme dans sa singularité, en développant des spécificités identitaires (mode de communication, esthétique, champ sémantique, etc.). Elle coïncide généralement avec une reconnaissance institutionnelle, et se traduit par une augmentation sensible des ressources économiques qui lui sont allouées. À croire Sylvain Parasie, sociologue à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, la « naissance intégrative » du data-journalisme7 daterait de la fin des années 1960, lorsque « l’idée d’utiliser des bases de données comme support à la production d’information apparaît en Amérique du nord8 ». Philip Meyer révèle ainsi en 1967 dans le Detroit Free Press, que les jeunes étudiants Noirs ont autant participé aux émeutes de la ville que les jeunes Noirs sans qualification, contrairement à une théorie « populaire chez les éditorialistes9 ». Mû par l’idée d’exploiter les outils statistiques des sciences sociales à des fins d’investigation, et séduit par les promesses du développement de l’informatique, il rédige même un manuel, The New Precision Journalism10. Cette technique, qui prend finalement le nom de CAR - Computer Assisted 5 GAUDERAULT, André, MARION, Philippe, « Un média naît toujours deux fois ... », Sociétés et représentations, n° 9, 2000, pp. 21-36. 6 Ibid., p. 21. Appliqué à l’objet de leur recherche, deux auteurs montrent ainsi que le cinéma des premiers temps n’était pas considéré comme tel – le début d’un nouveau genre médiatique - mais comme un moyen parmi d’autres de réaliser des disciplines bien établis (fééries, mystères, etc.). 7 Tout au long de ce mémoire, les terminologies « data-journalisme » et « journalisme de données » seront utilisées sans guillemets et indifféremment pour désigner l’objet de recherche. Lorsqu’il s’agira de souligner une orthographe particulière, des guillemets seront systématiquement ajoutés. 8 Cité dans : INIZAN, Maël, « Chicago : de la prohibition au data-journalisme », Sillicon Maniacs, [disponible en ligne], 24 mars 2011. 9 [« Popular with editorial writers »] in MEYER, Philip, The New Precision Journalism, 4e Éd (1973), Rowman & Littlefield Publishers, 2002, p. 14. 10 Ibid., 304 p. 5 Reporting11 -, fait quelques émules dans les années 1980 où plusieurs prix Pulitzer sont récoltés. Elle ne jouira cependant jamais d’une reconnaissance institutionnelle propre, les journalistes qui l’utilisent étant systématiquement rattachés au journalisme d’investigation, genre déjà bien établi. La « naissance différentielle » intervient dans les années 2000, lorsque des acteurs issus du mouvement du logiciel libre, intéressés par les problématiques d’information, investissement le champ journalistique à la faveur du mouvement d’ « open data »12. La figure emblématique de ce phénomène est Adrian Holovaty. Développeur et journaliste, il se fait connaître au Washington Post en lançant en 2005 Chicagocrime.org, carte localisant les crimes et délits à partir des fichiers de police. Il écrit l’année suivante un court texte13, présenté aujourd’hui par les commentateurs comme le « manifeste du data journalisme14 ». Le succès rencontré par ces acteurs amène les grands titres de presse américains – New York Times, Washington Post, Chicago Tribune, Los Angeles Times - à constituer des équipes dédiées et à les intégrer dans les rédactions, établissant ainsi le data-journalisme comme une pratique légitime, dotée d’une reconnaissance institutionnelle. Construction de l’objet de recherche Le « journalisme de données » mobilise deux termes polysémiques : « journalisme » et « données ». Il convient de définir quelles significations de chacun de ces deux mots sont mobilisées lorsque l’expression est employée. 11 « Journalisme Assisté par Ordinateur » 12 Aussi dénommé « mouvement de libération des données publiques », ce mouvement enjoint les administrations publiques à mettre à disposition des données librement réutilisables. 13 HOLOVATY, Adrian, « A fundamental way newspapers need to change », [disponible en ligne], 6 septembre 2006. 14 GUILLAUD, Hubert, « Les données pour comprendre le monde », InternetActu, [disponible en ligne], 19 juillet 2011. 6 La donnée comme production humaine Le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI) apporte, à l’entrée « donnée », au moins deux significations intéressantes dans le cadre de ce travail. (i) « Quantité connue dans l’énoncé d’un problème », la donnée est avant tout un élément quantifiable, que l’on peut mesurer, manipuler, calculer. (ii) « Ensemble des indications enregistrées en machine pour permettre l’analyse et/ou la recherche automatique d’informations », la donnée se veut également manipulable par les outils informatiques. L’entrée « statistiques » - « recueil de données numériques concernant des faits économiques et sociaux », - permet de discerner une troisième acception du terme « donnée » : une production humaine ayant pour objectif d’appréhender le social. Dans ce sens, la donnée est le fruit d’un processus, d’une médiation, elle n’est donc paradoxalement pas « donnée ». En résumé, la donnée est quantifiable, informatisée, mais également le fruit d’un processus du recueil. Cette dernière approche est développée par le sociologue Olivier Martin. Dans un débat sur « la vérité des chiffres15 », il présente les trois éléments qui, selon lui, composent un chiffre. C’est d’abord une notion, c’est-à-dire ce que l’on veut mesurer, plus ou moins latente selon les cas : si le statut matrimonial uploads/Geographie/ memoire-de-master-2-celsa-sur-le-data-journalisme.pdf

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