Études • 2 Collection dirigée par Georges MARTIN Publié avec le concours d’AILP

Études • 2 Collection dirigée par Georges MARTIN Publié avec le concours d’AILP (GDRE n° 671 de CNRS) Couverture : Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. 342, f° 150. Crédits : BnF, Paris. Paris, SEMH-Sorbonne, 2011 CORINNE MENCÉ-CASTER Un roi en quête d’auteurité Alphonse X et l’Histoire d’Espagne (Castille, XIIIe siècle) Les Livres d’e-Spania À mes parents À Eddy, Nora et Kinvi REMERCIEMENTS Ce travail n’aurait jamais vu le jour sans les précieux conseils, les critiques constructives, les encouragements et la sollicitude de Georges Martin, que nous tenons à remercier chaleureusement. Il sait ce que nous lui devons. Merci aussi à toute notre famille, en particulier à Juliette, Henry, Eddy, Maguy, Hervé, Chantal, Laurie et Cindy, à nos deux enfants Nora et Kinvi, pour le temps que nous leur avons pris et pour la patience infinie dont ils ont fait preuve à notre endroit, tout au long de cette préparation. Merci à Malissa… Merci enfin à Cécile Bertin et à Maurice Belrose pour leurs encouragements, leurs conseils avisés et leur disponibilité jamais démentie. INTRODUCTION GÉNÉRALE Les recherches contemporaines, d’essence structuraliste, dissimulent mal, au travers des déclarations fracassantes sur la « mort de l’auteur » ou des détours terminologiques savamment orchestrés, la nostalgie qui les anime : celle de la question du sujet. La déconstruction d’un tel sujet, menée à bien de Freud à Derrida, en passant par Barthes ou Foucault, a remis en cause l’existence, moins du sujet lui-même que de son absoluité. Jacques Lacan1 reconnaît ainsi qu’il s’agit, non pas de nier le sujet mais de manifester sa dépendance en le pensant dans sa relativité. Dans cette perspective, le sujet littéraire se trouve, lui aussi, amputé de sa toute- puissance, et son rapport à l’individu – dont il ne devient rien moins qu’une variable, un possible –, se voit alors modifié. C’est donc à la faveur de ce réexamen des rapports entre « individu » et « sujet » que prend place, dans la critique contemporaine, la réflexion sur l’auteur, laquelle cherche à poser en termes fonctionnels, et non plus seulement anthropologiques, la définition d’une « entité » qui apparaît désormais plus « générique » que « spécifique ». On en vient ainsi à reconnaître que « la mort de l’auteur » n’a d’autre sens que la mort d’une certaine conception de l’auteur, et notamment de ses fondements anthropologico-historiques, laquelle mort se trouve corrélée à la naissance d’un lecteur critique, co-auteur du « sens », et donc de l’œuvre2. Est ainsi appelé le réexamen de ce concept, à partir d’une perspective qui tienne compte tout autant de l’individuation de l’œuvre que de l’individualité de son producteur. 1 Jacques LACAN in : Michel FOUCAULT, Qu’est-ce qu’un auteur ?, Dits et écrits (1954- 1975)(1994), 2 t., Paris : Gallimard, 2001, 1, p. 848 : « Deuxièmement, je voudrais faire remarquer que, structuralisme ou pas, il me semble qu’il n’est nulle part question, dans le champ vaguement déterminé par cette étiquette, de la négation du sujet. Il s’agit de la dépendance du sujet, ce qui est extrêmement différent ; et tout particulièrement, au niveau du retour à Freud, de la dépendance du sujet par rapport à quelque chose de vraiment élémentaire, et que nous avons tenté d’isoler sous le terme de ‘signifiant’ ». 2 Il nous paraît très important d’indiquer que nous donnons ici au mot « œuvre » son sens commun de « texte », sans prendre part à la redéfinition qu’en propose Roland BARTHES lorsqu’il l’oppose au texte : cf. Roland BARTHES, « De l’œuvre au texte », in : Le bruissement de la langue, Paris : Seuil, 1984, p. 71-80. En revanche, lorsque nous parlerons d’« œuvre médiévale », nous ferons nôtre la définition qu’en propose Paul ZUMTHOR, Essai de poétique médiévale, Paris : Seuil, 1972, p. 73 : « Le terme d’« œuvre » ne peut donc être pris tout à fait dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui. Il recouvre une réalité indiscutable : l’unité complexe mais aisément reconnaissable, que constitue la collectivité des versions en manifestant la matérialité ; la synthèse des signes employés par les « auteurs » successifs (chanteurs, récitants, copistes) et de la littéralité des textes. La forme-sens ainsi engendrée se trouve sans cesse remise en question ». Pour d’éventuels rapprochements entre les deux définitions du mot « œuvre » au Moyen Âge, cf. n. 9. 8 UN ROI EN QUÊTE D’AUTEURITÉ Comment résister alors à l’envie de mettre en relation cette provocante déclaration de la « mort de l’auteur », avec la proclamation, chère à de nombreux médiévistes, de « l’absence de l’auteur » ? Point de départ de ce travail de recherche sur la problématique de l’auteurité3, à définir comme un mode de rapport à l’écriture, enraciné dans la « créativité », ce rapprochement curieux mais attendu entre deux univers apparemment irréductibles l’un à l’autre, a pourtant un même point d’ancrage : une interrogation sur la validité d’un concept – celui d’auteur – ayant valeur d’évidence. Que l’on proclame la « mort » ou « l’absence » de l’auteur, on pose inévitablement la question de la pertinence d’une définition fondée en priorité sur le rapport de « propriété » entre une instance biographico-historique et un texte, entre un individu et une œuvre. Il nous a ainsi paru utile d’entamer une réflexion sur les conditions de possibilité d’une approche pertinente de l’auteurité dans le discours historiographique alphonsin. Le corpus choisi – l’Histoire d’Espagne d’Alphonse X – l’a été en raison de son positionnement frontalier (et donc ambigu), entre une historiographie en langue latine et une historiographie en langue vernaculaire, où un monarque, menacé dans sa souveraineté, s’assume tout à la fois comme roi, comme sujet du roi, comme historiographe et comme artisan langagier. Il nous a semblé que dans ce jeu de rôles où un sujet royal s’invente une autorité d’historiographe dans une langue frappée elle-même d’illégitimité, se jouait tout à la fois le rapport à l’autorité de la tradition, à l’écriture, au mode d’être « historiographe » au XIIIe siècle, et que, ce faisant, émergeait une instance auctoriale « originale », porteuse de « fonctions-auteur »4 nouvelles. C’est sans doute que le milieu du XIIIe siècle, en Castille, marque un tournant pour l’historiographie royale. L’écriture en « roman », l’« accaparement de 3 Il nous paraît important de préciser que nous empruntons le terme « auteurité » à Michel ZIMMERMAN (dir.), Auctor et auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), Paris : École des Chartes, 2001, p. 9 : « Depuis une ou deux décennies, on assiste à un véritable renversement de perspective. Historiens, hagiographes, diplomatistes, littéraires, iconographes s’intéressent à l’écriture médiévale. Leur démarche s’enracine dans une analyse nouvelle des concepts d’auteur/auteurité et de création et de leur adaptation à la réalité médiévale. Ainsi s’élabore une science des œuvres propre à l’époque médiévale, qui amène à reconsidérer certaines réalités longtemps négligées ou dévalorisées […] ». 4 Michel FOUCAULT, Qu’est-ce qu’un auteur ?…, p. 826 : « [l]a fonction-auteur est donc caractéristique du mode d’existence, de circulation et de fonctionnement de certains discours à l’intérieur d’une société ». Puis, p. 831 : « la fonction-auteur est liée au système juridique et institutionnel qui enserre, détermine, articule l’univers des discours ; elle ne s’exerce pas uniformément et de la même façon sur tous les discours, à toutes les époques et dans toutes les formes de civilisation ; elle n’est pas définie par l’attribution spontanée d’un discours à son producteur mais par une série d’opérations spécifiques et complexes ; elle ne renvoie pas purement et simplement à un individu réel, elle peut donner lieu simultanément à plusieurs ego, à plusieurs positions-sujets que des classes différentes d’individus peuvent venir occuper ». INTRODUCTION GÉNÉRALE 9 l’autorité d’écriture 5 » par le roi Alphonse X signalent un point de rupture, favorable à une évolution des « formes-auteur »6 traditionnelles. Ces mutations, favorables à la constitution d’une nouvelle instance auctoriale, dont le point d’ancrage est l’individu empirique Alphonse X, perçu comme « sujet » historiographe non conventionnel mais ancré cependant dans la tradition historiographique, obligent à interroger un concept aussi problématique que celui d’auctoritas, afin de voir quelle assise effective il permet, dans un tel contexte, de donner à celui d’auteurité. À cet égard, le récent colloque qui s’est tenu autour de la problématique de l’« auctor » et de l’« auctoritas » ne pouvait que baliser efficacement le terrain. La théorie foucaldienne de la fonction-auteur, telle qu’elle est définie dans la célèbre conférence « Qu’est-ce qu’un auteur ? » nous servira de point de départ, car l’appréciation de l’auteurité comme extérieure, ne serait-ce qu’en partie, à l’individu empirique permet précisément de jeter, entre les positions des structuralistes et les allégations des médiévistes, un certain nombre de passerelles. Il en découle une approche de l’auteur qui se fonde moins sur une problématique de l’attribution que sur une problématique de l’individuation logique (de l’œuvre), fondée elle-même sur une conception du texte comme non- clôture, comme somme inachevée de variantes actualisées ou uploads/Geographie/ mence-caster-corinne-un-roi-en-quete-d-x27-auteurite-alphonse-x-et-l-x27-histoire-d-x27-espagne.pdf

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