MÉTAMORPHOSE CHRIS KUBASIK Fleuve Noir Titre original : Changelling Traduit de

MÉTAMORPHOSE CHRIS KUBASIK Fleuve Noir Titre original : Changelling Traduit de l’américain par Grégoire Dannereau Collection dirigée par Patrice Duvic et Jacques Goimard © 1992, FASA. © 1995 by Le Fleuve Noir pour la traduction en langue française ISBN : 2-265-05143-8 PREMIÈRE PARTIE SEPTEMBRE 2039 CHANGER 1 Une chambre. Une chambre blanche. Une chambre stérile. Il essaya de se rappeler son nom. Un drap couvrait des pieds au cou son corps retenu par les lanières qui le maintenaient allongé. De brèves images traversèrent son esprit embrumé : Hansel et Gretel, un abandon dans la forêt. Il y avait une porte devant lui. Mais qu’y avait-il derrière ? Ses poignets étaient attachés ; il ne pouvait pas les voir. Le drap blanc brillait d’une faible luminescence rouge au contact de son corps. Il tenta de parler, émettant un croassement douloureux. Dehors, il faisait nuit. Un grand immeuble illuminé se découpait derrière les rideaux. Cela lui rappelait quelque chose. La chambre était petite. Il y avait un lit d’hôpital à côté de la fenêtre. C’était là qu’ils l’avaient conduit une nuit. Toute une installation palpitait à sa droite. Des boîtes métalliques, qui, comme le drap, luisaient d’une lueur écarlate. Un point rouge jouait aux montagnes russes sur un petit écran rond. Des tubes sortaient d’un autre appareil et pénétraient sous ses draps. Peut-être dans son bras. Devait-il réagir ? Appeler ? Parler à quelqu’un ? Comment était-il arrivé là ? Une autre vague de souvenirs le submergea. Une chambre, il se lève, il est en sueur, il trébuche dans le noir et tombe… Rien de plus. Tout allait de travers. Cela au moins, il le savait. Le monde était trop rouge. Il avait du mal à penser. Quelque chose avait dû se passer. Épuisé, il ferma les yeux. Réveil. Il était dans un hôpital. Il s’était déjà réveillé plusieurs fois. Il s’appelait Peter. Peter avait un père. Ils habitaient Chicago. Mais où était donc son père ? Il ne se souvenait pas à quoi il ressemblait. Il n’était même pas sûr de savoir où il était. Il perçut un mouvement de l’autre côté de la pièce et tourna la tête lentement. C’était une femme. Comme les draps, son uniforme blanc brillait lorsqu’il touchait son corps. Elle l’entendit et se retourna. C’était un ange de lumière. Son visage s’illumina encore, vibrant de peur. Elle essayait de le cacher, mais son recul instinctif la trahit. Elle sourit nerveusement et gagna la porte. Qu’avait-elle pu voir ? Il essaya de lever une main vers son visage, mais les courroies l’en empêchaient. Il tenta de fouiller sa mémoire. Il avait quinze ans. Quelque chose avait dû se produire. Il se souvint de son père. Ils étaient tous deux dans la limousine blindée, de retour d’une fête, quelque part. Son père regardait le paysage défiler. Un panneau de plastique les séparait du chauffeur. « — J’ai rencontré quelqu’un pendant la soirée », dit Peter. « — Hum », répondit son père. « — Elle s’appelle Denise. Denise Lewis. » « — Elle devait être là avec ses parents. Il n’est pas déraisonnable que vous vous soyez rencontrés. » « — Nous nous sommes parlés et nous nous entendons bien. Nous allons nous revoir, je crois. » Son père se retourna vers la fenêtre : « — Hum. » « — Tu sais, se revoir. Sortir ensemble. (Son père ne pouvait-il pas sourire ? Dire quelque chose ?) Je l’aime bien, elle est intelligente. (Toujours pas de réponse.) Et je crois qu’elle m’aime bien aussi. » Ils roulèrent silencieusement quelques instants. Peter laissa à son père le temps de répondre, puis il finit par craquer : « — C’est mon premier flirt, papa. Ça me fait tout chose. » « — N’en attends rien, répondit simplement son père, sans lui accorder un regard. » « — Quoi ? » « — Je l’entends dans ta voix. Tu te fais des illusions. » La voix de son père vibrait d’une émotion que Peter n’avait jamais ouïe. « — Je suis juste heureux de l’avoir rencontrée et j’espère la revoir. C’est tout. » « — C’est ce que je dis. Tu es heureux. Tu attends quelque chose. Tu n’es pas forcé de m’écouter et je ne crois pas que tu le feras. Tu es jeune. Mais le bonheur n’est pas… essaye de ne pas t’y habituer. » Comment son père pouvait-il lui dire ça ? Peter n’avait jamais été aussi ému, et maintenant il prétendait qu’il n’y avait aucun espoir… Il s’enfonça dans la banquette, serrant les poings. Il avait envie de se jeter sur son père, de hurler, de le secouer pour le faire réagir. Il aurait voulu le frapper, faire quelque chose, n’importe quoi pour attirer son attention, pour lui montrer combien ses paroles l’avaient blessé. Mais Peter ne dit rien. Au fond de son cœur, il craignait que son père n’ait raison. Le bonheur n’est pas… Vrai ? Durable ? La mère de Peter était morte à sa naissance. Son père avait ravalé sa tristesse et il conseillait à son fils d’en faire autant. Peter ouvrit les yeux. Il y avait un homme au-dessus de lui. Son corps brillait, sa blouse blanche était éclairée de l’intérieur par la chaleur de son corps. Son père ? Non. Son père se tenait de l’autre côté du lit et le regardait. Une lueur chaude émanait de lui, mais son visage froid et clinique lui donnait une apparence démoniaque. — Papa ? Il avait du mal à articuler et ne put émettre qu’un râle. Son père ne répondit rien et continua à l’observer, les yeux cernés de fatigue. — Peter ? demanda l’homme à la blouse. — Oui ? — Peter, le mois passé a été dur pour toi… Le mois ? — … Et je ne veux pas t’épuiser. Mais le pire est derrière toi. Il faut que tu comprennes cela. — Je… je ne peux pas bouger… — Nous avons dû t’attacher, dit le médecin. Tu as été très violent durant les dernières semaines. Pour ton propre bien, nous nous sommes assurés que tu ne puisses pas faire de mal à quelqu’un. — Papa, est-ce que je vais aller mieux ? demanda Peter. — Je ne sais pas, répondit son père après un long moment de silence. Peter entendit le médecin s’étrangler : — Professeur Clarris… — Je ne sais pas ! aboya le père de Peter. — Papa… — Excusez-moi, dit le professeur. Il quitta la pièce d’un pas décidé comme si son fils n’existait pas. — Je reviens, souffla le médecin, se précipitant derrière lui. — Non, ce n’est pas la peine…, commença à dire Peter. Mais ils avaient déjà tous deux disparu. Peter leva les yeux au plafond. Il sentit ses joues trembler, mais il refusa de pleurer. Il essaya de raviver ses souvenirs. Il vit une image de sa maîtresse près d’un écran… Il ne se souvenait pas de ce qu’il faisait à l’école. Il apprenait, il en était sûr. Mais qu’apprenait-il ? Des mots, des nombres, des grenouilles, des cellules. Il ne se souvenait que des images. Tout le reste s’était évanoui. — Me revoilà, Peter, dit le médecin, souriant. Il est temps que nous parlions de certaines choses. — Et mon père ? — Il est parti se promener. Il s’est beaucoup inquiété pour toi et il avait besoin d’air. Il reviendra un peu plus tard. Peter, sais-tu ce qui t’es arrivé ? Peter secoua la tête. — Hum. Tu viens de subir ce que nous appelons dans notre jargon une ingénétisation. C’est-à-dire que ton corps a finalement exprimé son génotype. Tu as ressemblé à un Homo Sapiens Sapiens toute ta vie, mais tu es en fait un Homo Sapiens Ingentis. — Ingentis ? — L’appellation courante est « troll », Peter, dit le médecin. Tu te souviens de ce mot ? Les trolls. Des personnes énormes, grises et vertes. Des dents massives… De grands yeux… — Te souviens-tu de l’historique des Expressions Génétiques Inexpliquées ? — C’était avant que je naisse. La magie, c’est ça ? Les gens qui ont changé ? — Les premiers cas sont apparus il y a quelques décennies. Des enfants, nés de parents humains, ont commencé à se transformer en d’autres espèces. Certains étaient petits et trapus, d’autres grands et minces. Les médias les ont tout de suite appelés « nains » et « elfes ». C’étaient pourtant des Homo Sapiens : de nouvelles sous-espèces. Homo Sapiens Pumillonis pour les nains et Homo Sapiens Nobilis pour les elfes. — Et Homo Sapiens Robustus et Homo Sapiens Ingentis…, les orks et les trolls. — Oui. Ils sont tous humains. Les médias les appellent métahumains. Le silence de Peter fit sourire le médecin. — Ne t’inquiète pas, reprit-il, tu iras mieux bientôt. Quand ton corps a changé, ton cerveau a suivi le mouvement. Durant ce processus, tu as perdu des souvenirs. Mais la plupart sont encore là, et tu vas les retrouver. Quant au reste, tu devras le réapprendre… uploads/Geographie/ metamorphose.pdf

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