1 MODERNITÉ, SCIENCE ET TECHNOLOGIE EN AMERIQUE LATINE Le philosophe Hegel, dur

1 MODERNITÉ, SCIENCE ET TECHNOLOGIE EN AMERIQUE LATINE Le philosophe Hegel, durant ses Leçons sur la philosophie de l’histoire universelle qu’il donne à Berlin, dit à ses auditeurs que le monde se divise en deux : le Vieux Monde et le Nouveau Monde. Le nom de ce dernier est du á ce que les européens le connaissent depuis peu de temps. Cependant, précise Hegel « il ne faut pas croire que la distinction est purement externe. Ici, la division est essentielle ; elle l’est quant à ses propres caractères, physiques et politiques » (1). En ce concerne l’aspect physique du continent, le philosophe ne nie pas l’antiquité géologique qui remontrait jusqu’á la création ; mais il affirme bien sa jeunesse géographique. Il affirme également que les cultures des peuples indigènes sont anéanties par la présence du conquérant européen. Pour Hegel ceci a une nécessité absolue, car « il s’agissait d’une culture naturelle qui devait périr aussitôt lorsque l’esprit se rapprocherait d’elle » (2). Pour le philosophe allemand la première forme de la conscience c’est la conscience naturelle qui se relie avec l’extérieur, avec le milieu géographique. L’indigène américain apparait impuissant devant la supériorité des peuples européens qui se sont élevés plus haut de la conscience naturelle, á l’esprit, á la conscience de soi même, á la liberté. « L’Amérique s’est toujours révélée et continue de révéler impuissante physiquement comme spirituellement »(3). Pour corroborer la nécessité dialectique de l’infériorité et impuissance de la nature et de l’homme américain Hegel trouvera d’abondants éléments dans les chroniques de l’époque. Ainsi : Même chez les animaux, on remarque pareille infériorité que chez les hommes. La faune a des lions, des tigres, des crocodiles, etc. ; mais ces fauves, malgré une remarquable ressemblance avec les formes du vieux monde, sont, cependant, dans tous les sens, plus petits, 2 plus faibles, plus impuissants. Ils assurent que les animaux comestibles ne sont pas aussi nutritifs dans le Nouveau Monde que ceux du vieux continent. En Amérique il y a des grands troupeaux de bovins ; mais la viande de bœuf est considérée là-bas comme un met exquis. (4) En ce qui concerne les indigènes d’Amérique du Sud, il semble que le philosophe a quelque expérience personnelle, car il nous dit : « Nous les avons vu en Europe déambuler sans esprit et presque sans capacité d’éducation ». Et pour qu’il n’y ait aucun doute, si nous passons de la considération de l’esprit á la constitution physique, nous pouvons conclure que : « la infériorité de ces individus se manifeste surtout, même dans la stature. Seules les tribus méridionales de Patagonie sont de forte nature ; mais elles se trouvent encore plongées dans l’état naturel de la sauvagerie et de l’ignorance »(5) Finalement, il faudrait dire que les américains sont paresseux, qu’ils « vivent comme des enfants », qu’ils se limitent á exister, loin de tout ce que signifie la pensée et ses fins élevées (6). Pour autant, les religieux qui ont tenté de leur inculquer la culture et la moralité européenne les ont traités, comme il se doit, c’est á dire, comme des mineurs, car il était nécessaire de susciter en eux « des besoins qui stimulent l’activité de l’homme » (7). L’opinion du philosophe se confirme car il se souvient avoir lu (Et que n’a pas lu Hegel ?), « qu’á minuit, un moine sonnait la cloche pour rappeler aux indigènes d’accomplir leur devoir conjugal » (8). Mais si l’impuissance et l’infériorité dont parle Hegel concerne le continent et ses habitants indigènes, aussi bien en Amérique du Sud qu’en Amérique du Nord, des nations indépendantes ont surgies et se sont formées avec une population, une culture et des institutions politiques provenant du Vieux Continent. Or, si on compare les deux parties de l’Amérique, le Nord et le Sud (y compris dans celui-ci, Mexico), « on perçoit un extraordinaire contraste »(9). 3 Les différences entre les deux parties du continent américain consistent en la prospérité économique et l’unité politique dans le Nord ; et en l’instabilité politique et sociale de républiques basées sur le pouvoir et les continuelles révolutions militaires dans le Sud. Ces différences s’expliquent par « deux directions divergentes dans la politique et dans la religion ».La divergence religieuse s’établit parce que la domination espagnole en Amérique du Sud s’est menée á bien au nom du catholicisme et en Amérique du Nord par les anglais guidés par le protestantisme. La divergence politique se rapporte en fait á ce que l’Amérique du Sud a été conquise, alors que l’Amérique du Nord a été colonisée. Cette dernière différence a eu d’importantes conséquences, parce que les conquistadores espagnols venaient en Amérique pour dominer et faire fortune ; contrairement aux immigrants anglais qui étaient des travailleurs industrieux et qui rapidement sont arrivés á instituer une tendance au travail organisé, où l’état a exclusivement une fonction de protection extérieur de la propriété. Or, ce qui est décisif dans l’analyse hégélienne, c’est que le facteur politique est subordonné au facteur religieux. De cette façon, « les différents Etats se sont donnés la forme correspondante aux religions » (10). La supériorité de la religion protestante par rapport au travail et au principe de l’industrie face à la religion catholique, est que la première a favorisé chez les peuples du Nord la confiance réciproque ; car dans le protestantisme « les œuvres religieuses constituent la vie entière, toute l’activité de la vie ». D’autre part, « entre les catholiques il ne peut pas exister la base d’une pareille confiance réciproque, car dans les affaires profanes le pouvoir violent et la soumission volontaire dominent. »(11). La religion protestante implique, alors, la liberté religieuse qu’imprègne toute l’activité profane où le travail n’est pas détaché de la vie religieuse que suppose le début de l’individualité, nécessaire pour le développement de l’industrie. 4 Hegel considère que le caractère fondamental de la vie publique de l’Amérique du Nord « consiste en l’orientation des individus vers le bénéfice et le profit, dans la prépondérance de l’intérêt particulier, qu’en cas d’être appliqué universellement, c’est seulement pour profiter au maximum de la jouissance » (12). Avec ces mots et les références antérieures au protestantisme, on retrouve préfiguré ce que Max Weber appellera au début de notre siècle « l’esprit du capitalisme », dans son œuvre Protestantische Ethik . Alors Weber préconise la thèse que l’éthique ascétique du protestantisme a été un élément décisif dans la configuration de la mentalité capitaliste, de « l’esprit du capitalisme ». A l’issue de ses considérations sur le Nouveau Monde, Hegel, après avoir affirmé que « de se mettre en contact avec nous l’Amérique a cessé en partie d’être. Et maintenant, on pourrait dire qu’encore elle ne finit pas de prendre forme », -il concluait que « par conséquent, l’Amérique est le pays de l’avenir. Dans le futur elle montrera son importance historique, peut-être dans la lutte entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud » (13). Il est important de signaler que même si Hegel pense que l’Amérique est exclue, pour le moment, de l’histoire universelle, il voit culminer dans le « monde germanique », où par l’intermédiaire du christianisme, l’esprit est arrivé á se retrouver soi-même, en pleine conscience de soi-même ; il reconnait malgré tout, que l’histoire n’a pas abouti avec son système et avec le « monde germanique » á un état final ; sinon qu’il entrevoit une autre histoire qui pourrait commencer dans le Nouveau Monde s’il abandonne le sol qui a été jusqu’á présent la scène de l’histoire universelle. Cependant, si Hegel avertit que « en tant que pays de l’avenir, l’Amérique ne nous intéresse pas, donc le philosophe ne fait pas de prophétie » ; cependant il ne peut éviter de parler d’un « hasard », qui est presque une prophétie qui s’est accomplie sous plusieurs formes et qui actuellement a abouti à un type de domination où la science et la technologie ont un rôle prépondérant. La presque prophétie mentionnait la possibilité historique de la lutte entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. 5 II Hegel n’a pas vu ou son système idéaliste l’a empêché de voir, que la révolution intellectuelle qui s’était produite deux siècles avant lui et qui était á l’origine de la science moderne, se convertirait dans les siècles á venir en une force déterminante dans l’histoire du monde et qu’elle était même présente lors de son constat de la supériorité de l’Amérique du Nord sur l’Amérique du Sud. Il n’a pas pu prévoir non plus la seconde révolution qui commençait durant son époque, cette fois-ci en Angleterre, où la science moderne manifesterait son pouvoir de transformation technique. Quant à nous qui sommes à une distance de plus d’un siècle et demi au moment où Hegel lisait ses leçons á Berlin, il est évident que la science moderne et la technologie qui ont suivi sont les instruments plus puissants que l’homme a créés pour dominer la nature y compris l’homme lui-même et pousser le développement économique et social des nations de la planète. Á uploads/Geographie/ modernite-science-et-tech.pdf

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