Poésies nouvelles Alfred de Musset Publication: 1850 Source : Livres & Ebooks C
Poésies nouvelles Alfred de Musset Publication: 1850 Source : Livres & Ebooks Chapitre 1 I Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre Marchait et respirait dans un peuple de dieux ; Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère, Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère, Et fécondait le monde en tordant ses cheveux ? Regrettez- vous le temps où les Nymphes lascives Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux, Et d’un éclat de rire agaçaient sur les rives Les Faunes indolents couchés dans les roseaux ? Où les sources tremblaient des baisers de Narcisse ? Où, du nord au midi, sur la création Hercule promenait l’éternelle justice, Sous son manteau sanglant, taillé dans un lion ; Où les Sylvains moqueurs, dans l’écorce des chênes Avec les rameaux verts se balançaient au vent, Et sifflaient dans l’écho la chanson du passant ; Où tout était divin, jusqu’aux douleurs humaines ; Où le monde ado- rait ce qu’il tue aujourd’hui ; Où quatre mille dieux n’avaient pas un athée ; Où tout était heureux, excepté Prométhée, Frère aîné de Satan, qui tomba comme lui ? - Et quand tout fut changé, le ciel, la terre et l’homme, Quand le berceau du monde en devint le cercueil, Quand l’ouragan du Nord sur les débris de Rome De sa sombre avalanche étendit le linceul, - Regrettez-vous le temps où d’un siècle barbare Naquit un siècle d’or, plus fertile et plus beau ? Où le vieil univers fendit avec Lazare De son front rajeuni la pierre du tombeau ? Regrettez-vous le temps où nos vieilles romances Ouvraient leurs ailes d’or vers leur monde enchanté ? Où tous nos monuments et toutes nos croyances Portaient le manteau blanc de leur virginité ? Où, sous la main du Christ, tout ve- nait de renaître ? Où le palais du prince, et la maison du prêtre, Portant la même croix sur leur front radieux, Sortaient de la montagne en regardant les cieux ? Où Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Saint-Pierre, S’agenouillant au loin dans leurs robes de pierre, Sur l’orgue universel des peuples prosternés Entonnaient l’hosanna des siècles nouveau-nés ? Le temps où se faisait tout ce qu’a dit l’his- 1 toire ; Où sur les saints autels les crucifix d’ivoire Ouvraient des bras sans tache et blancs comme le lait ; Où la Vie était jeune, - où la Mort espérait ? Ô Christ ! je ne suis pas de ceux que la prière Dans tes temples muets amène à pas tremblants ; Je ne suis pas de ceux qui vont à ton Calvaire, En se frappant le cœur, baiser tes pieds sanglants ; Et je reste debout sous tes sacrés portiques, Quand ton peuple fidèle, autour des noirs arceaux, Se courbe en murmurant sous le vent des cantiques, Comme au souffle du nord un peuple de roseaux. Je ne crois pas, ô Christ ! à ta parole sainte : Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux. D’un siècle sans espoir naît un siècle sans crainte ; Les comètes du nôtre ont dé- peuplé les cieux. Maintenant le hasard promène au sein des ombres De leurs illu- sions les mondes réveillés ; L’esprit des temps passés, errant sur leurs décombres, Jette au gouffre éternel tes anges mutilés. Les clous du Golgotha te soutiennent à peine ; Sous ton divin tombeau le sol s’est dérobé : Ta gloire est morte, ô Christ ! et sur nos croix d’ébène Ton cadavre céleste en poussière est tombé ! Eh bien ! qu’il soit permis d’en baiser la poussière Au moins crédule enfant de ce siècle sans foi, Et de pleurer, ô Christ ! sur cette froide terre Qui vivait de ta mort, et qui mourra sans toi ! Oh ! maintenant, mon Dieu, qui lui rendra la vie ? Du plus pur de ton sang tu l’avais rajeunie ; Jésus, ce que tu fis, qui jamais le fera ? Nous, vieillards nés d’hier, qui nous rajeunira ? Nous sommes aussi vieux qu’au jour de ta naissance. Nous attendons autant, nous avons plus perdu. Plus livide et plus froid, dans son cercueil immense Pour la seconde fois Lazare est étendu. Où donc est le Sauveur pour entr’ouvrir nos tombes ? Où donc le vieux saint Paul haran- guant les Romains, Suspendant tout un peuple à ses haillons divins ? Où donc est le Cénacle ? où donc les Catacombes ? Avec qui marche donc l’auréole de feu ? Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine ? Où donc vibre dans l’air une voix plus qu’humaine ? Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ? La Terre est aussi vieille, aussi dégénérée, Elle branle une tête aussi désespérée Que lorsque Jean parut sur le sable des mers, Et que la moribonde, à sa parole sainte, Tres- saillant tout à coup comme une femme enceinte, Sentit bondir en elle un nouvel univers. Les jours sont revenus de Claude et de Tibère ; Tout ici, comme alors, est mort avec le temps, Et Saturne est au bout du sang de ses enfants ; Mais l’espé- rance humaine est lasse d’être mère, Et, le sein tout meurtri d’avoir tant allaité, Elle fait son repos de sa stérilité. II De tous les débauchés de la ville du monde Où le libertinage est à meilleur mar- ché, De la plus vieille en vice et de la plus féconde, Je veux dire Paris, - le plus 2 grand débauché Etait Jacques Rolla. - jamais, dans les tavernes, Sous les rayons tremblants des blafardes lanternes, Plus indocile enfant ne s’était accoudé Sur une table chaude ou sur un coup de dé. Ce n’était pas Rolla qui gouvernait sa vie, C’étaient ses passions ; - il les laissait aller Comme un pâtre assoupi regarde l’eau couler. Elles vivaient ; - son corps était l’hôtellerie Où s’étaient attablés ces pâles voyageurs ; Tantôt pour y briser les lits et les murailles, Pour s’y chercher dans l’ombre, et s’ouvrir les entrailles Comme des cerfs en rut et des gladiateurs ; Tan- tôt pour y chanter, en s’enivrant ensemble, Comme de gais oiseaux qu’un coup de vent rassemble, Et qui, pour vingt amours, n’ont qu’un arbuste en fleurs. Le père de Rolla, gentillâtre imbécile, L’avait fait élever comme un riche héritier, Sans songer que lui-même, à sa petite ville, Il avait de son bien mangé plus de moitié. En sorte que Rolla, par un beau soir d’automne, Se vit à dix-neuf ans maître de sa personne, - Et n’ayant dans la main ni talent ni métier. Il eût trouvé d’ailleurs tout travail impossible ; Un gagne-pain quelconque, un métier de valet Soulevait sur sa lèvre un rire inextinguible. Ainsi, mordant à même au peu qu’il possédait, Il resta grand seigneur tel que Dieu l’avait fait. Hercule, fatigué de sa tâche éternelle, S’assit un jour, dit-on, entre un double chemin. Il vit la Volupté qui lui tendait la main : Il suivit la Vertu, qui lui sembla plus belle. Aujourd’hui rien n’est beau, ni le mal ni le bien. Ce n’est pas notre temps qui s’arrête et qui doute ; Les siècles, en passant, ont fait leur grande route Entre les deux sentiers, dont il ne reste rien. Rolla fit à vingt ans ce qu’avaient fait ses pères. Ce qu’on voit aux abords d’une grande cité, Ce sont des abattoirs, des murs, des cimetières ; C’est ainsi qu’en en- trant dans la société On trouve ses égouts. - La virginité sainte S’y cache à tous les yeux sous une triple enceint ; On voile la pudeur, mais la corruption Y baise en plein soleil la prostitution. Les hommes dans leur sein n’accueillent leur sem- blable Que lorsqu’il a trempé dans le fleuve fangeux L’acier chaste et brûlant du glaive redoutable Qu’il a reçu du ciel pour se défendre d’eux. Jacque était grand, loyal, intrépide et superbe. L’habitude, qui fait de la vie un proverbe, Lui donnait la nausée. - Heureux ou malheureux, Il ne fit rien comme elle, et garda pour ses dieux L’audace et la fierté, qui sont ses sœurs aînées. Il prit trois bourses d’or, et, durant trois années, Il vécut au soleil sans se douter des lois ; Et jamais fils d’Adam, sous la sainte lumière N’a, de l’est au couchant, promené sur la terre Un plus large mépris des peuples et des rois. Seul il marchait tout nu dans cette mascarade Qu’on appelle la vie, en y parlant tout haut, Tel que la robe d’or du jeune Alcibiade, Son orgueil indolent, du palais 3 au ruisseau, Traînait derrière lui comme un royal manteau. Ce n’était pour personne un objet de mystère Qu’il eût trois ans à vivre et qu’il mangeât son bien. Le monde souriait en le regardant faire, Et lui qui le faisait, disait à l’ordinaire Qu’il se ferait sauter quand il n’aurait plus rien. C’était un noble cœur, naïf comme l’enfance, Bon comme la pitié, grand comme l’espérance. Il ne voulut jamais croire à sa pauvreté. L’armure qu’il uploads/Geographie/ musset-poesies-nouvelles.pdf
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- Publié le Jan 24, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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