Géographie des conflits - Yveline Dévérin Ahmadou Kourouma - Quand on refuse on
Géographie des conflits - Yveline Dévérin Ahmadou Kourouma - Quand on refuse on dit non (rédigé en 2003, © 2004) 1 LA NAISSANCE DE LA CÔTE D’IVOIRE QUAND ON REFUSE ON DIT NON pp 126-132 ©Éditions du Seuil, 2004 [roman inachevé à la mort de l'auteur en décembre 2003] Présentation de l’auteur : Né en 1927 en Côte d’Ivoire, Ahmadou Kourouma est d’origine malinké. Élevé par un oncle il suit des études à Bamako au Mali. De 1950 à 1954, pendant la colonisation française, il est « tirailleur sénégalais » en Indochine avant de rejoindre la métropole pour suivre des études de mathématiques à Lyon en France. En 1960, lors de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, il revient vivre dans son pays natal mais est très vite inquiété par le régime du président Félix Houphouët-Boigny. Il connaît la prison avant de partir en exil dans différents pays, en Algérie (1964-1969), Cameroun (1974-1984) et Togo (1984-1994) avant de revenir vivre en Côte d’Ivoire. En 1970, il publie son premier roman Les soleils des indépendances qui porte un regard très critique sur les gouvernants de l’après-décolonisation. En 2000, il publie Allah n’est pas obligé qui raconte l’histoire d’un enfant orphelin qui parti rejoindre sa tante au Libéria devient un enfant soldat. Ce livre obtiendra le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycéens Lorsqu’en septembre 2002, la guerre civile éclate en Côte d’ivoire, il prend position contre l’ivoirité, « une absurdité qui nous a menés au désordre » et pour le retour de la paix dans son pays. Il sera accusé par les journaux partisans du président Laurent Gbagbo de soutenir les rebelles du nord. La presse a été jusqu’à remettre en cause sa nationalité ivoirienne. Il lutte pour la paix. En septembre 2003, il avait pris part à la Coalition pour la patrie, une association ivoirienne d’hommes politiques, de culture et de loi, qui souhaite aider à ramener la paix en Côte d’Ivoire. Au moment de sa mort, en décembre 2003, il travaillait à la rédaction d’un nouveau livre Quand on refuse on dit non, une suite d’Allah n'est pas obligé. Ce roman sera publié après sa mort. Quand on refuse on dit non est donc un roman inachevé suite au décès de l'écrivain. On y retrouve Birahima, qui est de retour en Côte d'Ivoire. Kourouma y retrace les évènements sombres de l'histoire récente de la Côte d'Ivoire au travers des yeux de cet ex-enfant soldat du Libéria, revenu chez un oncle à Daloa (dans le sud de la Côte d’ivoire) qu’il doit fuir pour échapper aux dérives de l'ivoirité. Il accompagne vers le nord la belle Fanta qui lui prodigue des cours d’histoire au long de la route. « Dans ce livre, mon héros arrive en Côte d’Ivoire mais il n’a pas de chance, les événements éclatent. Il poursuit son aventure avec les escadrons de la mort, la situation politique, les charniers. Je voudrais que le pouvoir le lise. Cela pourrait permettre de réfléchir, de prendre du recul sur la situation, de voir les responsabilités de chacun et ce qui a conduit à tout cela. Je n’écris pas rapidement. J’espère que la situation se sera améliorée avant que le livre ne soit terminé. » Géographie des conflits – Yveline Dévérin Ahmadou Kourouma - Quand on refuse on dit non (rédigé en 2003, © 2004 2 QUAND ON REFUSE ON DIT NON (extraits, pp 55-77) La route était dégagée. De loin en loin, on voyait un réfugié, généralement une femme avec un seau de plastique sur la tête et suivie par un enfant. Fanta commença à m'enseigner l'histoire de la Côte- d'Ivoire. On ne connaît pas avec précision l'histoire paléolithique du pays. Pourtant, le peuplement du pays a une importance majeure dans le conflit actuel. A cause de l'ivoirité. L'ivoirité signifie l'ethnie qui a occupé l'espace ivoirien avant les autres. Tous les Ivoiriens semblent d'accord sur un point : les premiers des premiers habitants du pays furent les Pygmées. Du sud au nord, de l'est à l'ouest, lorsqu'on demande à des vieux à qui appartient la terre, la réponse est toujours la même : de petits hommes au teint clair (dans certaines régions, on les appelle les petits diablotins), vivant dans les arbres, armés d'arcs et de flèches, sont les maîtres de la terre. C'est-à-dire les Pygmées. Les Pygmées ont disparu de l'Afrique de l'Ouest par assimilation. Les gros nègres étaient amoureux des jeunes filles pygmées (des petites filles au teint clair, mignonnes, flexibles comme des lianes) qu'ils capturaient en grand nombre pour les épouser. De la sorte, beaucoup d'Ivoiriens de toute l'étendue de la Côte-d'Ivoire (du Nord et du Sud) sont des descendants de Pygmées. Des descendants des maîtres incontestables de la terre. Donc eux-mêmes des maîtres de la terre. Après les Pygmées, les ethnies ayant laissé les traces les plus anciennes sont les Sénoufos et les Koulangos, toutes deux du Nord. II est vrai que les ethnies du Sud ne pouvaient guère laisser de traces observables: l'humidité et les pluies détruisent et effacent toute empreinte humaine. Maintenant, plaçons-nous dans les temps modernes; c'est-à-dire du onzième au dix-septième siècle. Curieusement, les ethnies qui se revendiquent premiers occupants et celles qu'on exclut font toutes partie des populations issues des régions voisines, hors de l'espace ivoirien. Les Bétés, c'est-à-dire les Krus, sont venus de l'ouest (actuel Liberia) du dixième au douzième siècle. Les Malinkés, issus du nord (actuels Mali et Burkina), sont arrivés du treizième au quatorzième siècle. Les Baoulés, les Agnis et les Abrons du groupe akan sont venus de l'est (l'actuel Ghana) du treizième au quinzième siècle. C'est dire que le président Gbagbo, le président Konan Bédié, le président Gueï, le Premier ministre Ouattara sont tous issus des ethnies ayant foulé l'espace actuel ivoirien après, bien après, le dixième siècle. Aucune ethnie à l'époque ne savait si elle entrait dans l'espace ivoirien. Toutes les ethnies se sont trouvées ivoiriennes le même jour, en 1904, lorsque, dans le cadre de l'AOF, le colonisateur européen a précisé les frontières de la Côte-d'Ivoire. Moi j'ai compris (je comprendrai encore mieux avec mes dictionnaires). Les ethnies ivoiriennes qui se disent « multiséculaires » (elles auraient l'ivoirité dans le sang depuis plusieurs siècles), c'est du bluff, c'est la politique, c'est pour amuser, tromper la galerie. C'est pour éloigner les sots. C'est pour rançonner les étrangers. Tout le monde est descendant des Pygmées, les maîtres de la terre, donc tout le monde est maître de la terre. Tout le monde est devenu ivoirien le même jour. Faforo ! Les premiers Européens arrivés en Côte-d'Ivoire sont les Portugais en 1469. Ils créèrent les comptoirs d'Assinie et de Sassandra. Leur succèdent deux siècles après les Hollandais, et les Français à partir de 1842. Les Français avaient connu une brève installation (de 1687 à 1705) à Assinie. A partir de 1842, les Hollandais et les Français créent des comptoirs sur la côte. Ces comptoirs servent de point d'appui au commerce de l'ivoire et aussi au trafic d'esclaves. La Côte-d'Ivoire fut épargnée par la grande traite des esclaves à cause de l'inhospitalité de la côte et parce qu'il n'y avait pas de grands royaumes négriers ivoiriens. A ses débuts, la colonisation française fut pacifique. Elle procéda par des traités négociés avec les chefs indigènes par les administrateurs Treich-Laplène, Binger et Delafosse. La Côte-d'Ivoire est érigée en colonie en 1893, et c'est à partir de cette époque que les Français entreprennent de conquérir l'intérieur du pays. Ils se heurtent à une résistance farouche des Gouros, des Géographie des conflits – Yveline Dévérin Ahmadou Kourouma - Quand on refuse on dit non (rédigé en 2003, © 2004 3 Baoulés et des Attiés. Surtout, au Nord, ils ont affaire à Samory, le « Napoléon de la savane ». Après divers traités, de grands combats eurent lieu avec Samory. Il fut capturé par traîtrise en 1898. Toutefois, la Côte-d'Ivoire officielle ne reconnaît pas Samory parmi ses héros. Parce qu'il était arrivé au centre de la Côte-d'Ivoire, poursuivi par les Français qui l'avaient chassé de Guinée et du Nord-Ouest du pays, la région d'Odienné. Pour affamer ses poursuivants, il avait appliqué dans le centre de la Côte-d'Ivoire la technique de la terre brûlée. C'est-à-dire beaucoup de destructions et beaucoup de massacres. Les Ivoiriens sont loin de pardonner à l'almamy Samory les souffrances endurées par les populations pendant l'épopée. C'est en 1904 que les limites de la Côte-d'Ivoire sont précisées et que la colonie entre dans l'Afrique occidentale française. Mais les résistances des populations ivoiriennes de l'intérieur, toujours les mêmes Gouros, Baoulés et Attiés, se poursuivront jusqu'en 1914 et même au-delà. Dans les années trente, les Gbantiés de Boundiali, les Attiés de Rubinot, les Dioulas de Bobo se révoltèrent contre la colonisation française. Mais ces résistances héroïques du peuple ivoirien ne sont pas reconnues par la Côte-d'Ivoire officielle. Houphouët, le premier président de la Côte-d'Ivoire, avait une conception curieuse de l'histoire des peuples. Pour s'entendre avec le colonisateur, il a effacé la résistance à la colonisation. Il a parlé des vainqueurs et a oublié les vaincus. uploads/Geographie/ naissance-de-la-cote-d-ivoire-quand-on-refuse-on-dit-non-pour-cours.pdf
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- Publié le Jul 21, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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