45 Les Cahiers du Développement Urbain Durable UNIL | UNIVERSITÉ DE LAUSANNE —

45 Les Cahiers du Développement Urbain Durable UNIL | UNIVERSITÉ DE LAUSANNE — ENTRE URBANISME ET PAYSAGE : UNE INTERFACE ANIMÉE PAR DES MODÈLES, DES DISCOURS ET DES MÉTHODES DE PROJETS. D’EURALILLE À SAINT-SAUVEUR : ESQUISSE D’UN CHEMIN DE TRAVERSE ENTRE REM KOOLHAAS ET ALEXANDRE CHEMETOFF Clément Quaeybeur, Docteur en Aménagement de l’espace & Urbanisme, Chercheur associé au laboratoire Territoires, Villes, Environnement, Société (EA 4477), Université Lille 1 Courriel : cl.quaeybeur@gmail.com RÉSUMÉ Cet article utilise l’interface entre urbanisme et paysage comme fil conducteur pour l’analyse séquencée de l’urbanisme de Rem Koolhaas mis en œuvre pour Lille-Euralille, et le travail d’Alexandre Chemetoff proposé 25 ans plus tard pour la friche ferroviaire de Saint-Sauveur. L’assemblage de ces deux opérations dans une même séquence urbaine reste un prétexte pour questionner les rapports tendus entre urbanisme et paysage au cœur des deux attitudes de projets. L’article établit quelques correspondances, et prolonge les accents déjà portés par ailleurs sur les dissonances entre ces deux méthodes. L’étude de ces deux projets cherche avant tout à caractériser l’interface entre urbanisme et paysage comme une synapse aux échanges particulièrement actifs. MOTS-CLÉS Paysage, urbanisme, landscape-urbanism, Euralille, Saint-Sauveur, Rem Koolhaas, Alexandre Chemetoff, interface synaptique. 46 OBSERVATOIRE UNIVERSITAIRE DE LA VILLE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ABSTRACT This study holds the interface between urban design and landscape architec- ture as a guiding thread for the sequenced analysis of Rem Koolhaas’ work for Lille-Euralille, and Alexandre Chemetoff’s one proposed 25 years later for Saint-Sauveur. These two operations remaining in the same urban sequence is used as a pretext to question the tense relations between urbanism and landscape architecture at the heart of the two project attitudes here discussed. The analysis establishes some correspondences, and prolongs the previous works which emphasized the dissonances between these two methods. The study of these two projects aims to characterize the interface between urban design and landscape architecture as a synapse characterized by strong and actives exchanges. KEYWORDS Landscape architecture, urban planning, urban design, landscape-urbanism, Euralille, Saint-Sauveur, Rem Koolhaas, Alexandre Chemetoff, synaptic interface. — URBIA - Entre urbanisme et paysage 47 Les Cahiers du Développement Urbain Durable UNIL | UNIVERSITÉ DE LAUSANNE Au cœur du débat qui anime la conception urbaine, la frontière entre les interventions des paysagistes et celle des urbanistes est marquée par des questions de concurrences et de complémentarité (Champy, 2000, Donadieu, 2012). Autour des années 2000, plusieurs balises semblent marquer un « tournant » favorable au croisement disciplinaire. Il s’inscrit dans un mouvement général initié dès le milieu des années 1960 (Estienne, 2010). Il matérialiserait ce que certains avaient énoncé comme « l’alternative du paysage », en faveur d’un sub-urbanisme (Marot, 1999, 2010, 2011), et ce qui pourrait être aujourd’hui identifié comme un urbanisme de révélation (Fromonot, 2011). Dans cet article, nous proposons de revenir sur quelques éléments issus d’un plus large travail qui questionne l’interface en jeu entre urbanisme et paysage (Quaeybeur, 2016) prenant pour support l’analyse d’une séquence spatiale et temporelle opérée au cœur d’une métropole française : Lille. Euralille 1, Euralille 2 et Saint-Sauveur, sont trois projets urbains qui permettent de questionner un quart de siècle de pratiques. Alexandre Chemetoff qui a participé au Dialogue Compétitif engagé pour la conception urbaine de Saint-Sauveur en 2013 reste l’une des illustrations privilégiées des deux tendances évoquées plus haut (l’urbanisme de révélation ou le sub-urbanisme). Rem Koolhaas, qui démarrera son travail d’urbaniste pour Euralille 1 à l’aube des années 1990, est plutôt érigé en référence de deux tendances inverses, l’urbanisme de programmation (Fromonot, 2011) et le sur-urbanisme (Marot, 1999, 2010, 2011). Si les deux premières semblent nettement s’inspirer d’une « méthode paysagiste » partant du site pour inventer le programme, le sur-urbanisme et l’urbanisme de programmation participeraient plutôt d’un regard inverse, à priori hermétique à une inflexion paysagiste. Quels sont les rapports installés entre urbanisme et paysage dans le cadre de ces deux approches ? Les positions à priori antagonistes initient-elles deux regards résolument opposés sur la sollicitation du paysage dans la fabrique de la ville ? Sur cette ligne tendue entre ces deux approches et ces deux grands protagonistes de l’urbanisme contemporain, nous proposons de mettre en question l’interface entre urbanisme et paysage. Nous suivrons pour cela, d’une manière assez opportuniste et dans ce format court, l’étude de quelques fractions du projet de Rem Koolhaas pour Euralille 1, puis de celui d’Alexandre Chemetoff proposé sur le futur secteur opérationnel de cette grande séquence urbaine lilloise — Saint- Sauveur, opérant certes un saut temporel, mais toutefois favorable à l’approche croisée pour l’étude des deux postures. Malgré cette relative mise en tension, nous verrons que plusieurs points de convergences permettent toutefois de tisser quelques lignes conceptuelles générales qui se rejoignent entre urbanisme et paysage, au cœur d’une synapse marquée par de nombreux flux actifs. La méthode utilisée couple celle du récit et de l’étude de traces. Le recours 48 OBSERVATOIRE UNIVERSITAIRE DE LA VILLE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE aux documents réalisés par nos deux figures centrales reste dans le cadre de cet article relativement sommaire. Il est plutôt utilisé comme point d’accroche pour étudier la teneur des discours greffés sur ces méthodes de projets. — LE PAYSAGE DANS L’URBANISME DE PROGRAMMATION ET DANS LE SUR-URBANISME DE REM KOOLHAAS Dès l’audition de Rem Koolhaas pour l’attribution du rôle d’urbaniste d’Euralille en 1988, il apparaît qu’il construit son appareil méthodologique autour d’un état des lieux général de la « condition » du projet métropolitain qui augure du basculement de Lille dans l’aire de la métropolisation. Cette étude initiale, « ce que [Rem Koolhaas] nomme volontiers un “inventaire” en soulignant la présence presque obsédante sur le site d’un réseau complexe d’infrastructures dont le projet devra assumer et valoriser le potentiel « (Vermandel, 1995, p. 19) pose ainsi les bases d’un premier travail d’ « analyse ». En réalité, l’étude du « contexte » du projet réside avant tout dans cette quête première : donner un sens au « contexte futur ». Nous avons pu clairement lire cette filiation de pensée par l’étude de traces entreprise sur les travaux justement portés au « contexte » et orchestrés par OMA1 : ils s’ouvrent symboliquement par la présentation d’une planche sous-titrée « contexte futur » (Quaeybeur, 2016). Ainsi, Euralille s’inscrit très clairement dans le prolongement de la théorie de la métropolisation que l’architecte-urbaniste construit déjà depuis plusieurs années. Au cœur de « l’éloge de l’existant », Rem Koolhaas affirmera : « s’il y a dans ce travail une méthode à suivre, ce serait celle de l’idéalisation systématique ; une surestimation automatique de l’existant ; un bombardement spéculatif qui, avec des charges conceptuelles et idéologiques rétroactives, investit même ce qu’il y a de plus médiocre » (Koolhaas, 1985). Pour Euralille, l’ensemble de ce travail « d’analyse » préparatoire se concrétisera finalement par le dessin du « plan directeur urbain », que l’on peut clairement lire comme une image programmatique. Nous avons pu mettre en évidence la participation du paysagiste français Yves Brunier aux travaux d’OMA dans un accord de pensées entre le paysagiste et l’urbaniste (Quaeybeur, 2016). Ce plan directeur semble en effet construit sur la base d’études menées par Yves Brunier, et relevant de ce que OMA nomme un « planning vert » ou encore un « urbanisme vert ». Une annotation manuscrite sur l’un de ces documents repéré par ailleurs mentionne la recherche des « URBIA - Entre urbanisme et paysage 1 OMA : Office for Metropolitan Architecture, l’agence dirigée par Rem Koolhaas. 49 Les Cahiers du Développement Urbain Durable UNIL | UNIVERSITÉ DE LAUSANNE similitudes paysagères » entre le site de projet d’Euralille et d’autres espaces du territoire communal. Ces travaux conduisent donc à la composition du plan directeur urbain, décrit par Rem Koolhaas comme fabriqué par des figures « manipulées comme une série de grandes masses construites ou paysagères » (Koolhaas, dans Chaslin, 1992, p. 163). Alors, même s’il est question de paysage dans ces travaux, il semble rester avant tout installé par des masses programmatiques. Ainsi ces « masses paysagères », qui sont portées sur un périmètre bien plus large que le secteur d’Euralille qui intercepte même le plateau ferroviaire de Saint-Sauveur à l’époque encore en activité, semblent identifiés comme des « parcs ». Souvenons-nous également que Rem Koolhaas théorise à cette période sa pensée pour un « nouvel urbanisme » qui veillera à « la création de champs capables d’accueillir des processus qui refusent d’être cristallisés sous forme définitive » (Koolhaas, 1994). Ainsi, les parcs identifiés dans ce grand plan directeur seront certainement soumis à une future ré-interrogation programmatique qui n’engagerait pas forcément leur disparition complète. Par l’établissement de ce « système spatial paysager », nous pouvons déceler les caractères d’une approche urbanistique qui paraît envisager des masses paysagères programmatiques et autonomes comme un outil du projet d’urbanisme ancré dans un processus paysager. Ces « champs capables », à l’image des étages d’un gratte-ciel (Koolhaas, 2002), sont ici installés dans un plan urbain de la même manière que le faisaient les strips végétalisés pour La Villette. Ce que semble révéler cette esquisse pour le plan urbain uploads/Geographie/ 02-quaeyber-urbia22.pdf

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