andré ravéreau l’atelier du désert Sous la direction de : Rémi Baudouï et Phili
andré ravéreau l’atelier du désert Sous la direction de : Rémi Baudouï et Philippe Potié éditions parenthèses Cet ouvrage a été réalisé sous la direction de Rémi Baudouï et de Philippe Potié, assistés de Yann Cussey et Raphaelle-Laure Perraudin. À l’occasion de la parution de cet ouvrage une exposition consacrée à André Ravéreau a été conçue dans le cadre de « Djazaïr, l’année de l’Algérie en France ». Avec le soutien de : Centre régional des Lettres / Région Languedoc-Roussillon, École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger, Ville de Ghardaïa, OYce de promotion et de protection de la vallée du M’Zab, Institut d’architecture de l’université de Genève, École d’architecture de Lille, École d’architecture Languedoc-Roussillon, École d’architecture de Grenoble, équipe de recherche « Cultures constructives », Centre culturel français d’Alger, Association française d’action artistique et Commissariat général de Djazaïr, Ministère de la culture et de la communication, Direction de l’architecture et du patrimoine, Bureau de la recherche architecturale et urbaine, Académie de la pierre, Fondation Aga-Khan. Remerciements particuliers à Taïeb Adda Boudjelal. copyright © 2003, éditions parenthèses, marseille. isbn 2-86364-120-4 5 « L’atelier du désert », cette conjonction ne relève‑t‑elle pas du paradoxe ? Comment travailler sur ce qui est de l’ordre de l’infini, de l’hostile, et de l’inhumain ? Le paradoxe n’est qu’apparent. Il se délie si l’on considère le désert non seulement comme une réalité matérielle mais aussi comme une para‑ bole, à l’image de l’appel du désert d’un Charles de Foucauld pour lequel le lieu favorise d’abord la recher‑ che patiente de soi dans un environnement qui soumet à l’épreuve l’être tout entier. Le projet de ce livre est né du constat qu’il existe aujourd’hui un écart significatif entre le discours savant de l’histoire de l’architecture au xxe siècle et la somme des expériences qui l’ont façonnée. À une histoire officielle qui privilégie la connaissance des grandes œuvres icônes de la modernité ou des parcours biographiques de ses maîtres, fait place la néces‑ sité d’étudier cet ensemble d’expériences qui se sont déroulées conjointement dans l’espace et le temps pour adapter les innovations théoriques aux réali‑ tés sociales et culturelles du terrain. La production du cadre bâti contemporain résulte moins de l’appli‑ cation minutieuse de principes théoriques et canons plastiques contenus dans les doctrines, que d’un aller retour permanent entre théorie et pratique. Tel celui qui relie les expérimentations d’une aire géographique à l’autre par le rôle de « passeur » qu’ont assumé entre les deux rives de la Méditerranée architectes et maîtres 6 d’ouvrage. C’est à ce projet précisément que répond cet ouvrage consacré à un architecte qui a effectué la majeure partie de sa carrière dans l’Algérie de l’après Seconde Guerre mondiale. André Ravéreau fait partie de ces hommes qui ont cherché à déjouer les pièges de l’histoire officielle pour construire par-delà les « événements d’Algérie » et l’indépendance d’une jeune nation, un dialogue entre deux communautés, bâti sur la volonté de savoir, de comprendre et d’échanger. Dans une Algérie en pleine effervescence, porteur de l’enseignement de Perret, il crée à Ghardaïa un premier atelier, choisissant une sorte d’« exil » dans la vallée du M’Zab comme pour mieux témoigner que l’architecture française, mais aussi algérienne, se devaient de revenir aux sources de l’histoire pour échapper à leurs propres démons d’une modernité sans usage, sans présent ni futur. Ce décen‑ trement construira un regard profondément renou‑ velé sur le geste architectural et ses implications. Là, dans le désert, il propose de s’intéresser au lieu, aux traditions, au climat pour inscrire le projet d’architec‑ ture dans l’épaisseur d’une culture. Privilégiant l’en‑ racinement dans le site, son éthique architecturale met en porte-à-faux les modèles dominants venus de l’Occident moderniste. Pour parvenir à rendre compte de son cheminement, le parti pris de cet ouvrage a été de restituer l’œuvre d’André Ravéreau dans son époque et de rassembler les témoignages de tous ceux qui l’ont suivi dans ses recherches militantes pour une « architecture située ». Ils attestent, au plus près, de sa mission de maître au sens didactique du terme et de la fonction maïeu‑ tique de sa parole délivrée dans le patio de l’atelier de Ghardaïa ou dans la palmeraie avec les jeunes étudiants venus de France, de Belgique, de Suisse et bien sûr d’Algérie. Aujourd’hui, les projets d’André Ravéreau doivent s’in‑ terpréter à l’aune d’une trajectoire expérimentale qui les constitue, en quelque sorte, en modèle théorique. À l’ère de la mondialisation et de l’unification des territoires et espaces régionaux, la démarche d’André Ravéreau ne conserve-t-elle pas sa pertinence pour penser les lieux dans leur diversité et leur pluralité ? Antoine Picon une question d’attitude Avec le recul qu’autorise le temps, la démarche d’André Ravéreau semble à la fois marquée du sceau de la plus extrême modestie et empreinte d’une ambition compa- rable à celle des grands théoriciens de l’architecture des xix‰ et xx‰ siècles. La modestie tient à la volonté constam- ment réaYrmée de tenir à distance toute une série de démons familiers de la discipline architecturale : la pour- suite de l’eVet esthétique gratuit, le désir du monumen- tal, mais aussi la recherche d’une cohérence structurelle parfaite, ou encore la performance constructive inutile. L’ambition tient, quant à elle, au projet d’identifier ce qui compte vraiment en architecture, de cerner au plus près son essence. Du M’Zab d’André Ravéreau on pour- rait dire ce que Gropius écrivait de la rationalisation ⁄. Loin de représenter une fin en soi, il fait figure de « moyen de purification » destiné à faire éclater au grand jour une vérité que les académismes en tout genre auraient constamment cherché à occulter. Mais de quelle vérité s’agit-il ? Sous l’évidence de la leçon du M’Zab, par-delà l’impression de justesse que procu- 10 rent des projets comme la villa M. ou le centre de santé de Mopti, il n’est pas simple de répondre à cette question. L’œuvre, tant bâtie qu’écrite, d’André Ravéreau révèle un jeu complexe d’inXuences qu’il faut commencer par démêler. Les emprunts au Mouvement moderne, et plus géné- ralement à la sensibilité moderniste qui achève de se diVuser au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sont indéniables. Même si Ravéreau prend constam- ment ses distances à l’égard de Le Corbusier, on ne peut qu’être frappé par la proximité de certains de leurs centres d’intérêt. La fascination de Ravéreau pour les surfa- ces dépouillées et les courbes de l’architecture moza- bite fait songer au regard porté par Le Corbusier sur la Méditerranée et son habitat vernaculaire ¤. Certains passa- ges du livre Le M’Zab, une leçon d’architecture semblent même faire écho aux textes de Le Corbusier prenant la défense de cette irrégularité « exacte » qui naît de la main de l’artisan avant la mécanisation ‹. Du Mouvement moderne et de sa composante corbuséenne, à l’inXuence de laquelle on ne saurait complètement échapper dans les années cinquante et soixante, Ravéreau retient une qualité d’émotion esthétique, ainsi qu’une attention au geste productif traditionnel, dans sa rigueur dépourvue d’artifice. L’héritage rationaliste qu’incarne Auguste Perret se révèle encore plus déterminant. L’accent mis sur la construction doit à coup sûr quelque chose au premier maître d’André Ravéreau à l’École des beaux-arts de Paris. Comme chez Perret, il y a quelque chose de viollet-le-ducien dans la volonté de Ravéreau de rendre compte des choix construc- tifs en les rapportant à des motifs rationnels, de « raison- ner » la construction comme l’on réXéchit aux règles de la grammaire. Mais là encore, la dette s’accompagne d’une prise de distance par rapport aux présupposés de l’école rationaliste, à commencer par sa recherche d’un principe architectonique unificateur. Rien de plus révélateur à cet égard que le long développement consacré dans Le M’Zab, une leçon d’architecture à l’utilisation d’un linteau à la suite d’une série d’arcs pour limiter les poussées contre un mur mitoyen. Viollet-le-Duc et Perret auraient hésité devant une solution compromettant l’unité formelle et structu- relle de l’édifice. Ravéreau s’enthousiasme en revanche devant une attitude consistant à « acquérir l’harmonie par de justes moyens d’objectivité interne, en ignorant tout à fait les intentions d’aspect › ». D’autres inXuences, plus souterraines peut-être, se lais- sent entrevoir dans le refus de toute recherche esthétique a priori. Quoi de plus contraire, en apparence, à l’héritage des Beaux-Arts, que la critique sans concession de la volonté de « faire beau » ? C’est oublier toutefois que ⁄ Gropius, Walter, La Nouvelle architecture et le Bauhaus [1935], Bruxelles, La Connaissance, 1969, p. 110. ¤ Le Corbusier et la Méditerranée, Marseille, Parenthèses, 1987. ‹ Cf. sur ce thème Ferro, Sergio, Kebbal, CheriV, Potié, Philippe, Simonnet, Cyrille, Le Corbusier, Le Couvent de la Tourette, Marseille, Parenthèses, 1988. › Ravéreau, André, Le M’Zab, une leçon d’architecture, Paris, Sindbad, 1981, p. 154 (nlle édition : Arles, Actes Sud / Sindbad, 2003, p. 126). 11 l’une des premières expressions de cette condamna- tion radicale de l’esthétisme figure chez un auteur dont les ouvrages théorisent la notion de composition chère à l’École des beaux-arts. Elle apparaît en eVet au début du xix‰ siècle dans l’introduction du uploads/Geographie/ p120-andre-ravereau-l-atelier-du-desert-pdf.pdf
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- Publié le Apv 08, 2022
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