Projet de Livre blanc : Parole aux Francs-Comtois 1 2 Projet de Livre blanc : P

Projet de Livre blanc : Parole aux Francs-Comtois 1 2 Projet de Livre blanc : Parole aux Francs-Comtois Projet de Livre blanc : Parole aux Francs-Comtois 3 Préface « C’est un grand agrément que la diversité. Nous sommes bien comme nous sommes. Donnez le même esprit aux hommes, Vous ôtez tout le sel de la société. L’ennui naquit un jour de l’uniformité. » Antoine Houdar de la Motte, « Les Amis trop d’accord », Fables nouvelles, 1719. J’ai plaisir à préfacer ce livre blanc, selon le vœu de la présidente de la région Franche Comté, parce que ce m’est l’occasion de saluer un bel exercice démocratique : de ceux dont nous éprouvons tous, parmi les incertitudes contemporaines, la nécessité - au seuil d’une fusion éventuelle entre la Franche-Comté et la Bourgogne. Je vais le faire en historien plus qu’en politique. Non pas que j’oublie l’honneur que m’ont fait jadis les citoyens de Haute-Saône en m’élisant conseiller régional, à Besançon, pour six ans, entre 1992 et 1998 : source pour moi de quelques frustrations, parce qu’alors l’opposition de gauche, dont je fus un moment le chef, était souverainement négligée par le président de l’époque (quel contraste avec aujourd’hui, dans une situation inverse !) en même temps que chance d’observations précieuses sur le fait régional en mouvement. Mais je suis convaincu qu’il y a profit, comme toujours en France, à faire prendre à la réflexion contemporaine un recul bien plus long, de deux siècles pour le moins. Sans celui-ci toute analyse d’une identité collective, de sa force et de ses limites, est vouée à la myopie. L’Histoire n’impose aucun choix, mais elle aide à définir, à chaque étape, la latitude d’action offerte aux décisions démocratiques des citoyens devant les ressorts et les effets de la décentralisation. Les questions affluent, que notre discipline (parmi d’autres : la géographie, la sociologie...) peut contribuer à éclairer. Comment rendre compatible l’élargissement avec la proximité, l’égalité avec la territorialisation des politiques ? Comment concilier nos appartenances multiples à des ensembles divers ? Comment redynamiser, et à quel niveau, le fonctionnement démocratique ? L’expérimentation, chose si rare dans ce domaine, en France, pourrait-elle avoir droit de cité sans être sujette à soupçon, sans qu’on veuille que tout soit partout pareil (le poète l’a dit : « L’ennui naquit un jour de l’uniformité »…) ? Après des années de consensus politique assez large autour de la loi du 2 mars 1982 relative « aux droits et libertés des communes, des départements et des régions », sur laquelle sont venus s’agréger de nombreux textes, le débat sur la décentralisation, en 2010, a resurgi en France. La réforme de 2010 n’a pas résisté à l’alternance ; arrivés au pouvoir, les responsables de l’actuelle majorité se sont saisis de la question en proposant une réforme en deux temps, la fusion des régions qui passeraient de 22 à 14 et la révision de la répartition des compétences. Or, au moment où la plupart des partis appellent de leurs vœux une évolution dans ce domaine, et un peu plus de dix ans après la consécration constitutionnelle d’une République à la fois « une », « indivisible » et « décentralisée », le consensus peine à se cristalliser et les controverses renaissent, comme on a pu le constater à foison lors de ce cycle de consultation voulu par Marie- Guite Dufay et son équipe et dont est proposé ici le compte rendu détaillé. Bonne occasion de rappeler les mouvements de balancier pluriséculaires entre centralisation, déconcentration et décentralisation, dont nous vivons aujourd’hui une étape supplémentaire, et dont on aurait tort d’exagérer le caractère inédit, au risque de ne pas tirer parti de leurs enseignements. *** Si l’on accepte de se référer à la Révolution française comme fondatrice de la modernité de notre État, l’opposition entre les girondins et les jacobins est primordiale pour comprendre l’évolution administrative et politique de notre pays. Les uns et les autres ont représenté une sensibilité propre, qui va bien au-delà des acteurs de leur époque. Les jacobins, comme l’a assez dit Michelet, sont portés par le rêve qu’à chaque moment on puisse, quitte à écraser les opinions dissidentes, exercer un magistère d’orthodoxie en termes idéologiques qui assure et perpétue la domination de Paris sur la province. Les girondins, pour leur part, incarnent une révolution plus modérée, enracinée dans la France « profonde », résistant à la centralisation. 4 Projet de Livre blanc : Parole aux Francs-Comtois Aussi commode que soit, d’un point de vue didactique, cette opposition binaire, elle ne doit pas être durcie, elle doit être nuancée. Si attaché que l’on puisse être aujourd’hui au principe de la décentralisation, l’héritage jacobin doit être reconnu pour son utilité, à la source de notre République et des valeurs fondatrices qu’il a portées. En pleine Révolution, il a permis de défendre la démocratie en genèse contre les menaces de l’extérieur résultant de la coalition des Etats monarchiques et contre les tensions centrifuges à l’intérieur. Un siècle plus tard, en 1889, la République, en place depuis moins de vingt ans, assurée depuis douze, s’affiche, à l’occasion notamment des fêtes du Centenaire, comme unifiée, centralisée et indivisible, à même de protéger ses conquêtes et d’instaurer une continuité avec les réformes de la période napoléonienne. Sous la Troisième, la centralisation sert l’indivisibilité de la souveraineté nationale, l’ambition de transformation sociale portée par l’État contre la « main invisible » du marché favorisant les privilégiés, l’égalité entre les citoyens promue par la loi et l’école républicaine conçue comme clef de voûte de la démocratie. Le principe sacré de la laïcité est affirmé pour réduire le multiple à l’un dans tout l’espace public. Ces principes ont triomphé et la République repose sur ces fondations. C’est pourquoi il est aujourd’hui permis d’espérer les conjuguer avec une considération accrue pour les particularismes et les contre-pouvoirs régionaux, ce qu’incarne l’esprit girondin. En ratifiant un mot de François Mitterrand : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » Il faut dire que durant les deux siècles de centralisation dominante, l’esprit girondin a continué d’innerver la vie politique en profondeur et de porter la conviction qu’il serait de plus en plus souhaitable de tempérer le dogme jacobin. Bien que l’idée régionale ait été reprise un temps par l’Action Française au nom d’un sentiment violemment antirépublicain, contribuant à la méfiance du régime en place, elle a survécu de génération en génération, un nombre croissant de républicains y portant attention. Jules Ferry admire les libertés locales anglo-saxonnes et, sous le Second Empire, en 1865, il signe le « programme de Nancy » qui porte un projet de décentralisation très marqué. Les membres des gouvernements de défense républicaine autorisent les syndicats en 1884 et les associations en 1901, ce qui encourage l’émergence ou la résurgence de spécificités régionales. Divers socialistes, au tournant des XIXe et XXe siècles, considèrent celles-ci avec intérêt et sympathie. Clemenceau, lui-même, qu’on peint volontiers en parangon du jacobinisme, appelle, dans son discours-testament de Strasbourg, à la fin de 1919, à « l’organisation du régime de liberté régionale, où nos provinces reviendraient à la vie d’une expression d’indépendance après l’étouffement décrété par Napoléon ». C’est le cas, plus tard encore , du programme du Conseil national de la Résistance, pourfendant l’idée, néfaste à ses yeux, que les particularismes régionaux constitueraient des entraves au patriotisme. À telle enseigne que bien des antagonismes doctrinaux se sont peu à peu émoussés. Au moment de la Révolution, la grande majorité des habitants de notre pays ne parlaient pas le français mais des langues locales ou des patois et si l’abbé Grégoire, parmi d’autres, a souhaité les affaiblir, sinon les éradiquer, au profit d’une langue commune, ce fut pour ne pas réserver l’usage de celle-ci aux seules élites en freinant l’émergence sociale des classes populaires : souci dépassé par le succès d’une uniformisation alors que de nos jours nous constatons, voire regrettons, l’appauvrissement de la richesse culturelle que ces parlers incarnaient. La diversité n’est plus une menace, elle est devenue une chance. De la même manière, la coexistence des législations alsacienne, mosellane et ultra-marines au sein de la République ne remet plus en question le modèle républicain. Ainsi, l’histoire de la Vème République n’est pas celle de la victoire d’un camp sur l’autre mais davantage le fruit d’une synthèse entre deux courants de la vie publique – synthèse dont successivement de Gaulle et Mitterrand ont exprimé la nécessité. Et si la République se permettait d’être différente ici ou là pour répondre à de nouveaux défis ? *** C’est au regard de cette longue durée qu’il faut aborder le débat actuel. Non qu’elle fournisse des réponses automatiques à la question des identités régionales et de la délimitation des territoires, mais parce qu’elle protège contre des présupposés dogmatiques. En restituant une pleine liberté, héritée, aux réflexions sur les critères politiques, économiques, sociaux et aussi (surtout ?) culturels des choix géographiques à faire, qui peuvent être recherchés sans apriori dans les deux uploads/Geographie/ parole-aux-francs-comtois.pdf

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