Cybergeo : European Journal of Geography Débats Les valeurs de la ville Quelles

Cybergeo : European Journal of Geography Débats Les valeurs de la ville Quelles valeurs pour revaloriser les territoires urbains ? Which values for urban renewal? CAMILLE TIANO Résumés Français English La notion de revalorisation territoriale est difficile à définir précisément puisqu’elle correspond à la fois à des valeurs chiffrables, qui permettent de dresser des palmarès socio-économiques, mais également à des valeurs intangibles liées aux représentations et aux expériences différenciées que les citadins ont des espaces urbains. De fait, les valeurs mises en avant par les différentes opérations urbaines sont très variables : des valeurs de rupture structurent l’action et l’image de l’opération Euralille, des valeurs méthodologiques sont à l’œuvre dans le projet Neptune à Dunkerque et des valeurs clichés et fluctuantes peinent à caractériser l’opération Euroméditerranée. Aussi hétérogènes soient-elles, les valeurs sont au cœur du processus opérationnel de revalorisation, en alimentant les conflits, en structurant les récits et en légitimant les figures politiques. Defining what renewing territories really means proves difficult as it rests upon both countable values allowing socio-economic ranking as well as intangible values associated with city dwellers’ distinct representations and experience of urban spaces. Indeed, the values foregrounded through various urban operations vary greatly - values of change are shaping up actions and images related to the Euralille operation, the Neptune project in Dunkerque is grounded upon methodological values, while cliché and shifting values fall short of characterising the Euroméditerranée operation. Values, however heterogeneous, nurture conflicts, make up narratives and legitimise political figures, thus lying at the heart of the operational renewal process. Entrées d’index Mots-clés : ville, Marseille, valeur, représentations, requalification urbaine, récit, Lille, Dunkerque Keywords : city, representation, urban regeneration, Marseilles, values, storytelling, Lille, Dunkerque Texte intégral Équivoques valeurs urbaines Les scientifiques et les professionnels de l’aménagement utilisent très fréquemment les termes de revalorisation et de dévalorisation. De fait, ils sont assez commodes : quand on parle de la revalorisation ou la dévalorisation d’un territoire, il n’est pas nécessaire d’être de la partie pour saisir à quoi cela renvoie. Un quartier se dévalorise quand les prix de l’immobilier baissent ou stagnent, quand le bâti ou les espaces publics se dégradent, quand la population se paupérise, quand la délinquance y augmente, quand son image devient négative. Inversement, un quartier est (re)valorisé lorsque les prix de l’immobilier augmentent, lorsqu’il y a une amélioration de l’esthétique, de l’ambiance ou de la facilité d’usage du tissu urbain, lorsque la population qui y réside ou le fréquente est plus aisée, lorsqu’il attire de nouveaux habitants, usagers ou investisseurs, enfin lorsque son image est positive, ou moins négative. 1 Cependant, ce constat simple fait apparaître la complexité des phénomènes de valorisation ou dévalorisation de l’urbain. Si les contextes valorisés ou dévalorisés sont faciles à identifier, ils n’en brouillent pas moins la question de la ou des valeur(s) de la ville. L’équivoque du terme d’urbanité, qui désigne à la fois une qualité sociale et les caractéristiques qui distinguent la ville de la campagne, se retrouve dans les registres dans lesquels sont déclinées les valeurs de la ville. S’y mêlent inextricablement la valeur financière, comme le prix de l’immobilier selon les secteurs, la valeur sociale, comme le profil socioprofessionnel de la population qui les fréquente, et la valeur symbolique, comme l’imaginaire des quartiers. Et la confusion concerne également les protagonistes de l’évaluation de la ville. Car parler de la valeur n’a de sens que si la partie se joue à trois : la ville, le citadin et l’autre. Or la ville n’est pas une mais composée d’une mosaïque d’espaces. Le citadin peut être habitant, usager ponctuel ou régulier, investisseur, politique, ou même artiste... Quant à l’autre, il peut s’agir aussi bien d’un autre citadin que d’un “étranger” à la ville. 2 Si bien qu’il n’est pas si trivial de se demander de quelle(s) valeur(s) on parle quand on parle de revaloriser les territoires urbains. À quoi tiennent la ou les valeur(s) de la ville ? Qui les partage ? Et comment sont-elles mobilisées pour (re)valoriser l’urbain ? 3 Trois opérations urbaines viendront illustrer notre propos : Euralille à Lille, Euroméditerranée à Marseille et Neptune à Dunkerque. Il s’agit de trois grands projets de requalification – entre 100 et 300 ha – lancés dans les années 1990 mais encore inachevés. Ils ont en commun de concerner des quartiers de friches industrielles (ports de Dunkerque et Marseille), urbaines (zone non aedificandi à Lille) ou sociales (la rue de la République à Marseille). Mais ce sont néanmoins des quartiers dotés d’un fort potentiel économique et symbolique puisqu’ils sont situés à proximité immédiate du centre-ville et souvent en front de mer. 4 On mènera d’abord une réflexion sur ce qu’est, ou plus exactement ce que sont les valeurs d’un territoire urbain, et ceux qui les partagent. Ce qui nous conduira à présenter les valeurs mobilisées dans les trois opérations et la manière dont les acteurs s’en emparent afin de conforter la revalorisation des périmètres concernés. On montrera enfin que la formulation de ces valeurs est au cœur du processus opérationnel de revalorisation en alimentant les conflits, en structurant les récits et en légitimant les figures politiques. 5 La variabilité de la valeur des territoires urbains nous est régulièrement rappelée dans les divers palmarès dressés par la presse : classement des villes chères (prix immobiliers, impôts locaux, coût de l’eau ou des transports, etc.), des villes agréables (espaces verts, culture, loisirs), des villes étudiantes ou touristiques… Des batteries de chiffres sont disponibles. Mais est-ce que ce que la ville “vaut” est toujours objectivable, quantifiable ? Rien n’est moins sûr car ce serait négliger qu’“il n’existe nulle coïncidence entre le plan d’une ville 6 Quelles valeurs pour revaloriser les territoires urbains ? https://cybergeo.revues.org/23091 1 sur 6 04/05/16 12:18 Les valeurs de l’urbain : le quantifiable dans une relation marchande explicite, elles permettent à l’acheteur et au vendeur de savoir quel est le prix de la ville ; dans une relation de “séduction” marketing, elles constituent des arguments afin d’attirer la population cible : investisseurs, comité olympique, touristes, ménages aisés, etc. La valeur de la ville : l’intangible Les valeurs d’un territoire : une nébuleuse dont nous consultons le dépliant et l’image mentale qui surgit en nous, à l’appel de son nom, du sédiment déposé dans la mémoire par nos vagabondages quotidiens” (Gracq, 1985). La valeur la plus chiffrable de la ville est sa valeur économique ou, pour emprunter au vocabulaire des économistes, sa valeur productive, c’est-à-dire les richesses qui y sont produites, ce que l’espace “rapporte”. La valeur productive de la ville existe depuis toujours si l’on considère qu’elle recouvre la somme de ce que produisent les différentes activités (industrielles, commerciales, etc.) qui y sont hébergées. Mais avec la métropolisation de l’économie mondiale, la valeur productive de la ville au sens littéral de l’expression – ce que la ville produit et non plus ce que l’on produit en ville – s’affirme : “La ville n’est plus seulement le réceptacle de l’activité économique mais elle est productrice en tant que tel. Le collectif d’acteurs qui construit la ville s’autonomise comme acteur économique” (Pecqueur, 2008). 7 À la valeur productive de la ville, on peut ajouter sa valeur d’échange. La valeur d’échange correspond à la valeur marchande, au prix auquel la ville s’achète et se vend. C’est donc le plus souvent une valeur composite puisque les prix du foncier et de l’immobilier urbains varient selon les quartiers. Valeur productive comme valeur d’échange sont facilement quantifiables : de très nombreux indicateurs existent qui fixent la valeur de la ville (prix au m², PIB/hab., chiffre d’affaires des entreprises, etc.). 8 La valeur économique est liée à une autre série de valeurs également quantifiables : la valeur sociale de la ville. Par valeur sociale, on entend ce que “vaut” la ville compte tenu des catégories sociales qu’elle accueille. Ainsi la valeur sociale de Neuilly est-elle à l’opposé de celle de Sarcelles. La valeur sociale est fondée sur des indicateurs tels que la part des différentes catégories socioprofessionnelles, la part de la population bénéficiaire de prestations sociales, le revenu médian ou encore la part de la population diplômée du supérieur. 9 Enfin, on peut ajouter la valeur pratique de la ville qui correspond au degré de confort et de facilité d’usage du territoire urbain. C’est ce que mesurent les palmarès annuels des “villes où l’on vit le mieux”, fondés sur une large palette d’indicateurs chiffrés concernant le nombre et de la surface d’espaces verts, les résultats obtenus au baccalauréat par les lycées locaux, ou encore le nombre de kilomètres aménagés en piste cyclable. 10 Ces quatre types de valeur (productive, d’échange, sociale et pratique) font l’objet d’inventaires réguliers et constituent des outils pour les professionnels de la ville. Si l’on se replace dans un schéma interactionnel, elles ont deux fonctions : 11 Mais peut-on limiter les valeurs de la ville à des valeurs quantifiables ? Dans tous les cas, les natures et les fonctions des valeurs relèvent d’une relation marchande, qu’elle soit explicite ou implicite. Cette dimension mercantile inquiète un certain nombre d’auteurs qui, comme uploads/Geographie/ quelles-valeurs-pour-revaloriser-les-territoires-urbains.pdf

  • 27
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager