Constructions à la règle et au compas François DE MARÇAY Département de Mathéma

Constructions à la règle et au compas François DE MARÇAY Département de Mathématiques d’Orsay Université Paris-Sud, France C’est au cours d’une méditation que je découvre cette chose — évidente à vrai dire pour peu qu’on se pose la question — que dans ma démarche spontanée à la découverte des choses, que ce soit en mathématiques ou ailleurs, le « ton de base » est « yin », « féminin », et aussi et surtout, que contrairement à ce qui se passe le plus souvent, je suis resté fidèle à cette nature originelle en moi, sans jamais l’infléchir ou la corriger pour me conformer aux valeurs dominantes en honneur dans les milieux environnants. Alexandre GROTHENDIECK† 1. Compas celtes (gaulois) L’archéologie démontre qu’à partir du Vème siècle avant Jésus-Christ, l’art celtique a commencé à élaborer des instruments de précision pour dessiner des décors géométriques, architecturaux, artistiques. Les premières « machines à tracer des cercles » ont disparu, et elles étaient probablement fabriquées en bois. Mais certains compas 1 métalliques gaulois « à pas variables » se sont conservés. Voici l’un d’entre eux, retrouvé sur le site de l’Oppidum de Bibracte 2. Jambes mobiles, écartement variable : le principe n’a pas évolué depuis plus de deux mille cinq cent ans ! 1. Le terme est un déverbal — on prend le verbe, et on enlève le caractère verbal — de compasser, lui- même issu du bas latin compassare signifiant mesurer avec le pas, qui s’est spécialisé dans le sens actuel dès le XIIème siècle. 2. La ville de Bibracte était la capitale des Éduens, peuple celte (gaulois) qui a connu son apogée au Ier siècle avant Jésus-Christ. Centre névralgique du pouvoir de l’aristocratie éduenne, Bibracte fut aussi un lieu d’artisanat et de commerce où se côtoyaient mineurs, forgerons, frappeurs de monnaie. Au sommet du Mont Beuvray dans le Massif du Morvan, à 850 m d’altitude, cette métropole disparue était situé sur le territoire actuel des communes de Saint-Léger-sous-Beuvray (Saône-et-Loire), de Glux-en- Glenne et de Larochemillay (Nièvre). 1 2 François DE MARÇAY, Département de Mathématiques d’Orsay, Université Paris-Sud, 2014–2015 Les compas deviennent abondants dans les fouilles archéologiques à partir de la fin du IIème avant Jésus-Christ. Déjà au tout début de l’âge du Fer, à savoir aux Vème et IVème siècles avant J.-C., on trouve des motifs circulaires très raffinés, notamment sur des vases en céramique, sur des sculptures en os, sur des fourreaux d’épé en fer, sur des coupes à boire en or, sur des pièces de harnachement en bronze. Rosaces, croissants, amandes, pétales, lunules, enchevêtrements élégants d’arcs de cercles : l’art de prestige fourmille de réussites esthétiques. Comme le laisse deviner le raffinement de phalères 3 en bronze ajouré remarquablement conservées, certaines figures géométriques ne peuvent avoir été construites que sur des bases mathématiques extrêmement bien maîtrisées. Depuis le 25 septembre 1984, le site héberge le Musée de la civilisation celtique, lequel retrace la vie de cette cité de quelque 5 à 10 milliers d’âmes au sein d’un oppidum fortifié que les fouilles archéologiques du mont Beuvray ont révélé peu à peu. 3. Dans l’Antiquité romaine, les phalères étaient des plaques métalliques brillantes utilisées comme ornement (signets d’un casque, par exemple). 2. Compas divers 3 Les archéologues ont pu démontrer que le découpage d’un cercle en n parties égales, pour n = 3, 4, 5, 15, était généralement maîtrisé par les artistes celtes. Mais relativement peu de motifs polygonaux à six côtés réguliers (hexagonaux) semblent avoir existé, probablement parce qu’ils étaient trop simples à réaliser. C’est le motif pentagonal régulier (cinq côtés), qui témoignait de la valeur de l’artiste, en raison de la difficulté relative d’exécution. Comme exemple de l’excellence de l’art dès le Vème siècle avant J.-C., citons la phalère de Somme-Bionne sur-Retourne qui présente 9 demi-cercles, et dont le décor a nécessité le tracé de 120 cercles, ainsi que la phalère de Cuperly, qui a demandé 193 cercles de 8 à 10 rayons différents, soit 180 coups de compas ! Si l’utilisation du compas est flagrante dans l’art décoratif, il peut aussi, mais plus rare- ment, s’illustrer dans l’architecture, bien que de moindre valeur d’apparât. Le bassin monumental de Bibracte en est un exemple. 2. Compas divers Un compas est un instrument de géométrie qui sert à tracer des cercles ou des arcs de cercle, mais aussi à comparer, à reporter ou à mesurer des distances. Il est constitué de deux branches jointes par une articulation. Les compas sont, ou ont été, utilisés en mathé- matiques, en architecture, en dessin industriel, en géographie. Les Grecs attribuaient son invention à Talos, le neveu de Dédale. 4 François DE MARÇAY, Département de Mathématiques d’Orsay, Université Paris-Sud, 2014–2015 Dans l’inconographie, le compas est un instrument de mesure du monde, témoin d’une concentration mathématique avisée. 3. Prologue sur les constructions à la règle et au compas et sur les problèmes impossibles Si l’on souhaite réussir à enseigner de belles Mathématiques à l’École avec une élégance proche de celle des Grecs, il importe de soigner, face à un public d’enfants attentifs et curieux, l’aspect dynamique et esthétique des constructions géométriques. Les constructions de géométrie dans le plan trouvent leurs racines dans la haute Anti- quité, et elles ont connu un essor spectaculaire dans les mathématiques grecques. Les constructions à la règle et au compas occupent une place considérable dans les Élé- ments d’Euclide. Pour les mathématiciens Grecs, les cercles et les droites sont des figures idéales, puisqu’en elles, tous les défauts et toutes les impuretés de leurs réalisations phy- siques — dans le sable, au tableau, sur un papyrus — ont disparu. 3. Prologue sur les constructions à la règle et au compas et sur les problèmes impossibles 5 Presque tous les problèmes de construction géométrique à la règle et au compas que l’on sait résoudre aujourd’hui étaient déjà parfaitement maîtrisés par les Grecs. Euclide a fondé sa géométrie sur un système d’axiomes qui assure en particulier qu’il est toujours possible de tracer une droite passant par deux points donnés et qu’il est toujours possible de tracer un cercle de centre donné et passant par un point donné. La géométrie d’Euclide est donc la géométrie des droites et des cercles, tracés à la règle et au compas. L’intuition (conjecturale) d’Euclide était que tout point géométrique pouvait être construit, ou « obtenu », à l’aide de ces deux instruments. En particulier, tout « nombre » devait pou- voir être accessible comme grandeur géométrique constructible. Mais une telle conjecture fondée sur une croyance intuitive en la puissance des objets géométriques avait déjà été remise en question chez les Grecs. On savait en effet depuis l’École de Pythagore que les nombres rationnels ne suffisent pas à exprimer toutes les lon- gueurs géométriques, puisque la diagonale d’un carré de côté 1, qui correspond au nombre √ 2, ne peut jamais s’exprimer comme une fraction p q avec deux entiers non nuls p, q ∈N∗. Rappelons en effet : Théorème 3.1. Le nombre : √ 2 = 1, 414213562373095048801689 · · · n’est pas rationnel, à savoir plus précisément, pour tous entiers p, q ∈N∗, on a : √ 2 ̸= p q. Démonstration. Ce théorème bien connu et considéré comme très élémentaire par les ma- thématiciens contemporains est en fait beaucoup plus subtil, complexe et puissant qu’il semble en avoir l’air. En effet, il affirme que dans l’univers extrêmement grand de toutes les fractions ration- nelles p q, aucune ne donne la valeur exacte de √ 2. Ceci est quelque peu contre-intuitif, car l’on sait que les fractions rationnelles, avec de grands nombres entiers, peuvent approximer tout nombre réel à un nombre quelconque de décimales près. Voici par exemple le développement décimal d’une fraction rationnelle de taille pas si modeste que cela : 12345678 23456789 = 0, 5263157715 · · · . Et d’ailleurs, si l’on veut par exemple capturer les 15 première décimales de : √ 2 = 1, 414213562373095048801689 · · · , il suffit évidemment de choisir la fraction : p q := 1414213562373095 1000000000000000. La force du théorème, c’est que quelle que soit la complexité de deux entiers p, q ∈N∗, on ne pourra jamais capturer avec p q toutes les décimales de √ 2 jusqu’à l’infini ! Pour démontrer cela, supposons au contraire, en raisonnant par contradiction, qu’il soit possible de représenter : √ 2 = p q. Rappelons qu’un nombre entier r ∈N∗quelconque est toujours soit pair, soit impair. 6 François DE MARÇAY, Département de Mathématiques d’Orsay, Université Paris-Sud, 2014–2015 Nombres pairs Nombres impairs 11 10 13 12 9 6 7 8 5 4 3 2 1 On peut écrire cela sous forme d’une réunion disjointe : N∗= 2 N∗ ∪ 2N + 1  . Par définition, être pair, c’est être multiple de 2. Tout nombre pair r ∈2 N∗est donc de la forme : r = 2 r′, avec r′ ∈N∗. Mais à nouveau, r′ est ou bien pair ou bien impair. Lorsque r′ est pair, on écrit : r′ = 2 r′′, d’où : r = 2 r′ = 2 uploads/Geographie/ regle-compas.pdf

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