Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Les Zemmour. Essai d'histoir

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Les Zemmour. Essai d'histoire tribale (à suivre) Marcel Lesne Citer ce document / Cite this document : Lesne Marcel. Les Zemmour. Essai d'histoire tribale (à suivre). In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°2, 1966. pp. 111-154; doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1966.932 https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1966_num_2_1_932 Fichier pdf généré le 21/04/2018 LES ZEMMOUR ESSAI D'HISTOIRE TRIBALE L'étude dont nous commençons la publication a été présentée comme thèse complémentaire pour le doctorat es lettres à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris, en 1960, sous le titre Histoire d'un groupement berbère, les Zemmour. Elle n'avait jamais été publiée. La thèse principale de M. Marcel Lesne, qui a pour titre Evolution d'un groupement berbère, les Zemmour, a été imprimée par l'Ecole du Livre, à Rabat, en 1959. (Note de la Rédaction.) INTRODUCTION Au début du xxe siècle, un groupe puissant de tribus berbéro- phones illustre, par des actes d'hostilité ou de brigandage, sa présence turbulente aux portes de Rabat et de Meknès. D'humeur guerrière, tout imprégnés des souvenirs de la rude vie en montagne menée par leurs pères, encore exaltés par une récente victoire sur la puissante tribu des Bni-Ahsene qu'ils repoussent pas à pas depuis des générations, les Zemmour font du bled 8Îba une réalité vivante jusque sous les murs de Salé. Aucun étranger ne traverse leur territoire sans s'assurer, contre paiement, la protection coutumière ou mezrag; le Sultan lui-même contourne la forêt de la Mâmora, ravie par les Zemmour aux Bni-Ahsene, et longe la côte pour se diriger vers Meknès. Hostiles aux étrangers certes, mais aussi profondément divisées et en proie à des luttes intestines sans cesse renaissantes, les tribus Zemmour apportent ainsi, dans les plaines arabisées, l'ardeur guerrière et la rudesse des mœurs de la montagne berbère, jusqu'à l'intervention française et le rétablissement de l'autorité centrale. Les tribus Zemmour comptent à l'époque plus de 12 000 tentes groupant environ 60 000 personnes1. Par leurs coutumes berbères de- 1. Chiffre approximatif, cf. Villes et tribus du Maroc, t. III, 1920, p. 188. Actuellement les Zemmour comptent 137 000 ressortissants. Les tribus Aït-Amar d'Oulmès, d'origine zaïane, rattachées administrativement aux Zemmour après le Protectorat français, ne sont pas étudiées ici.i 112 MARCEL LBSNB meurées à peu près intactes, par leur type physique assez différencié, par leur rude valeur guerrière et leur genre de vie semi-nomade et pastoral rappelant celui de la montagne, les tribus Zemmour accusent une très forte personnalité d'ensemble qui apparaît aux yeux des gens les moins avertis, même encore de nos jours. Pourtant, cette grande Confédération comprend de très nombreux groupements internes assez particularisés ; le tableau de commandement dressé après des décades d'administration régulière donne une idée imparfaite de la multiplicité des groupements. Huit grandes tribus ou sous-confédérations : Bni-Hakem, Haouderrane, Aït-Ouribele, Aït-Jbel-Doum, Messarhra, Kabliyine, Aït-Zekri (Aït-Belkassem, Aït-Ouahi, Aït-Abbou) et Bni-Ameur (Aït-Ali-ou-Lahsene, Kotbiyine, Mzourfa, Khzazna, Hej- jama) ainsi que deux tribus de chorfa composent une mosaïque de populations conscientes à la fois de leur origine particulière et de leur appartenance à la Grande Confédération Zemmour. Une étude plus poussée de ces groupements fait ressortir une diversité d'origine toujours plus accusée. Dès lors, délaissant les habituelles explications biologiques ou patronymiques, il faut rechercher ailleurs la clef d'une structure qui allie si curieusement la cohésion de l'ensemble au particularisme forcené des formations internes. Plus qu'une origine géographique commune, qui n'est aucunement certaine, ni même probable, ce sont les aventures vécues ensemble et le genre de vie imposé par les conditions historiques et géographiques qui contribuèrent à rassembler et unir les tribus de la Confédération Zemmour. Les recherches entreprises dans ce sens peuvent paraître téméraires, car la coutume en pays Imazirhene reste purement orale et la vie sous la tente ne favorise guère la conservation de documents écrits. Mais le mouvement SE-NO, qui ébranla tant de populations au Maroc, a laissé des traces profondes dans la tradition orale, et aussi dans les pays traversés, si bien que le lent cheminement des Zemmour vers les plaines atlantiques peut être, non point établi avec certitude, mais esquissé avec l'espoir de dégager plus qu'une hypothèse. C'est sous le règne de Moulay-Ismaïl que les Zemmour apparaissent dans l'histoire. Les récits des chroniqueurs leur assignent alors un rôle de premier plan dans la politique berbère menée par ce souverain et il devient possible de localiser, en utilisant divers documents, ainsi que les données de la tradition orale pour les périodes plus récentes, les divers habitats occupés par les tribus. Certes, la vie profonde des populations nous échappe toujours, mais les relations d'un groupement aussi important que les Zemmour avec la dynastie ou les autres confédérations et tribus apparaissent hautement significatives LES ZEMMOUR 113 des époques et des lieux successifs où elles se situent. Tour à tour tribus makhzen, tribus simplement fidèles à la dynastie, tribus révoltées, tribus périodiquement soumises et tribus en sida, les Zemmour illustrent les étapes de l'histoire de la dynastie alaouite, jusqu'à Moulay-Abdelâziz et Moulay-Hafid. Leur mouvement en direction du NO aurait pu être celui des autres tribus demeurées dans le Moyen Atlas, si l'intervention française n'avait arrêté la coulée des populations berbèrophones vers les plaines atlantiques en immobilisant les Zemmour, tribus de pointe, aux lisières de la Mâmora qu'ils venaient d'arracher de haute lutte aux arabes Bni-Ahsene. Chapitre I DIVERSITÉ DES COMPOSANTES DE LA CONFÉDÉRATION ZEMMOUR I. — L'ancêtre éponyme a) Le lien biologique : explication insuffisante. On tenterait volontiers, par besoin de logique interne et d'unité, par habitude aussi, de rechercher à travers les textes ou les légendes, l'existence d'un ancêtre commun, d'un héros dont les Zemmour tout entiers se considéreraient, plus ou moins, comme les descendants par le sang. Mais il serait tout à fait étonnant, de prime abord, qu'un ensemble de tribus réunissant actuellement plus de cent trente mille individus puisse se réclamer d'un ancêtre commun, même fictif. Aussi bien, même pour les tribus, plus fortement cohérentes que les confédérations, l'hétérogénéité des éléments divers qui les composent interdit d'accepter comme explication essentielle au groupement, voire comme explication valable, l'unité biologique par le sang, qu'elle soit directe ou qu'elle fasse appel à la fiction de l'adoption. « Par le fait même que les populations sont imparfaitement fixées au sol, écrivent A. Bernard et M. Lacroix, les indigènes d'une même tribu ont beaucoup moins de chances de descendre d'un auteur commun que 114 MARCEL LESNB les habitants d'un même village de France » 2. La croyance en un ancêtre éponyme traduit certes la conception de l'union par le sang. Mais la tribu, groupe déjà plus développé que le clan, rassemble des éléments d'origine très diverses. « Elle ne se développe pas seulement par intussusception mais aussi par juxtaposition ... la tribu s'est formée à la fois par le développement familial et par l'agrégation d'éléments étrangers »2. E. Doutte 8 a également constaté, après avoir étudié les populations de Figuig, l'impossibilité d'accepter l'explication de la structure tribale par la consanguinité : « C'est à tort, écrit-il, qu'on se représente les divisions des tribus sous la forme d'un arbre généalogique. Les divisions des groupes actuels de populations constituent généralement, non des rameaux issus d'une même souche, mais des greffes apportées sur un pied primitif parfois impossible à discerner ». b) Le terme Zemmour : ses obscurités. Peut-on trouver pour la Confédération des Zemmour quelque essai d'explication, autre que biologique, au groupement des tribus ? Le terme de Zemmour semble dérivé du berbère Azemmour. Ce mot, écrit E. Laoust, « désigne l'oleaster dans le Sud du Maroc, et l'arbre cultivé dans le Rif, les Kabylies ... etc. Il apparaît d'une antiquité déjà respectable si on en juge par ce fait qu'il s'est fixé comme toponyme dans les régions où le berbère n'est plus parlé : Zemmora en Algérie, Azemmour petite ville du littoral marocain »4. Bien que se référant à un arbre fort commun au Maroc, ce mot se révèle peu utilisé dans l'onomastique marocaine. Il existe un vaste plateau saharien, au S.E. du Maroc, appelé plateau des Zemmour, ce qui, avec la ville d' Azemmour réduit à peu d'exemples l'emploi géographique du terme. Quelques groupements humains font aussi appel à ce mot : Bni-Zemmour qui constituent au S. O. de Casablanca une confédération de tribus arabophones dont Boujad est le plus gros centre, et les Oulad Zemmour, petite fraction de la tribu des Bni-Bou-Yahi installée dans le Haut Msoun, aux environs de Sakka. Rien ne permet évidemment d'effectuer un rapprochement quelconque entre ces noms de lieux et nos tribus Zemmour; de même l'absence totale de rapports et de 2. A. Bernard et M. Lacroix, L'évolution du nomadisme en Algérie, Alger, 1906, p. 278. 3. E. Doutte, Figuig. Notes et impressions, 1903, p. 186. 4. E. Laoust, Mots et choses berbères, Paris, 1920, p. 447. LES ZBMMOUR 115 souvenirs communs entre Bni-Zemmour et Zemmour ne semble pas devoir permettre de retenir l'affirmation du Cheikh Zemmouri5, qui les cite comme frères de race; en outre, les trois groupes : Zemmour, Bni-Zemmour, Oulad-Zemmour sont respectivement classés comme berbère, arabe et zénète6. La rareté d'emploi du générique Zemmour, ainsi que uploads/Geographie/ remmm-0035-1474-1966-num-2-1-932.pdf

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