PREMIER CHAPITRE Auteur : Romain Sardou Titre : Une seconde avant Noël ISBN : 2

PREMIER CHAPITRE Auteur : Romain Sardou Titre : Une seconde avant Noël ISBN : 2-266-16807-X N°13196 Prix : 6,20 € 1851. À Cokecuttle, cité industrielle anglaise hérissée des cheminées des hauts-fourneaux couvertes de suie, Harold Gui, neuf ans, orphelin de père et de mère, survit péniblement sous les ponts en pratiquant divers petits métiers. Et pourtant… Harold ne le sait pas encore, mais il est promis à un avenir merveilleux. Guidé par un génie invisible, il va découvrir un monde peuplé de lutins, d’arbres magiques et de rennes volants. D’extraordinaires aventures l’attendent avant de pouvoir enfin rencontrer sa destinée et devenir ce personnage à la longue barbe blanche et au costume rouge éclatant que nous connaissons tous très bien : le Père Noël… CHAPITRE PREMIER Où l’on fait la découverte d’un lieu, d’une époque et d’un petit garçon À l’heure où débute ce récit, en cette nuit froide du jour et du mois de l’année, le 16 octobre 1851, les habitants de Cokecuttle dormaient paisiblement, abattus par leurs longues heures passées aux ateliers et aux usines. Dans cette lointaine ville du Lancashire, la nature, les landes, les bois clairs, les pâturages herbeux étaient aussi éteints que s’ils n’avaient jamais existé ; les tours noirâtres des manufactures avaient envahi le paysage depuis longtemps. Cokecuttle était autrefois un petit village de pêcheurs ; c’était maintenant une cité industrielle sans âme, couverte par la suie, le coke des hauts fourneaux, la houille grasse, la fumée des machines. Les familles d’ouvriers y vivaient dans de sordides lotissements noyés entre les fabriques et les dépôts de charbon. © Oh ! Éditions, 2005. Ce soir, tout était silencieux et immobile. Une nuit sans lune. Pourtant. Pourtant tout ne dormait pas dans la ville... S’il était possible au lecteur de ce petit conte (que nous imaginons allongé dans sa chambre ou blotti sur un strapontin de métro), s’il lui était possible de se suspendre provisoirement dans les airs de Cokecuttle, oh ! pas trop haut, mais, mettons, à une cinquantaine de pieds, il pourrait visiter à la manière d’un esprit bienveillant le dessus des ruelles et des places de la ville. Là, il apercevrait dans l’éclat cuivré des becs de gaz un spectacle surprenant : en dépit de l’heure tardive, sur trois placettes, une quarantaine de garçons, âgés d’entre sept et douze ans, étaient répartis en trois équipes, sous l’autorité de trois adultes. Le lecteur, étant assez haut pour ne rien perdre de la scène, pourrait alors se poser la question soufflée depuis quelques lignes par l’auteur : mais que se passait- il ? Un rendez-vous annuel, et de premier ordre, voilà ce qui se passait. « Un rendez-vous d’enfants, en pleine nuit ? » Hélas. Il va sans dire que ces enfants n’étaient pas là pour s’amuser, mais bien pour gagner un travail... Un travail qui les sauverait de la misère. À l’époque, les petits dans les villes avaient, en termes de rémunération, un choix notablement restreint et cruel : ils pouvaient trier les poubelles des propriétaires, faire la chasse aux rats pour le compte de la mairie, intégrer une filature ou une usine de confection de bouteilles où leurs petits doigts étaient très estimés, réduire de la caillasse en vue de la construction de nouvelles routes, ou encore aller patauger à la marée basse dans les cours d’eaux usées de la ville à la recherche d’une pièce ou d’un objet à revendre bon marché. Ce dernier travail, les petons nus dans la boue et l’urine, hiver comme été, pouvait passer pour l’existence la plus abominable, mais ce serait omettre les gamins exploités dans les « tanneries », usines de traitement des cuirs si infectes et si empuanties de réactifs chimiques et de chairs mortes qu’elles étaient bâties à une grande distance des villes. Restait un métier cependant. Mieux peut-être, un statut. Et que tout le monde appréciait : les petits ramoneurs ! La recrudescence des ateliers et des foyers chauffés au charbon avait, depuis quelques années, assuré un travail quotidien réservé à l’enfant. Il n’en fallait pas davantage pour pousser les orphelinats et les familles sans ressource à proposer leurs chérubins à la merci des Maître Ramoneurs. L’enthousiasme était tel que les candidatures surpassaient les besoins des villes et qu’on devait instaurer des épreuves et des concours pour sélectionner les plus capables. C’est très exactement ce qui se déroulait cette nuit, à Cokecuttle. Ici, trois Maîtres Ramoneurs opéraient avec le tampon des autorités ; leurs effectifs étaient très en deçà des mille deux cents enfants qui œuvraient sur les toits de Londres, mais Cokecuttle s’étendait à grands pas et l’on pensait déjà à établir une nouvelle concession. Cette nuit, sur la quarantaine de postulants, douze étaient regroupés sur la « Place des Fêtes », sous l’autorité du Maître Lucius Lavander. L’homme était petit, © Oh ! Éditions, 2005. ancien ramoneur lui-même, il avait une trentaine d’années. Il montrait un visage ovale, des cheveux en broussaille, des favoris en côtelettes, des yeux en tête d’épingle et un teint enfariné. « C’est un nain glabre », disait-on. Une jaquette jaune d’un effet très visible et des bottines de soldat gagnées à un jeu de dés achevaient de le rendre ridicule. Pour l’épreuve de ce soir, l’exercice que Lucius avait choisi était aussi simple que ravageur : une course d’adresse et de vitesse. Des mouchoirs avaient été suspendus à l’extrémité de quatre des nombreuses cheminées qui entouraient la place ; les candidats partiraient ensemble et les premiers qui dénicheraient le fichu caché remporteraient le concours. C’était une épreuve excellemment pensée pour se rompre le cou et rendre sa jeunesse à Dieu. Lavander n’ignorait pas que, dans la troupe de garçons alignés devant lui, le jeune âge et les guenilles dissimulaient certainement quelques petites filles poussées par leurs parents à taire leur nature ; son cœur se serra, mais : « Les temps sont difficiles pour tout le monde, se dit-il. Et qu’y puis-je moi, si le Diable n’est pas mort ? » Il secoua la tête et oublia les fillettes apeurées, le teint olivâtre et maladif de certains enfants, comme les dangers absurdes de son examen. L’un des douze malheureux maigres et faméliques se montrait plus attentif et plus vif que les autres. Il avait neuf ans et s’appelait Harold Gui. Harold, parce que, orphelin de père et de mère, il avait été abandonné au seuil d’une abbaye de Stanfield, au matin de la Saint-Harold. Gui, parce que le jeune prêtre qui, ce jour-là, ouvrit en premier le portail de l’abbaye se trouvait être le père Gabriel Gui, charmant garçon qui recueillit pour un temps le nouveau-né et lui céda son nom. Harold fut ensuite confié à un orphelinat du Lancashire, celui de Miss Parrott, le plus odieux de tout l’ouest du royaume anglais, mais dont il avait réussi à s’échapper un an auparavant grâce à un stratagème que nous dévoilerons plus tard. Le garçon était blond, le cheveu coupé court, les yeux noirs mais très ouverts, la peau claire et le nez retroussé. Il portait des hardes, ses godillots laissaient passer l’eau comme les doigts d’une main. Il n’avait sur lui rien de très extraordinaire puisque tous les enfants à ses côtés étaient ses semblables. Il était seulement un peu plus petit (il ne mesurait que trois pieds et demi, soit cinq pouces en dessous de la statistique retenue par l’Assistance publique pour un mâle de neuf ans). Ce handicap de taille avait failli mettre en doute le fait qu’il ait les sept ans requis pour exercer le métier de ramoneur sur Cokecuttle. Il aurait dû être disqualifié mais les sélections des Maîtres se faisaient en deux temps et il avait triomphalement remporté l’épreuve précédente ; elle était primordiale aux yeux des Maîtres, la vertu principale d’un petit ramoneur n’étant pas pour eux de nettoyer convenablement un conduit de cheminée mais de savoir se faire payer dès la besogne accomplie. Beaucoup de particuliers profitaient du jeune âge des ouvriers pour les taper de quelques shillings, aussi fallait- il aux Maîtres des garnements habiles qui ne se laissaient pas berner, sachant sans erreur tous les types de pièces de monnaie en circulation. Pas plus tard que la veille, une épreuve avait mis en scène des simulations de troc et de marchandage : le petit Harold s’y montra particulièrement inspiré. Il fit oublier pour un temps ses modestes mensurations, mais ce n’était que partie remise à ce soir. © Oh ! Éditions, 2005. Lucius Lavander consulta sa montre et abaissa son chapeau ; il voulait présenter un mouchoir identique à ceux utilisés pour l’épreuve mais, dans un double fond du chapeau, il dissimulait aussi sa bourse d’économies ; celle-ci manqua de tomber par inadvertance, en face des enfants ; surpris comme un voleur, Lucius la rattrapa et la plongea dans une poche de son pantalon, lorgnant d’un œil mauvais ceux qui avaient surpris ce geste. « Chers sacripants ! fit-il. Le départ est pour le prochain coup de cloche de l’église. Tenez-vous prêts ! » Lucius Lavander avait constitué uploads/Geographie/ romain-sardou-une-seconde-avant-noel 1 .pdf

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