Wu shen 1 LES ESPRITS1 LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LA PENSÉE CHINOISE CLAS

Wu shen 1 LES ESPRITS1 LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LA PENSÉE CHINOISE CLASSIQUE La notion de shen 神, habituellement traduite par “esprits”, est complexe et multivalente. Elle revêt des significations différentes selon son évolution au cours du temps comme selon les contextes où elle se trouve employée. Ainsi les nuances seront importantes entre l’emploi de shen 神 en philoso- phie, dans les textes religieux, dans la théorie de la médecine, dans les usages populaires ... Si l’on remonte à l’origine, on trouve le caractère shen 神 employé dans les inscriptions sur bronze, comme dans les textes les plus anciens, avec le sens des esprits des ancêtres : les puissances qui sont “au Ciel” et qui exercent un pouvoir “en bas” sur leurs descendants. D’où l’usage du caractère shen 神 pour les esprits du Ciel, par opposition par ex. aux esprits de la Terre (gui 鬼). On a donc shen 神 , les esprits, des “divinités”, des êtres dotés d’une puissance divine, exerçant leur influences sur les hommes et la nature entière. Leur pouvoir est merveilleux, prodigieux, miraculeux, subtil et imper- ceptible. On constate le résultat de la présence des esprits; mais on ne peut pas expliquer comment ils opèrent, puisque la nature même de leur pouvoir est céleste, vient d’un ordre “supérieur”. On ne peut donc pas expliquer leurs opérations par la logique des raisonnements humains; on ne peut pas inté- grer leur puissance à l’expression duelle qui est celle du monde sous le Ciel. D’où leur définition dans le Xici2 : “Ce que le Yin/Yang ne peut sonder, ce sont les esprits.” Leur action ne peut être qu’excellente et parfaite, puisque céleste. Elle est donc toujours et par défi- nition expression de l’ordre de l’avènement et du déroulement de la vie dans le monde, de l’ordre naturel qu’on appelle aussi le Ciel (tian 天). Les esprits sont donc l’animation céleste en tout être. Ils sont l’ordre sacré de la vie dans chaque phé- nomène naturel comme dans les affaires humaines. On a ainsi des esprits pour tous les lieux ou forces naturels comme pour les parties de la maison, pour les maladies ou le bonheur; il y a ceux qui président aux naissances ou aux mariages, ceux qui patronnent tous les corps de métiers, qui pro- tègent les Lettrés ou les prisonniers ... Ils président à toutes les activités de la nature et de l’homme. Les esprits dans la nature Les esprits sont partout : divinité de la montagne ou de la rivière, du feu ou du bois, des céréales ou des nouvelles pousses, du tonnerre ou des nuages, de la peste ou de la sécheresse, de la scarlatine ou de la variole, du bonheur ou de la richesse, des portes ou de l’âtre, des puits de sel ou des digues, de la tuile du toit ou des latrines, du Foie ou des yeux, de l’Estomac ou du cerveau, .... On peut regarder les esprits comme des fonctionnaires divins, des serviteurs du Ciel, des garants de l’ordre naturel. Ce n’est pas dépréciatif que d’être les employées de la vie, d’avoir pour charge de garder les souffles dans le courant de la vie, d’en diriger les manifestations, de telle sorte qu’elles ne dévient pas de ce qu’elles doivent être, mais suivent leur nature conférée à l’origine.3 1.Cette présentation est loin d’épuiser le sujet et d’étudier toutes les facettes de la notion de shen 神. Elle explore sim- plement quelques aspects qui éclairent son usage dans les grands textes de la théoies médicale. 2.Ou Grand Commentaire du Livre des Mutations, rédigé vers les IV, IIIè siècles avant l’ère chrétienne. Wu shen 2 Le génie du fleuve fait couler le fleuve vers la mer; l’esprit d’un élément, comme le Feu, fait que le feu monte et flambe, réchauffe et diffuse; la divinité de la sécheresse la fait arriver quand les circons- tances la provoquent, l’esprit des portes contrôle ce qui passe par elles ... Chaque esprit fait en sorte que tout fonctionne selon sa nature propre. Les esprits en l’homme Les esprits descendent du Ciel et peuplent le monde qui entoure l’homme; mais ils pénètrent aussi dans les êtres et contrôlent en l’homme tous les mouvements de sa psychologie comme de sa physio- logie. Dès le Zuozhuan1, on trouve, pour shen 神, le sens de très intelligent;un homme “spirituel” est éclairé, de l’intérieur, par ces puissances célestes; c’est un être inspiré et merveilleusement sage. Les esprits sont donc des puissances extérieures, qui existent en elles-mêmes comme agents du Ciel, capables de protéger les humains, ou de leur nuire. Mais ils peuvent aussi pénétrer leur corps et être présents dans le centre de la personne et de la personnalité qu’est le Cœur, ainsi que dans tous les organes et toutes les parties de l’organisme. La question se pose alors de savoir si ces esprits des- cendent en un être par une sorte de volonté du Ciel ou bien si leur présence en un homme est le résul- tat d’un travail d’intériorisation qu’il effectue de son propre chef. Le travail intérieur par lequel on suscite en soi les esprits est déjà le sujet central d’un texte de la fin du IVè siècle avant J..C., le cha- pitre Neiye du Guanzi. On peut même en arriver à se demande si les esprits propres d’un homme ont une existence réelle en dehors du corps de cet homme et des essences qui le composent. L’expression “essences-esprits” jingshen 精神 désigne l’esprit vital de l’homme, où les esprits sont indissociables de ses essences. Les esprits animent les essences, si elles sont assez pures et subtiles pour se laisser pénétrer par eux. La puissance qu’ils peuvent déployer en un humain est fonction de la qualité des essences que celui-ci est capable de maintenir et renouveler en lui; c’est dire que la pré- sence des esprits dans un humain et la capacité à contrôler les opérations de la vie est fonction de la conduite de cet homme : s’il sait ou non se rapprocher de l’ordre naturel dans ses activités physiques comme dans son équilibre mental et affectif. Se rapprocher de l’ordre naturel, c’est se laisser habiter par les esprits pour se conformer au Ciel. Ainsi, il dépend de l’homme de se mettre sur la voie de l’intériorisation des esprits; cette orientation intérieure le conforte de plus en plus dans l’ordre natu- rel qui est le déploiement optimal de sa propre vie; on dit alors que les esprits, qu’il a su attirer et gar- der, le gardent de tout mal, tant qu’il maintient, par le calme intérieur, la qualité nécessaire des essences. Cependant il n’y a aucun déterminisme absolu; les esprits sont volatiles; l’homme ne peut que se conformer, dans la mesure de ses possibilités, à l’ordre naturel; mais comme il ne peut le pénétrer entièrement, à moins d’être parvenu au stade ultime où il ne fait qu’un avec cet ordre, où il est devenu céleste, où il s’est incorporé à la Voie, il y a toujours de bonnes chances pour que des fluc- tuations existent dans sa conduite. Les esprits ne se gardent pas comme si l’on pouvait les tenir ou les enfermer; ils vont et viennent, c’est leur mouvement caractéristique. L’homme ne peut garder que sa vigilance à ne pas commettre d’erreurs qui sèmeraient en lui l’agitation et troubleraient la limpidité de ses essences. 3.Il peut certes y avoir des conflits d’autorité. Par exemple quand telle divinité est condamnée ou bannie par un haut fonctionnaire, comme représentant un culte illicite. Mais, en ce cas, deux ordres du monde s’opposent, tous deux naturels : l’ancien, dont la divinité condamnée se prévaut, et le nouveau instauré par le Fils du Ciel, l’Empereur de qui le haut fonctionnaire tire son autorité. 1.Commentaire de la Chronique des Printemps et Automne (Chunqiu), sans doute rédigé vers les V-IVè siècles avant l’ère chrétienne, et remanié autour de l’ère chrétienne. Wu shen 3 “Les esprits prennent vie de Ce qui n’a pas (de forme wu 無) et les formes (les corps, xing 形) sont achevées par Ce qui a (forme you 有)1 . ... Ainsi dit-on : les esprits envoient (activent) les souffles (shen shi qi 神使氣) et les souffles déterminent les formes. Ces formes ont des principes d’organisa- tion (li 理) qui déterminent leur espèce, et par les espèces on les classe. ... Le Sage se fonde sur les esprits pour les rendre présents (en lui). Bien qu’il ait en lui le merveilleux, il doit accomplir ses dis- positions propres (qing 情)2 . Celui qui va au cœur de la Voie glorieuse (de splendeur) a l’illumina- tion (ming 明) . Celui qui n’a pas le cœur d’un Sage pour accèder à l’intelligence (cong ming 聰明), comment pourrait-il rendre présents en lui les esprits du Ciel Terre et accomplir les dispositions natu- relles attachées à sa forme ? Les esprits : les êtres les reçoivent, mais sans en avoir conscience (zhi 知 ); ils vont et viennent (qu lai 去來). C’est pourquoi le Sage est dans la crainte et désire les rendre pré- sents uploads/Geographie/ textes-d-x27-elisabeth-rochat-de-la-vallee.pdf

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