Nouvelle revue d'onomastique TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique d
Nouvelle revue d'onomastique TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des îles Canaries Abdelaziz Allati Citer ce document / Cite this document : Allati Abdelaziz. TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des îles Canaries. In: Nouvelle revue d'onomastique, n°31-32, 1998. pp. 143-156; doi : https://doi.org/10.3406/onoma.1998.1313 https://www.persee.fr/doc/onoma_0755-7752_1998_num_31_1_1313 Fichier pdf généré le 04/04/2018 TAL : UNE BASE TOPONYMIQUE ANCIENNE DE L'AFRIQUE DU NORD ET DES ÎLES CANARIES Diachronie du berbère et toponymie de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries La toponymie ancienne de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries constitue un domaine dont l'exploration est à peine entamée (cf. Galand, 1986, 1989 ; Diaz Alayon, 1987 ; Aliati, 1996, 1997 et 1998a). Il est étonnant que ce champ reste inexploité, et ce malgré le grand intérêt - souligné par plusieurs chercheurs - qu'il présente, entre autres, pour les études diachroniques berbères qui accusent un grand retard en raison de l'absence de renseignements sur les stades antérieurs de cette langue. Serait-il aussi impénétrable que les inscriptions libyques ? Celles-ci n'étant pas encore déchiffrées, tout ce dont on dispose se limite aux formes modernes de la langue berbère - la langue la plus ancienne attestée en Afrique du Nord - qui survit sous la forme de dialectes et de parlers disséminés tout au long de son ancien territoire1, et dont la plus grande partie se trouve au Maroc. Les études diachroniques berbères se cantonnent, vu l'absence de documents anciens, dans les comparaisons interdialectales dont la profondeur historique est très limitée. Elles ne servent tout au plus qu'à expliquer certains phénomènes du berbère moderne (cf. plus bas et Allati, 1998a). Certes, certains résidus des formes anciennes sont conservés dans les parlers berbères modernes, mais ils sont si intégrés dans les différents stades de l'évolution de cette langue qu'il est très difficile de les identifier correctement, et si rares et dispersés qu'il est impossible de reconstituer les structures anciennes dont ils faisaient partie (cf. plus bas). Le rideau qui sépare le berbère ancien et moderne est, dans l'état actuel de la recherche, plus opaque que jamais. L'absence de la profondeur historique de ces études a eu en outre un effet négatif sur les études diachroniques berbères, et ce parce qu'on fait passer les éléments qu'elles ont dégagés pour des formes du proto-berbère ou d'une étape qui en est proche (cf. Prasse, 1969, 1972, 1984 ; Chaker, 1984, 1995). Et comme ces éléments ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui caractérisent les parlers berbères modernes, on fait croire que cette langue millénaire n'a pas subi de changements notables tout au long de son histoire (cf. Aliati, 1996, 1998a). Si les comparaisons interdialectales constituent, en l'absence de renseignements directs sur les formes anciennes du berbère, une des méthodes de reconstruction de cette langue, cela ne veut pas dire que ce qui est reconstruit par cette méthode en présente ses formes anciennes. Ce qui est reconstruit est ce qui est atteint par les comparaisons interdialectales et non ce qui pourrait être atteint. Le temps qui sépare le proto-berbère ou le berbère ancien du berbère moderne (9 à 10 millé¬ naires selon l'estimation de Chaker (cf. Chaker, 1995)) a englouti toutes les traces des formes anciennes dont il ne reste tout au plus que quelques résidus difficilement identifiables et presque ou totalement inexploitables. Si l'on ne peut y accéder par les comparaisons interdialectales, cela ne justifie pas de leur substituer les formes communes aux dialectes et aux parlers berbères modernes qui sont passés dans le moule évolutif des langues sémitiques (cf. plus bas). Bien des éléments montrent en effet que les comparaisons interdialectales n'ont accédé qu'à une étape très avancée du berbère, probablement celle qui est très proche des formes modernes de cette langue millénaire (cf. plus bas et Aliati, 1996). 143 Nouvelle Revue d'Onomastique n° 31-32 - 1998 Il suffit à cet égard d'examiner plusieurs éléments relevés dans les parlers berbères modernes (l'usure phonétique, les résidus des formes anciennes) pour lesquels on ne trouve pas, dans l'état actuel de la recherche, d'explication historique (cf. Prasse, 1969, 1972, 1984 ; Galand. 1989, 1993 ; Chaker, 1995), et de regarder de près quelques toponymes et microtoponymes anciens de l'Afrique du Nord et des Iles Canaries pour se rendre compte des différences qui existent entre le berbère ancien et moderne ; ex. Selmounech (Maroc), Frenda (Algérie), Bertinech (Maroc), Gafour (Tunisie), Kansara (Maroc), Karensara (Maroc), Teltnarsine (Maroc), Bardaja (Iles Canaries), Moraba (Tunisie), Imarasfeld (Maroc), Azantaras (Iles Canaries), Markinid (Maroc), Sfarssid (Maroc), Artabache (Algérie), Dartinamara (Iles Canaries), Madragnarou (Maroc). Ni les formes des parlers berbères modernes, ni les résultats des comparaisons interdialectales ne peuvent nous aider a déchiffrer ces items dont l'opacité équivaut ou dépasse celle des inscriptions libyques dont le déchiffrement n'est pas, à notre avis, entravé uniquement par l'absence de la notation des voyelles. Ces toponymes et ces microtoponymes - comme peut-être les inscriptions libyques - renferment des structures différentes de celles du berbère moderne qui empêchent en réalité l'accès à leurs structures et leurs significations, et qui sont, du même coup, responsables de l'état des recherches dans ce domaine. Le fait de négliger ces différences et de vouloir y déceler obstinément les formes du berbère moderne (cf. Chaker, 1995) n'avance à rien, si ce n'est compliquer davantage les faits en enrichissant les phénomènes d'attraction, d'intégration et de réinterprétation par l'étymologie dite "populaire", qui sont très fréquents dans le domaine de la toponymie. Et l'on se rend vite compte, ce faisant, que le nombre des termes qui pourraient être analysés de cette façon est insignifiant par rapport à un corpus considérable dont on ne sait que faire. Sur plus de 500 toponymes que j'ai relevés dans le livre d'El Bekri2, Chaker n'en analyse que 61 dont 2 sont d'origine arabe ; la plupart des autres sont expliqués par des formes proches attestées dans le berbère moderne (cf. Chaker, 1995). Méthode de description Que faire justement pour appréhender ces données récalcitrantes en l'absence des renseignements sur les formes anciennes du berbère ? Il existe, en Afrique du Nord, plusieurs couches toponymiques ai relation avec les langues des populations qui se sont succédé dans cette région (berbère ancien et moderne, phénicien, punique, latin, arabe, français, espagnol)3. Après l'inventaire et la classification de ces couches toponymiques, nous nous sommes limité à l'étude de celle qui est plus ancienne : celle qui est opaque et qui ne peut être expliquée par aucune langue connue dans cette région. Vu que les toponymes et les microtoponymes constituent des unités linguistiques dont on connaît les référents4 et qu'ils sont généralement des descriptions du paysage, ils peuvent être décrits à l'aide des données géographiques. Les spécificités topographiques et géomorphologiques des endroits qu'ils 144 TAL : une base toponymique ancienne de l'Afrique du Nord et des lies Canaries dénomment présentent, en l'absence des documents anciens qui font défaut pour les périodes préhistoriques pendant lesquelles ils ont été formés, l'unique moyen pour pouvoir déceler leurs structures et leurs significations. Celles-ci sont identifiées au moyen des correspondances systématiques entre les caractéristiques du paysage et les toponymes et les microtoponymes étudiés. Ces correspondances sont établies lors des enquêtes de terrain pendant lesquelles sont scrutés les rapports entre les noms de lieux et le paysage ou, plus précisément, ses caractéristiques topographiques et géomorphologiques. C'est sur ces correspondances que nous nous sommes fondé pour reconstruire le système phonético-phonologique du berbère ancien et l'évolution qu'il a subie (cf. Aliati, 1996, 1998a), et pour identifier et comprendre les variations phonétiques qui caractérisent la base toponymique TAL. TAL et ses variantes Les correspondances systématiques entre TAL et les caractéristiques topographiques et géomor¬ phologiques des lieux qu'elle dénomme, nous ont permis de déterminer sa signification et ses variantes. Elle correspond à des montagnes et, d'une façon générale, à des hauteurs. Elle est rarement attestée isolée : elle apparaît surtout combinée avec d'autres bases toponymiques ; ex. Talat Mibourghaz, Maroc, Talangeras, Iles Canaries, Talasemtane (Jbel), Maroc, Tlemsane (mont), Algérie, Tallal (Kef), Maroc, Talelt (Djbel), Tunisie, Telle, Iles Canaries, Telda, Iles Canaries, Talami, Maroc, Talmet (col), Algérie, Atlas (chaîne montagneuse de l'Afrique du Nord, qui s'étend de l'embouchure de l'oued Sous, au sud-ouest du Maroc, jusqu'au cap Bon et au golfe de Gabes en Tunisie ; cf. notamment l'Anti-, le Moyen et le Grand Atlas du Maroc et l'Atlas Tellien en Algérie). Beaucoup de berbérophones vont reconnaître, dans ces toponymes, une forme du berbère moderne tala ou tara qui est également très fréquente en toponymie et qui signifie "fontaine, source". Celle-ci provient d'une autre base toponymique IL et ses variantes AL, EL, L qui signifient "eau, cours d'eau" (cf. Aliati, 1997), auxquelles est préfixée la marque du féminin ou du diminutif du berbère moderne t. La confusion des unités différentes est fréquente dans l'évolution des langues (cf. Martinet, 1955 ) et en toponymie où elle est renforcée par les processus d'attraction et d'intégration5. TAL a subi plusieurs altérations qui ont affecté partiellement ou complètement sa forme. Les processus de contraction sont tels qu'il n'en reste parfois qu'une seule consonne ou voyelle. uploads/Geographie/ toponymie-en-afrique-du-nord-et-iles-canaries.pdf
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- Publié le Jui 04, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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