Le «Mémoire sur la vie de Monsieur Elie Bertrand» (1783), ou la construction de
Le «Mémoire sur la vie de Monsieur Elie Bertrand» (1783), ou la construction de la postérité d’un «grand homme» des Lumières helvétiques Auguste Bertholet Lumières.Lausanne Ι Trouvailles Juin 2021 – n° 6 ISBN 978-2-940331-61-1 Pour citer cet article : Auguste Bertholet, « Le “Mémoire sur la vie de Monsieur Elie Bertrand” (1783), ou la construction de la postérité d’un “grand homme” des Lumières helvétiques », Trouvailles Lumières.Lausanne, n° 6, juin 2021, url : http://lumieres.unil.ch/publications/trouvailles/6/. © Université de Lausanne. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction de ce document, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en Suisse. Son stockage dans une base de données autre que Lumières.Lausanne est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur. Trouvailles Lumières.Lausanne, n° 6, 2021 © Université de Lausanne 1 Le «Mémoire sur la vie de Monsieur Elie Bertrand» (1783), ou la construction de la postérité d’un «grand homme» des Lumières helvétiques Auguste Bertholet Le pasteur vaudois Elie Bertrand (1713-1797) s’est illustré en Suisse et en Europe par l’ampleur de ses travaux savants1. À la fois théologien, géologue, économiste et précepteur, Bertrand déploie tout au long de sa carrière une activité érudite intense et multiforme, qui lui vaut d’être reconnu comme l’un des représentants clés des Lumières helvétiques. Pour tracer son parcours biographique, le « Mémoire sur la vie de Monsieur Elie Bertrand », dont il existe deux copies manuscrites, s’avère être une source précieuse dans laquelle l’historiographie a déjà puisé à plusieurs reprises depuis l’étude de Marc Weidmann en 1986 2. La publication intégrale de ce document, demeuré à ce jour inédit, sur la plateforme Lumières.Lausanne offre au chercheur la possibilité de mieux comprendre à la fois la nature du texte, rédigé dans le genre de l’éloge, et la place qu’Elie Bertrand a occupée au sein de la République des lettres et des sciences dans la seconde moitié du XVIIIe siècle3. La source L’un des deux manuscrits du « Mémoire sur la vie de Monsieur Elie Bertrand » a été déposé aux Archives cantonales vaudoises en 1919 par la Société vaudoise de généalogie (ACV, P SVG G 27). Dans une courte note autobiographique intitulée « Mes souvenirs ou les époques principales de ma vie » (1795, avec ajouts de 1797)4, le savant en attribue la rédaction au Neuchâtelois Frédéric Samuel Ostervald, ami de longue date et beau-père de Jean-Elie Bertrand, le neveu d’Elie. Les notes de bas de page et les quelques ajouts effectués dans le corps de texte peuvent être attribués à Elie Bertrand. Ce « Mémoire » avait été préparé « afin d’être inséré à la tête d’une édition complète des ouvrages d’histoire naturelle d’Elie Bertrand qui devait être imprimée par la Société typographique de Neuchâtel »5, dont Ostervald était l’un des directeurs, mais cette édition ne fut jamais réalisée. S’il n’est pas possible de savoir si le document a appartenu à Bertrand, il est du moins certain que celui-ci l’a révisé. Composé de 76 pages, le texte est relié dans un cahier avec d’autres documents biographiques concernant la famille Bertrand ; ils ont été assemblés après le décès d’Elie Bertrand en vue de former une collection relative aux membres illustres de la famille. Inscrite à la fin du mémoire, la date de 1783 coïncide avec le déroulement des événements décrits et marque ainsi la fin de la rédaction. 1 Je remercie Béatrice Lovis et Rossella Baldi pour leur relecture et leurs précieux apports. Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet FNS n° 100011_172846, « Enlightenment Agrarian Republics : From Vaud, to Poland and America ». 2 Marc WEIDMANN, « Un pasteur-naturaliste du XVIIIe siècle : Elie Bertrand », Revue historique vaudoise, n° 94, 1986, p. 63-108. 3 Voir sa transcription en annexe. 4 Cette note est conservée au CBG-Centrum voor familiegeschiedenis de La Haye. 5 Rossella BALDI, « Questionner la figure du médiateur : mises à jour archivistiques autour d’Elie Bertrand », xviii.ch, n° 5, 2014, p. 191-202. Trouvailles Lumières.Lausanne, n° 6, 2021 © Université de Lausanne 2 Une copie du « Mémoire » est conservée à la Bibliothèque cantonale universitaire de Lausanne (BCU, ms.Hist.860a). Identique à celui des ACV à deux variantes près, ce manuscrit ne contient pas les modifications apportées au « Mémoire » par Bertrand. La première variante – une note de bas de page anecdotique – est de la main d’Ostervald ; est-ce que cette version aurait dès lors appartenu au Neuchâtelois ? La seconde variante est un dernier paragraphe supplémentaire qui évoque la mort d’Elie Bertrand. La BCU conserve aussi une copie du manuscrit de « Mes souvenirs » sous le titre de « Époques principales de la vie d’Elie Bertrand écrites pour lui-même » (BCU, ms.Hist.860b), rédigé en 1797. Il s’agit d’une courte liste d’évènements marquants de la vie du savant. L’œuvre et le réseau intellectuel d’Elie Bertrand Une lecture attentive du texte permet de questionner des enjeux inexplorés sur les pratiques savantes des Lumières. Elie Bertrand y décrit presque chacune de ses publications en retraçant leur genèse. De la Nouvelle Bibliothèque, ou histoire littéraire des principaux écrits (1738-1744), qu’il a contribué à fonder en Hollande, jusqu’au Système des trois règnes de la nature, qu’il prévoyait d’écrire à la fin de sa vie, les travaux de Bertrand sont évoqués au fil de ses collaborations savantes. Le « Mémoire » dresse non seulement la liste de ses écrits, mais révèle également le lieu de leur production, les individus qui y ont contribués et le prétexte de leur conception. Le lecteur découvre par exemple que son Essai sur l’art de former l’esprit (Lyon, 1764) est le résultat du programme éducatif qu’il a élaboré pour les comtes polonais Michel-Georges et Joseph Mniszech, dont il a été le précepteur de 1762 à 17686. Cette information invite à reconsidérer le statut de ce texte qui devient le produit d’une démarche pratique, adressé à un lectorat actif dans la pédagogie. L’essai de Bertrand nous informe sur ses projets et les stratégies d’enseignement qu’il a mises en pratique. Son « Mémoire » offre ainsi un ancrage historique à un texte qui n’avait été lu jusqu’ici que de manière purement théorique. De même, les Elémens de la police générale d’un Etat (Yverdon, 1781), attribués jusqu’à récemment à l’éditeur Fortunato de Felice, s’avère être un texte que Bertrand a rédigé dans le cadre de ses enseignements auprès des comtes Mniszech7. La formation, les collaborations et le réseau de connaissances d’Elie Bertrand sont décrits au fil des pages. Après quelques considérations sur l’histoire de sa famille, le « Mémoire » évoque ses études en belles-lettres et en philosophie suivies à l’Académie de Lausanne entre 1728 et 1732 auprès des professeurs Abraham Ruchat8, Jean François Dapples9 et François Frédéric de Treytorrens10. Les deux années suivantes, Bertrand suit des cours de théologie, de physique et de droit naturel à l’Académie de Genève auprès d’Alphonse Turrettini11, de Gabriel Cramer12 et de Jean Jacques Burlamaqui13. Lors de son séjour de formation en Hollande, de 1734 à 1739, il côtoie des savants illustres, à l’exemple du médecin Herman Boerhaave (1668-1728), du botaniste Johannes Burman (1707-1780) et du juriste et 6 Voir Radoslaw SZYMANSKI, « Vaud et Berne vus par des voyageurs polonais en 1763-1764 », in Béla Kapossy et Béatrice Lovis (dir.), Gibbon et Lausanne, Gollion : Infolio, 2022 (à paraître). 7 Voir Radosław SZYMANSKI, « Vattel as an Intermediary Between the Economic Society of Berne and Poland », in Koen Stapelbroek et Antonio Trampus (eds.), The Legacy of Vattel’s Droit des gens, Cambridge : Palgrave Macmillan, 2019, p. 40. 8 Sur Abraham Ruchat (1680-1750), professeur d’éloquence et de théologie, voir sa notice dans le Dictionnaire historique de la Suisse (désormais : DHS) (https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011317/2010-05-06/). 9 Sur Jean François Dapples (1690-1772), professeur de grec et de morale, voir sa notice sur Lumières.Lausanne (https://lumieres.unil.ch/fiches/bio/49/). 10 Sur François Frédéric de Treytorrens (1687-1737), professeur de philosophie, mathématiques et physique, voir sa notice dans le DHS (https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/026248/2012-03-05/). 11 Sur Alphonse Turrettini (1671-1737), professeur d’histoire ecclésiastique et de théologie, voir sa notice dans le DHS (https://hls- dhs-dss.ch/fr/articles/011336/2014-02-25/). 12 Sur Gabriel Cramer (1704-1752), professeur de philosophie et de mathématique, voir sa notice dans le DHS (https://hls-dhs- dss.ch/fr/articles/025878/2005-08-17/). 13 Sur Jean Jacques Burlamaqui (1694-1748), professeur de droit naturel, voir sa notice dans le DHS (https://hls-dhs- dss.ch/fr/articles/016279/2003-03-13/). Trouvailles Lumières.Lausanne, n° 6, 2021 © Université de Lausanne 3 diplomate Willem Jacob ‘s Gravesande (1688-1742). Plus tard, lors du Grand Tour effectué avec les frères Mniszech entre 1766 et 1768, Bertrand se lie avec plusieurs savants, diplomates et politiciens des pays visités. En Angleterre, il rencontre notamment le philosophe David Hume et Edward Mason, secrétaire et bibliothécaire du duc de Cumberland. En France, il côtoie de nombreuses personnalités françaises, comme le prince Louis-François de Bourbon-Conti, le philosophe Claude-Adrien Helvétius, le militaire Louis-Philippe d’Orléans, l’écrivain et homme politique Charles de Villette et l’artiste Claude- Henri Watelet, mais aussi étrangères, à l’exemple du ministre polonais Heinrich von Brühl et de Benjamin Franklin, uploads/Geographie/ trouvaille-ll-6-2021-bertholeta.pdf
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- Publié le Fev 15, 2022
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