R Ê V E R L A V I L L E … U t o p i a « Tout le monde rêve d’une cité idéale. S
R Ê V E R L A V I L L E … U t o p i a « Tout le monde rêve d’une cité idéale. Sauf ceux qui considèrent comme satisfaisante la ville qu’ils habitent. Mais ils sont rares. Aussi rares que ceux qui trouvent parfaite la société dans laquelle ils vivent. Le philosophe dans sa bibliothèque et le déraciné dans son bidonville rêvent d’une ville qui puisse satisfaire aussi bien leur quotidienneté que leurs fantasmes. » Michel Ragon - L’homme et les villes (1995) < l a q u ê t e d e l a c i t é i d é a l e : l ’ U t o p i a > De tous temps les hommes ont rêvé de villes idéales, des Utopia symbolisant par leur situation, leur topologie, leur aménagement, leurs propres aspirations d’une société plus démocratique, plus juste ou plus libre. L’Utopia est parfois la métaphore spatiale de la société idéale, ou bien à l’inverse on imagine que la forme urbaine que l’on veut révolutionnaire, ou que les caractéristiques novatrices des bâtiments, auront une influence sur la société, sur la façon de vivre, de travailler, de s’éduquer, sur les relations entre les personnes. Bien plus qu’une utopie architecturale, la ville idéale est souvent, avant tout, la description mythifiée de l’organisation s ociale, politique et économique d’une communauté humaine. Bien que le terme « utopie » et l’initiation du genre littéraire utopique soient portés au crédit de Thomas More au XVI e siècle 1, la quête de la cité idéale remonte à l’Antiquité, aux écrits de Platon et avant lui aux travaux d’Hippodamos au V e siècle avant JC. L’architecte Hippodamos reconstruit la ville de Milet (494 av.JC) en mettant en pratique sa conception d’une cité idéale par un découpage spatial en trois parties, séparant les habitants selon leurs classes sociales, plaçant au centre de la ville une agora. La forme urbaine suit un tracé géométrique rigoureux dont on trouvera écho dans de nombreuses villes postérieures, comme la ville de Turin au Xe siècle et bien plus tard dans les villes américaines au tracé en damier comme Washington ou New York à la fin du XVIIIe. Le plan de la ville de Milet transpose dans l’espace, de manière rationnelle, la constitution et l’organisation sociale et politique de la cité grecque ; comme toute vision utopique, elle fera l’objet à l’époque d’une contre-utopie qui montrera ses travers. Aristophane se moque d’Hippodamos et de la construction au cordeau de la ville de Milet dans la pièce Les Oiseaux (414 av.JC) : « Je prendrai mes dimensions avec une règle droite que j’applique de manière que le cercle devienne carré. Au centre il y aura une place publique, où aboutiront des rues droites convergeant vers l e cercle même et, comme d’un astre lui- même rond, partiront en tous sens des rayons droit » ; les sages heureusement décident de fuir une cité trop rationnelle, devenue invivable, pour fonder une ville sans contraintes entre ciel et terre. Bien plus tard Gulliver de Swift découvrira avec stupeur l’aberration de la société scientiste de l’Île de Laputa. « Mais quoi ? Ne verra-t-on pas disparaître les procès et les accusations réciproques, dans notre cité où chacun des gardiens n'aura à soi que son propre corps, et où tout le reste sera commun ? Ne s'ensuit-il pas que nos citoyens seront alors à l'abri de tous les conflits que fait naître parmi les hommes la possession de richesses, d'enfants et de parents ? […] Ainsi ils seront délivrés de toutes ces misères, et mèneront une vie plus heureuse que la vie bienheureuse des vainqueurs olympiques. » Platon - La République, livre V. 1 Le mot « utopie » est forgé par Thomas More à partir du grec ou-topos, « nulle-part » et eu-topos, « lieu de bonheur ». R Ê V E R L A V I L L E … U t o p i a Dans La République2, Platon décrit une organisation civique et militaire idéale qui trouve sa légitimité dans l’Athènes ancienne mythique. La société très codifiée est régie avant tout par l’intérêt communautaire, elle est fondée sur une organisation rationnelle de la cité et sur la représentation de la cosmogonie Athénienne. L’éducation qui vise à réaliser l’harmonie du corps et de l’â me est un élément essentiel, mais la cellule familiale est proscrite au bénéfice de la communauté. Platon invente dans Le Timée puis dans Critias, le mythe de l’Atlantide, en opposant dans son récit l’Athènes ancienne, qu’il situe dans un passé imaginaire neuf mille ans avant son époque, aux conquérants Atlantes établis dans une île fortifiée par Poséidon. La civilisation idéale athénienne est stable et harmonieuse ; elle est organisée en trois groupes sociaux auxquels on accède par le mérite personnel : la classe supérieure formée par les philosophes et les prêtres en charge de l’administration de la cité, les guerriers responsables de sa défense et les artisans et agriculteurs qui s’occupent des problèmes économiques. Les envahisseurs Atlantes, descendants d’une civilisation engloutie par les eaux sont insulaires ; l’île est par essence un environnement protégé et inaccessible qui s’est développé de m anière autonome loin de la société continentale. La civilisation athénienne idéale est située quant à elle d ans un passé immémorial (l’histoire mythique est relatée par un témoin indirect qui lui même la tient de quelqu’un d’autre); projection dans le temps qui sera utilisée fréquemment dans les utopies, notamment dans la littérature d’anticipation ou les écrits uchroniques (utopies temporelles). C’est sur une île également que Thomas More placera la civilisation de l’Utopie (1516) qui figure son idéal d’ordre moral et de justice sociale. L’île Utopia, découverte par le navigateur Hythlodée (que More, contemporain de la découverte du Nouveau Monde, fait le compagnon de route d’Amerigo Vespucci) est maillée par un réseau de cinquante- quatre villes construites sur le même modèle urbain, avec les m êmes édifices et le même système politique de type suffrage indirect : les six mille familles vivant dans chacune des cités élisent des magistrats qui eux- même nomment un prince ; le système politique est très éloigné de la société féodale de la Renaissance, la destitution possible du prince devant les prémunir de tout despotisme. La stabilité de la démographie et l’équilibre socio-économique sont garantis par un mécanisme de répartition entre familles ou entre villes en cas de population excédentaire. « Les Utopiens divisent l’intervalle d’un jour et d’une nuit en vingt-quatre heures égales. Six heures sont employées aux travaux mat ériels. […] Le temps compris entre le travail, les repas et le sommeil, chacun est libre de l’employer à sa guise. Loin d’abuser de ces heures de loisir, en s’abandonnant au luxe et à la paresse, ils se reposent en variant leurs occupations et leurs travaux.[….] Tout le monde en Utopie, est occupé à des arts et à des métiers réellement utiles. Le travail matériel y est de courte durée, et néanmoins ce travail produit l’abondance et le superflu. […] Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d’abord aux besoins de la consommation publique et indiv iduelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s’affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l’étude des sciences et des lettres. C’est dans ce développement complet qu’ils font consister le vrai bonheur. » Utopia – livre second -Thomas More – 1516. 2 La République – Platon – Ed. Garnier (1966). R Ê V E R L A V I L L E … U t o p i a Dans les environs, la campagne est rationalisée afin d’optimiser la production agricole qui est la principale activité de l’île, hormis quelques industries manufacturières essentielles. Le commerce extérieur assure la richesse de l’île, les biens et les richesses sont redistribuées à la communauté, le commerce intérieur étant interdit. La durée du travail est limitée (à six heures par jour, préfigurant notre RTT nationale !) de manière à laisser du temps pour la culture personnelle. La société ut opique que dessine More est très loin de celle imaginée par Platon qui était organisée en castes hiératiques : ici apparaît l’idée d’une société plutôt égalitaire (bien qu’il subsiste ma lgré tout une caste d’esclaves, condition qui, il est vrai, n’est pas héréditaire) fondée sur un humanisme catholique, avec cependant une certaine rigidité de la société et une austérité du mode de vie qui semble être la contrepartie de l’équité sociale du système. La société en Utopia, bien que communautaire, est patriarcale et les mœurs sont très encadrés, le divorce y est quasiment interdit3, l’adultère est puni d’esclavage. A peu près à la même époque, l’abbaye de Thélème du Gargantua (1534) de Rabelais est l’alter ego de l’île d’Utopie. Ici est pris le contre-pied systématique des valeurs monastiques de la Renaissance : l’architecture de l’abbaye est somptueuse et ouverte sur l’extérieur ; ses résidents sont beaux, heureux et richement vêtus. Point d’ascétisme : aux contraintes des vœux moniaux se uploads/Geographie/ utopia-cle17cefc.pdf
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- Publié le Nov 23, 2021
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