27/07/2021 Images du corps dans le monde hindou - Chapitre 6. Le monde dans le
27/07/2021 Images du corps dans le monde hindou - Chapitre 6. Le monde dans le corps du Siddha - CNRS Éditions https://books.openedition.org/editionscnrs/9318 1/32 1 CNRS Éditions Images du corps dans le monde hindou | Véronique Bouillier, Gilles Tarabout Chapitre 6. Le monde dans le corps du Siddha Microcosmologie dans les traditions médiévales indiennes David G. White p. 189-212 Texte intégral Le but commun à toutes les pratiques tantriques, dit en termes très généraux, est d’incarner le divin, de l’incorporer en soi et d’obtenir ainsi une expérience corporelle de la divinité. On devient la divinité afin de lui rendre un culte, on se transforme en un « second Śiva », ce sont deux façons courantes d’exprimer ce processus d’incorporation, qui peut 27/07/2021 Images du corps dans le monde hindou - Chapitre 6. Le monde dans le corps du Siddha - CNRS Éditions https://books.openedition.org/editionscnrs/9318 2/32 2 Les Siddha, les Nāth Siddha et la Siddhasiddhāntapaddhati s’effectuer par les techniques du mantra-nyāsa (c’est-à-dire le placement des mantra sur le corps), par la méditation sur des yantra (diagrammes), par des rites impliquant des échanges de fluides sexuels et par la pratique du haṭha yoga. Toutes ces techniques supposent une identité virtuelle entre le microcosme du corps humain et le macrocosme de l’univers, qui est aussi considéré, nous le verrons, comme le corps mésocosmique de la divinité. Le but de ces pratiques est donc, en fin de compte, de faire fusionner ensemble ces trois mondes cosmiques, afin que l’adepte puisse percevoir son propre corps comme le fait la divinité, c’est-à-dire comme une incarnation de l’univers. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la fascination médiévale pour les homologies entre microcosme et macrocosme : l’identification du corps subtil ou corps yogique de l’adepte dans toutes ses parties avec l’univers dans toutes ses parties étant une façon d’exprimer cet objectif qu’était l’incarnation du divin. Je vais donner dans cet article la traduction du passage exposant la microcosmologie indienne médiévale de la façon la plus détaillée que je connaisse – le troisième chapitre du traité haṭhayogique Siddhasiddhāntapaddhati (SSP) de Gorakṣanātha1; ce texte nous amènera à une discussion plus large sur la relation entre microcosmologie et sotériologie dans différentes traditions de l’Asie du Sud telles qu’elles s’expriment dans le Bhāgavata et le Viṣṇu Purāṇa, les Yoga Sūtra de Patañjali et un certain nombre de sources bouddhistes et jaïnes. Je voudrais, ce faisant, démontrer que, pour un adepte pleinement réalisé (un Siddha), le passage de l’état de yogin dans le monde à celui de yogin contenant le monde dans son corps même, n’est autre que son apothéose – à la fois transcendance et intériorisation de l’univers extérieur du macrocosme –, et une expérience d’ordre divin de ce macrocosme devenu désormais un microcosme dans son corps 27/07/2021 Images du corps dans le monde hindou - Chapitre 6. Le monde dans le corps du Siddha - CNRS Éditions https://books.openedition.org/editionscnrs/9318 3/32 3 4 5 Selon les source hindoues antérieures au iie siècle avant notre ère, les Siddha étaient une catégorie de demi-dieux habitant les régions atmosphériques, au-dessus de la terre des mortels mais au-dessous du ciel des dieux. Dans les siècles qui suivirent, on en vint à penser que les humains pouvaient se transformer en Siddha – self-made gods selon les mots de Charlotte Vaudeville2 – et accéder au monde des Siddha semi-divins grâce à un voyage surnaturel, à la dévotion, et plus spécialement, grâce à un ensemble de techniques comprenant alchimie, haṭha yoga et pratiques érotico-mystiques. C’est ainsi qu’apparurent pendant la période médiévale un certain nombre de groupes sectaires dont l’élite affirma avoir atteint le statut semi-divin des Siddha. Parmi ceux-ci il y eut les praticiens du tantrisme ou tāntrika Siddha Kaula, les alchimistes Rasa Siddha, les Mahasiddha bouddhistes, les Cittar tamil et les Nāth Siddha haṭhayogin3. C’est pour ce dernier groupe que la SSP est un texte fondamental. Comme l’affirme clairement le premier verset, la SSP est l’œuvre de Gorakhṣanātha, que l’on peut identifier à Gorakhnāth, le fondateur des Nāth Siddha ; c’est à lui que l’on doit la première présentation systématique de la discipline du haṭha yoga ainsi qu’un grand nombre de poèmes et traités sur la théorie, l’expérience et la pratique yogiques qu’il écrivit vers le xii-xiiie siècle dans l’Inde du Nord-Ouest4. Bien que nous ne puissions pas affirmer avec certitude que cette SSP est l’œuvre d’un seul auteur plutôt qu’une compilation qui évolua au cours de plusieurs siècles, les dates de nombreuses sources identifiables que cet ouvrage cite avec précision font penser qu’il ne saurait être postérieur au xiie siècle5. Il comporte six chapitres, tous consacrés au corps (piṇḍa), objet habituel de la doctrine et de la pratique des Siddha. Le troisième de ces chapitres (SSP 3.1-14), intitulé « La science du corps », établit de façon très détaillée une identification du microcosme du corps humain avec le macrocosme de l’oeuf cosmique des textes purāṇiques. Je m’y référerai dans cet article comme à la science de la « microcosmologie6». On ne trouve pas dans ce chapitre 3 de la SSP la description Nāth Siddha ordinaire du corps subtil ou yogique 27/07/2021 Images du corps dans le monde hindou - Chapitre 6. Le monde dans le corps du Siddha - CNRS Éditions https://books.openedition.org/editionscnrs/9318 4/32 comprenant seize supports (ādhāra), cinq vides (vyoman), neuf centres (cakra) et dix canaux (nāḍῑ) ; ceux-ci sont énumérés et décrits dans le chapitre 2 de la SSP7. Il s’agit plutôt ici d’une identification terme à terme des différentes parties et organes du corps humain avec les mondes, les régions, les massifs montagneux, les corps célestes et les créatures vivantes de l’œuf cosmique, aussi bien qu’avec les qualités abstraites et les émotions humaines qui se trouvent à l’intérieur de l’Œuf du Brahman (brahmāṇḍa) de la cosmologie puranique. Ce texte constitue ainsi un pont entre les Gorakh Bāni8, ce recueil de poésie vernaculaire attribué à Gorakhnāth, et les œuvres sanskrites de Gorakṣanātha. Alors que ces dernières sont en général des guides techniques, sèchement discursifs, de la théorie et pratique du haṭhayoga, les premiers tendent à insister sur l’expérience du haṭhayogin et font souvent appel à des représentations métaphoriques ou allégoriques du corps subtil ou yogique du pratiquant, à la façon des chants caryā (antérieurs au xiie siècle) en vieux bengali9. Dans ces poèmes, les parties constituant le corps yogique ou ses fonctions sont comparées par exemple à une forge d’orfèvre, un match de polo, une partie de chasse, une ville, un magasin de spiritueux, les quatre yuga (cycle cosmique), la géographie du Doab, la pêche au filet, les relations de caste, une ville peuplée d’animaux assoiffés10, etc. Un ouvrage intitulé Gorakh Bodh, qui se présente comme un dialogue entre Gorakhnāth et son guru Matsyendranāth, offre un large échantillon de ces comparaisons qui impliquent les neuf planètes, les cinq éléments, les canaux subtils, les cakra11, etc. Le texte Nāth Siddha qui ressemble le plus à la SSP 3.1-14, est attribué pourtant à un autre auteur, du nom de Cauraṅgināth. Dans cet ouvrage, le Prāṇ Sāṅkali, qui date probablement du xive siècle12, le corps yogique est aussi comparé ou identifié avec l’univers et est décrit comme contenant les huit clans de serpents, les huit mondes inférieurs, les sept continents, les sept océans, les sept rivières, les sept cieux, les quatorze mondes, les cinq éléments, les vingt-cinq catégories (tattva), les cinq domaines, les 92 000 canaux subtils (le chiffre standard est 72 000), les 8 400 000 créatures, les sept jours de la semaine, les quinze jours des quinzaines lunaires, les 27/07/2021 Images du corps dans le monde hindou - Chapitre 6. Le monde dans le corps du Siddha - CNRS Éditions https://books.openedition.org/editionscnrs/9318 5/32 6 7 La Siddhasiddhāntapaddhati 3. 1-14 et son contexte « Examinons maintenant la science du corps. Celui qui ressent à l’intérieur de son corps tout ce qui est mobile et immobile [c’est-à-dire tout ce qui existe] devient un yogin doué de la connaissance du corps. [1] La tortue18 est située dans la plante du pied [et les sept mondes souterrains (tala) sont placés au-dessus] : Pātala dans le gros orteil, Talātala au-dessus du gros orteil, Mahātala dans le talon, Rasātala dans la cheville, Sutala dans le mollet, Vitala dans les genoux et Atala dans les cuisses. Là, les sept mondes souterrains sont soumis au pouvoir de Rudra, le seigneur des dieux. Dans le corps, il [Rudra] est Bhāva, l’incarnation de la colère, ou en vérité Rudra, le Destructeur du Feu du Temps19. [2] La terre est [située] dans l’anus, l’atmosphère dans la région génitale, le ciel dans la région du nombril. Ainsi le dieu Indra [demeure] dans le triple monde à l’intérieur du corps. Celui qui contrôle tous les sens (indriya), celui-là seul est Indra. [3] douze signes du zodiaque, l’ensemble des dieux et des divinités mineures et les quatre âges, tout cela avec autant de détails que dans la SSP13. Par exemple les sept constituants du corps (dhātu) sont identifiés aux sept jours de la semaine, les neuf planètes aux neuf orifices du corps et les quatre Vedas au nombril, au cœur, à la gorge et uploads/Geographie/ white-david-le-monde-dans-le-corps-du-siddha.pdf
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- Publié le Mar 06, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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