Yoga et alchimie Par Arion Ro§u, Versailles A la memoire du Professeur Jean Fil

Yoga et alchimie Par Arion Ro§u, Versailles A la memoire du Professeur Jean Filliozat Depuis le sifecle dernier les indianistes ont pu prendre connaissance des pröcieuses informations donnöes en arabe par al-Birüni dans son livre sur l'Inde, termini en 1031.' Au chapitre XVII de cet ouvrage, le savant iranien nous renseigne sur la science que les Indiens appellent rasäyana, comparable ä l'alchimie mais qui leur est entiferement propre: «C'est un art, dit-il, qui fait intervenir certaines operations, drogues et compositions mfedicinales, dont la plupart sont d'origine vfegfetale. Ses prineipes r6tablissent la santfe des incurables et rendent la jeunesse aux vieillards d6crfepits; les hommes reviennent ä un äge proche de la pubertfe; les cheveux blancs redeviennent noirs; on retrouve l'acuitfe des sens, l'agilitfe de la jeunesse et mfeme la puissance sexuelle: ainsi la vie des hommes dans ce monde est prolongee jusqu'ä un äge avanc6»." Al- Birüni a compris abusivement comme «or» le premier membre du composfe rasäyana, alors que rasa dfesigne ici soit le mercure, soit le cinabre, ou les «corps essentiels» qui se trouvent ä l'fetat natif (cinabre, mica, pyrites, etc.). Cette erreur s'explique probablement par une fausse indication donnfee ä l'auteur, mais aussi par la difficultfe g6nferale d'acquferir des connaissances sur un savoir comme l'alchimie,'* en- seignfee en une tradition fesotferique.* Les techniques de rajeunissement, auxquelles se rfeffere al-Birüni, se rattachent non seulement ä l'alchimie {rasavidyä) mais aussi et surtout ' Edit6 en 1887 et traduit en 1888 par Ed. C. Sachau, qui a donnö ult6rieure- ment une nouvelle Edition: Alberuni's India. 2 vol. London 1910. ^ Alberuni's India I, p. 188-189. ' J. Filliozat: Al-Birüni et l'alchimie indienne. In: Al-Birüni Commemoration volume. Calcutta 1951, p. 104. Cf. Rasärnava/calpa 2SS: rasäy anam param guhyam gopaniy am prayatnatah 11 Cf Rasendracüdämanill, 58: rasa-vidyä drdham gopyä mätrguliy am iva dhruvam \ Voir aussi Alberuni's India I, p. 188. 24 ZDMG 132/2 364 Arion Ro§u ä la mcdecine indienne.'' Le rasäyana eonstitue traditionnellement, de mfeme que le väjikarana (aphrodisiaques), une des huit divisions ou «articles» (astänga) de l'Äyurveda ou «science de longue vie».'' Pour les vaidya, les remfedes (bhesaja) sont en effet de deux sortes, selon qu'ils doivent gu6rir le malade ou fortifier le bien portant.' On y voit un prolongement de la vieille repartition atharvanique en charmes de gu6rison (bhaisajyä) et charmes de long6vit6 (äyusya).* Une thfese r6cente n'hfesite pas h associer la recherche de drogues fortifiantes et mficrobiotiques k l'institution asc6tique dans l'Inde ancienne. Afin de pourvoir h, leur subsistance, les mfeditants avaient k cueillir des plantes alimentaires, mais aussi k se procurer des simples vivifiants." D'aprfes les doctrines äyurv6diques, l'organisme est constitu6 de sept tissus ou «felfements» (dhätu) anatomiques, qui dferivent les uns des autres, en partant du premier: le suc organique, assiinilfe au chyle (rasa), puis le sang (rakta), la chair (märnsa), la graisse (medas), l'os (asthi), la moelle (majja) et le sperme (sukra).'" Caraka, qui montre les bienfaits — longue vie, santfe, fepanouissement physique et mental — du traitement vivifiant dfesignfe par rasäyana, le dfefinit comme un moyen favorisant l'apport de suc organique et d'autres felfements constitutifs du corps (dhätu)." Cette interprfetation du terme rasäyana, Dalhana, le savant' commentateur de Susruta,'^ la complfete par une explication ^ Voir A. Ro§u: Considerations sur une technique du rasäyana äyurvidique. In: nj 17 (1975), 1-2, p. 1-29 et 3-4, p. 395. " Suäruta: Sütra I, 7-9 et III, 45. Le Rasäyanatantra et le Väjikaranatan.tra sont incorporös aussi bien par Susruta que par Caraka dans la section de th6ra- peutique ( Cikitsästhäna) . ' Caraka: Cikitsäl, 1,4: . . . bhesajarn dvi-vidham ca tat] svasthasyorjas-karam kim eil kim cid ärtasya roga-nut 11SuÄruta (Sütra I, 14) pröffere parier de prescrip¬ tions th6rapeutiques pour les malades et de prescriptions prophylactiques pour les bien portants: iha khalv äyurveda-prayojanam vyädhy-upasrstänärn vyädhi- parimoksah, svasthasya raksanam ca \ | * P. Ray: History of chemistry in ancient and medieval India. Calcutta 1956, p. 37 et 63. '* S. Mahdihassan: Indian alchemy or rasäyana in the light of ascetism and geriatrics. New Delhi, [etc.] 1979, p. 10-12 et 16-18. "' SuÄruta: Sütra XIV, 10. " Caraka: Cikitsä I, 1, 7-8: dtrgham äyuh smrtim medhäm ärogyam tarunarn vayah \ prabhä-varna-svaraudäryam dehendriya-balarn param 11 7 11 väk-siddhim pranatim käntim labhate nä rasäyanät | läbhopäyo hi iastänäm rasädinäni rasä- yanam 11 8 11Cf. Cikitsä I, 1, 73 et Suäruta: Sütra I, 8 (paragr. 7), cit6 ci-dessous, n. 42. '" Dalliauii sur SuÄriita: Cikilsä X.XVII, 1: ranädi-iUidlFinäiii <iyiiiinni äpyä- yanam, athavä bhesajäsrilänüni rasa-virya-vipäka-prabhävänäm ayur-bala-vTrya- Yoga et alchimie 365 d'ordre pharmacologique: rasa dfesigne aussi la saveur et peut donner en mödecine des indications sur la composition, les propri6t6s et l'ac¬ tion probable d'une drogue."* Utilis6 originellement en Ayurveda, le rasäyana trouve plus tard une application dans l'iatrochimie m6di6vale (rasasästra) , marqufee par le röle majeur du mercure, qui domine aussi les speculations alchimiques.''' Le terme rasa est employ^ ici pour le vif-argent ou pour une sferie de corps essentiels, et l'expression sanskrite i-asäyanaünitpar signifier alchimie en g6n6ral.'° Les panac6es rasäyaniques sont ä l'fepoque classique essentiellement v6g6tales (cyavanapräsa) , notam¬ ment ä. base des trois myrobalans (triphalä), mais certaines comportent aussi des composants animaux, minferaux {siläjatu-rasayana) ou m6tal- liques (brähma-rasäyana)."^ En iatrochimie indienne, les 61ixirs vivifiants sont des preparations mercurielles, alors que le vif-argent est presque absent dans les formules anciennes. Avant le manuscrit Bower qui le nomme rasa, (II, 4L 297), Susruta le mentionne, pour usage externe, sous le nom pärada dans la preparation d'un onguent efficace [Cikitsä XXV, 39). II le prescrit egalement, avec le terme sutära, pour un antidote particulier, dont on enduit les instruments musicaux (vädya-pralepa) qu'on doit faire jouer en cas d'intoxication alimentaire (Kalpalll, 14-15). UAstän- gasamgraha de Vägbhata (VIe sifecle) est le premier traitfe medical qui prescrit l'emploi interne du mercure {Uttara XLIX, 245). La stance contenant cette formule therapeutiquo se retrouve identique dans le texte alchimique Rasärnava (XVIII, 14) du Xlle sifecle ou peut-fetre antfei-ieur," et un peu differente dans la Brfiatsarnhitä (LXXV, 3) de därdhyänäin vayah-sthairya-karänäm ayaiiam läbhopäyo rasäyanam. Cf. P. Kutumbiah: Ancient Indian medicine, Bombay, [etc.] 1974, p. 123. P. V. Sharma: Introduction to dravyaguna. Varanasi 1976, p. 24. Voir D. JosHi: Mercury in Indian medicine. In: Studies in history of medi¬ cine 3 (1979), 4, p. 234-297. Cf. D. M. Bose, S. N. Sen, B. V. Subbarayappa (6d.): A concise history of science in India. New Delhi 1971, p. 313-338. P. Ray, op. cit., p. 166-167. Cf. (L. Renou et) J. Filliozat: LTnde clas¬ sique. II. Paris-Hanoi 1953, p. 167-171 (chimie). '" Voir Caraka: Cikitsä 1, 1, 41-61 {brähma-rasäyana), 62-74 (cyavana¬ präsa), I, 3, 15-23 (lauhädi-rasäyana) , 41-47 (triphalä-rasäyana) , 62-65 (äilä- jatu-rasäyana) . Voir aussi Susruta: Cikitsä XXVII-XXIX. Cf. S. Mahdi¬ hassan, op. cit., p. 21-29. Les trois myrobalans (triphalä) sont: ämalaka (Phyl¬ lanthus emblica Linn.), bibhitaka (Terminalia belerica Roxb.) et harltaki (Termi- nalia chebula Retz.). " D'aprfes D. Joshi, spfecialiste du rasasästra k la Facultfe de mfedecine indienne de Bfenarfes (eommunication personnelle). 24' 366 Arion Ro§u Varähamihira, mort en 587 de notre äre. A l'6poque Gupta, la science du mercure {rasasästra) semble avoir abouti, parallfelement aux pratiques alchimiques {dhätuvädä), ä des applications mfedicales {dehaväda).'^ Les rasavädin se sont ingfenifes ä trouver une möthode de traitement pour purifier le mercure et le rendre propre aux preparations m6dici- nales. Les v6g6taux interviennent aussi bien dans les processus chimi- ques de purification des mfetaux que dans les formules th6rapeutiques ou rasäyaniques. La littcrature sanskrite du rasasästra leur reserve en elTet une place importante, plus de deux cents noms de plantes y 6tant mentionnfes, avec les propri6t6s et les emplois de ces vfegfetaux.'" Le Systeme mercuriel, auquel le Sarvadarsanasamgraha a consacrfe un chapitre,^" comporte deux orientations — mfedicale et alchimique — qui sont indissociables. Le refa9onnement de l'individualitfe physique {käya-kalpa) rejoint le perfectionnement du mfetal, la transsubstantia¬ tion du corps {deha-vedha) fetant calqufee sur la transmutation des mfetaux vils (loha-vedha) L'aurification alchimique inspire I'opti¬ misme macrobiotique, car la manipulation de divers mfetaux rejoint les procfedfes de rajeunissement. Les technique de longue vie sont intime¬ ment associfees ä une recherche de la dfelivrance dans cette vie {jivan¬ mukti). La conception d'un corps incorruptible, merveilleux (divya- deha), qui renferme ce trfesor infiniment prfecieux qu'est V ätman, nourrit ä titres divers non seulement le tantrisme et l'alchimie, mais aussi la Cf. P. V. Sharma: Drugs as landmarks of the history of Indian medicine. In: Inde ancienne. VI. Paris 1976, p. 464 et 465-466 (Actes du XXIXe Congres inter¬ national des orientalistes). Texte repris du Joumal of research in Indian medicine 8 (1973), 4, p. 87-93, avec le passage concemant le mercure p. 88-89. Pour la Brhatsarnhitä, notre r6f6rence est d'aprfes I'fedition de Varanasi 1968 et corres¬ pond k LXXVI, 3 dans I'fedition de Bangalore 1947. L'interprfetation de ra,sY/ «mercure» dans le manuscrit Bower, citfe ci-dessus, n'est pas unaniment admise (cf fed. A. F. R. Hoernle, p. 107, n. 123). Enfin, I Arthasästra ne connait ap|)a- remment pas le mercure, bien que certains n'aient pas hfesitfe ä y voir les premiferes allusions ä des opferations mercurielles. En fait, Kautilya uploads/Geographie/ yoga-et-alchimie.pdf

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