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Espace géographique Milieu et motivation paysagère Augustin Berque Citer ce doc

Espace géographique Milieu et motivation paysagère Augustin Berque Citer ce document / Cite this document : Berque Augustin. Milieu et motivation paysagère. In: Espace géographique, tome 16, n°4, 1987. pp. 241-250; doi : https://doi.org/10.3406/spgeo.1987.4266 https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1987_num_16_4_4266 Fichier pdf généré le 03/01/2019 Résumé D'un point de vue qualifié de médialisme, on développe les implications de la notion de milieu (relation d'une société à l'espace et à la nature) et de mediance (sens à la fois écologique et symbolique d'un milieu) à propos du paysage. Le paysage n'est ni un simple objet ni une simple représentation subjective, mais une trajection (une liaison sujet/objet) qui fonctionne à la fois comme empreinte (exprimant certaines façons de voir et de faire) et comme matrice (informant des expressions ultérieures). Dans ce procès d'expression, le monde de la causalité et celui de la métaphore sont articulés par des prises médiales, engendrées par des habitus. Cette articulation, qui ne relève ni proprement du physique ni proprement du phénoménal, mais de Y entre-deux mésologique, n'est possible qu'aux ordres de grandeur pratiques (des échelles) qui définissent un milieu donné, selon un enchaînement de motifs temporels et spatiaux : la motivation paysagère. Un exemple historique (le Sakutei-kî) illustre ces positions en matière d'aménagement paysager. Abstract Milieu and landscape motivation. — From a point of view coined as medialism, the implications of the notions of milieu (relationship between society, space and nature) and of mediance (ecological and symbolical character/meaning of this relation) are here elaborated in respect of landscape. Landscape is neither a mere object nor a mere subjective representation, but a trajection (a subject/object combination), which functions both as an imprint (which expresses ways of seing and doing) and as a matrix (which informs later expressions). In this expressional process, the world of metaphor and that of causality are articulated by medial holds — or affordances — , brought forth by habitus. This articulation, which properly is neither physical nor phenomenal, but mesological, is only possible within the scope of a given milieu, defined according to practical scales, through the concatenation of temporal and spatial motifs : landscape motivation. A historic example (the Sakutei-kî) illustrates these conceptions, concerning landscape design. Tome XVI L'Espace Géographique, n° 4, 1987, p. 241-250. Doin, 8, place de l'Odéon, Paris-VIe. No 4 1987 Approches de l'espace MILIEU ET MOTIVATION PAYSAGÈRE Augustin BERQUE Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris Maison franco-japonaise (Nichi-Futsu Kaikan), Tokyo médialisme RÉSUMÉ. — D'un point de vue qualifié de médialisme, on développe les implica- médiance tions de la notion de milieu (relation d'une société à l'espace et à la nature) et de milieu mediance (sens à la fois écologique et symbolique d'un milieu) à propos du paysage. paysage Le paysage n'est ni un simple objet ni une simple représentation subjective, mais trajection une trajection (une liaison sujet/objet) qui fonctionne à la fois comme empreinte (exprimant certaines façons de voir et de faire) et comme matrice (informant des expressions ultérieures). Dans ce procès d'expression, le monde de la causalité et celui de la métaphore sont articulés par des prises médiales, engendrées par des *'• v "" habitus. Cette articulation, qui ne relève ni proprement du physique ni proprement ■' J- du phénoménal, mais de Y entre-deux mésologique, n'est possible qu'aux ordres de grandeur pratiques (des échelles) qui définissent un milieu donné, selon un enchaînement de motifs temporels et spatiaux : la motivation paysagère. Un exemple : historique (le Sakutei-kî) illustre ces positions en matière d'aménagement paysager. landscape ABSTRACT. — Milieu and landscape motivation. — From a point of view coined • MEDIALISM as medialism, the implications of the notions of milieu (relationship between society, mediance space and nature) and of mediance (ecological and symbolical character/meaning of milieu this relation) are here elaborated in respect of landscape. Landscape is neither a trajection mere object nor a mere subjective representation, but a trajection (a subject/object combination), which functions both as an imprint (which expresses ways of seing and doing) and as a matrix (which informs later expressions). In this expressional process, the world of metaphor and that of causality are articulated by medial holds — or affordances — , brought forth by habitus. This articulation, which properly is neither physical nor phenomenal, but mesological, is only possible within the scope of a given milieu, defined according to practical scales, through the concatenation of temporal and spatial motifs : landscape motivation. A historic example (the Sakutei-kî) illustrates these conceptions, concerning landscape design. Introduction : ambivalence mésologique et médialisme Pourquoi valorisons-nous aujourd'hui plus qu'hier les approches sensibles de l'environnement, comme en témoigne la vogue de notions telles que paysage, aménités, patrimoine, identité locale, vernaculaire, mémoire, genius loci, spatialité, contexte, organique, ludique, sensus communis, etc.? Pareille tendance peut sans doute se rattacher à la résurgence de ce penchant hédoniste de la socialite que M. Maffesoli a qualifiée d'« ombre de Dionysos », et dont il a montré la filiation dans l'histoire de la société occidentale comme dans celle des sciences sociales. On se bornera donc ici à évoquer cette conjoncture, pour aborder la question sous un angle particulier : celui du milieu, 242 Augustin Berque défini comme la relation d'une société à l'espace et à la nature. Une telle définition implique, on le verra, une problématique de l'ambivalence. Je tiens en effet pour impossible, sans pensée de l'ambivalence, l'exploitation en profondeur d'une notion aussi consubstantielle à la géographie que celle de paysage. Or cette problématique met rapidement à nu des entraves terminologiques. Je propose donc, pour les délier, quelques néologismes. Voilà qui encourra le reproche de jargonner; mais c'est le risque à braver pour se départir d'un atavisme qui me semble avoir bloqué la géographie en tant que science des milieux : le dualisme positiviste, auquel j'opposerai ici un « point de vue mésologique », ou « médialisme ». Les développements qui suivent argumentent ce point de vue. Ils proposent, d'une part, une armature conceptuelle, qui s'étaie à quatre questions de fond : le rapport sujet-objet, la construction de la réalité, l'articulation de cette réalité (mésologique) au réel (physique), et l'échelle spatio-temporelle de cette articulation; ils proposent, d'autre part, l'exemple historique d'une certaine ligne de conduite devant les problèmes concrets de l'aménagement paysager, de manière à tempérer ce que ces développements pourraient avoir d'abstrait, voire de nominal. Cet article, enfin, se veut contribuer à l'affirmation d'une géographie culturelle, entendue comme l'étude du sens des milieux. 1. Milieu, médiance et trajection : l'entre-deux mésologique Le terme de milieu prêtant à confusion, précisons ce qu'implique la définition donnée plus haut. Le milieu n'est pas un objet isolable en soi. C'est une relation : la relation médiale, ou mésologique, dans laquelle intervient nécessairement un sujet. Celui-ci forme l'un des pôles théoriques de la relation. L'autre pôle théorique en est la collection d'objets — « les choses » et « les gens » — qui, rapportés à ce sujet, constituent son environnement. La relation médiale est donc ambivalente à plus d'un titre. Elle tient en effet, d'abord, du social et du naturel. On n'épiloguera pas là-dessus : tout un courant de la géographie s'est effectivement fondé sur l'analyse de cette liaison; ainsi, exemplairement, l'éco-géographie d'un Jean Tricart. Pour les raisons qu'on détaillera plus bas (construction de la réalité et logique d'échelle), le sujet engagé dans la relation médiale fonctionne plutôt collectivement : ce qui correspond à un milieu, c'est une société. Là gît une autre lence. On ne saurait en effet poser de distinction tranchée entre le niveau social et le niveau individuel de ladite relation. La conscience individuelle qui, au sens strict, fonde l'autonomie du sujet comme distinct de son environnement, ne peut jamais s'abstraire des schemes cognitifs, affectifs etc. qui l'articulent à un substrat collectif; inversement, la dimension collective des milieux ne peut jamais s'abstraire des sujets individuels par qui la relation s'effectue. D'où une troisième ambivalence fondamentale : le milieu est à la fois subjectif et objectif. Les représentations (collectives ou individuelles, banales ou savantes) font partie du milieu qu'elles représentent. Elles ne peuvent jamais s'en abstraire totalement (et, en ce sens, restent toujours partiellement subjectives); mais, dans la mesure où elles s'en abstraient, elles possèdent aussi une certaine objectivité. Cette ambivalence exige au moins d'adopter une approche phénoménologique dans toute étude de milieu; c'est-à-dire de considérer tout milieu comme vécu par un sujet individuel ou collectif. Cependant on ne saurait, en récusant ainsi le dualisme positiviste, se borner à la seule analyse des subjectivités. Le point de vue médial, ou médialisme, est aussi étranger, d'une part, à l'« écologie symbolique » d'un J.-J. Wunenburger — pour qui la nature n'est qu'une représentation du sujet —, qu'il est étranger d'autre part au « paradigme environnementaliste » d'un R. Parenteau — où le milieu se trouve réduit au sens de « milieu naturel ». En effet, le milieu n'est pas seulement phénoménal, il est aussi physique; mais encore, il n'est pas seulement écologique, il est aussi symbolique. Il s'agit, en d'autres termes, d'explorer cet « entre-deux » — entre le pour-soi de la conscience et l'en-soi de la chose — uploads/Geographie/berque-milieu-et-motivation-paysagere.pdf