L'information géographique De l'espace aux territoires : éléments pour une arch
L'information géographique De l'espace aux territoires : éléments pour une archéologie des concepts fondamentaux de la géographie Guy Di Méo Résumé Il existe plusieurs conceptions philosophiques de l'espace. Considéré comme une substance, il se distingue ou non, selon les auteurs, de la matière et de l'esprit. Forme ou propriété de la conscience, il a parfois suscité des interprétations déterministes du rapport complexe que les sociétés nouent avec lui. Produit, perçu, représenté et vécu, l'espace social constitue la base matérielle du territoire. Même s'il ne correspond pas à une stricte réalité politique, le territoire décrit un champ de lieux et de significations symboliques. Il s'identifie à une représentation sociale définie par le sens que lui confèrent les collectivités humaines qui se l'approprient. Abstract Several philosophical conceptions of space coexist. Considered as a substance, space is distinct - or not, according to authors -, from matter and mind. As a shape or a property of the conscience, it has often given birth to the deterministic interpretations of the complex relationship which societies have with it. Produced, perceived, represented and lived in, the social space constitutes the material basis of the territory. Even if it does not correspond to a strict political reality, the territory pictures a range of places and symbolic significances. It identifies itself to a social representation defined by the meaning given by the human communities that take possession of it. Citer ce document / Cite this document : Di Méo Guy. De l'espace aux territoires : éléments pour une archéologie des concepts fondamentaux de la géographie. In: L'information géographique, volume 62, n°3, 1998. pp. 99-110; doi : https://doi.org/10.3406/ingeo.1998.2586 https://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1998_num_62_3_2586 Fichier pdf généré le 09/05/2018 DOCUMENTATION GÉNÉRALE De l'espace aux territoires : éléments pour une archéologie des concepts fondamentaux de la géographie Guy Di Méo1 / existe plusieurs conceptions philosophiques de l'espace. Considéré comme une substance, il se distingue ou non, selon les auteurs, de la matière et de l'esprit. Forme ou propriété de la conscience, il a parfois suscité des interprétations déterministes du rapport complexe que les sociétés nouent avec lui. Produit, perçu, représenté et vécu, l'espace social constitue la base matérielle du territoire. Même s'il ne correspond pas à une stricte réalité politique, le territoire décrit un champ de lieux et de significations symboliques. Il s'identifie à une représentation sociale définie par le sens que lui confèrent les collectivités humaines qui se l'approprient. Several philosophical conceptions of space coexist. Considered as a substance, space is distinct - or not, according to authors -, from matter and mind. As a shape or a property of the conscience, it has often given birth to the deterministic interpretations of the complex relationship which societies have with it. Produced, perceived, represented and lived in, the social space constitutes the material basis of the territory. Even if it does not correspond to a strict political reality, the territory pictures a range of places and symbolic significances. It identifies itself to a social representation defined by the meaning given by the human communities that take possession of it. Quelle est la véritable nature de l'espace géographique? S'agit-il d'une forme trans- cendantale propre à l'esprit humain? Doit-on au contraire le considérer sous le jour d'une stricte matérialité mesurable et quantifiable, d'une substance soumise au jeu des phénomènes physiques ? Mais dans ce cas de figure, comment concevoir une nature soi-disant objective dont l'objectivité résulterait de notre perception qui la décrète, c'est- à-dire d'une pure représentation subjective ? Dans son acception la plus banale, la plus réaliste et la plus concrète, l'espace géographique ou, si l'on préfère, l'espace de la géographie en tant que science positive, c'est la surface de la terre, gouvernée par les trois dimensions de la longueur, de la largeur et de l'altitude. C'est aussi la biosphère, au sens de Gabriel Rougerie (1988) ; c'est- à-dire non seulement la « pellicule des êtres végétaux et animaux vivant actuellement sur terre, mais l'interface entre la planète et le milieu cosmique, une enveloppe spécifique pénétrée de vie ». Cependant l'espace ne peut pas être assimilé à une chose ; même si les choses, même si les objets occupent de l'espace. Car il existe de l'espace, des espaces entre les choses, sous forme « d'interstices » ou « d'intervalles », « d'espaces » justement dont l'étendue est mesurable. Considéré d'un point de vue plus strictement géométrique, l'espace constitue enfin le système de toutes les places possibles que peuvent occuper les choses ou de simples points. On parle à ce propos de propriétés spatiales des objets. La représentation humaine de l'espace, dans lequel nous percevons et nous imaginons les formes et les mouvements, correspond à la géométrie euclidienne. On peut bien sûr en concevoir d'autres, l'espace euclidien reste néanmoins celui de notre perception ordinaire du monde géographique. Doit-on dissocier un tel espace de la matière qui compose la terre et toutes les choses (minérales, végétales, animales) qui y trouvent place ? Doit-on 1. Professeur à l'Université Michel de Montaigne (Bordeaux III), membre du SET (UMR 5603-CNRS/Université de Pau et des Pays de l' Adour). © Sedes, Paris - L'information géographique n°3, 1998 99 Documentation Générale De l'espace aux territoires le distinguer aussi de l'esprit humain et des idées qu'il engendre ? Ce débat pose tout le problème de la relation essentielle du chercheur avec son objet d'investigation. Il nous oblige à relativiser la prétendue objectivité de l'espace, à mieux saisir la diversité de ses représentations et de ses vécus sur une scène sociale où s'expriment d'abord les points de vue des sujets, agents ou acteurs sociaux. La réponse apportée à ces questions ne fut jamais ni évidente, ni unique, car il s'agit d'un problème philosophique majeur. Retenons simplement que trois éléments essentiels entrent en interaction dans l'espace de la géographie que définissent assez bien, sur un plan général, la biosphère et la géométrie euclidienne : la matière constituant toute chose, sous ses trois formes (solide, liquide, gazeuse), l'espace des trois dimensions et des champs de la perception, l'esprit humain qui confère une signification à l'ensemble et sans lequel rien ne pourrait être perçu ni signifié. GENÈSE D'UN CONCEPT : DE L'ESPACE COSMIQUE À L'ESPACE GÉOGRAPHIQUE L'espace géographique de la biosphère, tel que nous venons de le définir, n'a pas fait l'objet d'un débat spécifique dans la tradition philosophique inaugurée par la pensée hellénique. Les Grecs se sont d'abord intéressés au « Tout », à l'univers, au cosmos. C'est donc dans cette acception très large qu'il convient, dans un premier temps, de prendre en compte les concepts spatiaux. À propos de la nature de l'espace dans lequel nous nous mouvons et nous vivons, dans et par lequel nous percevons aussi les formes et les mouvements qui modèlent et qui animent les choses composant le monde sensible, l'on retiendra dès les origines trois types de positions philosophiques génériques : le monisme matérialiste, le monisme spiritualiste, le dualisme. Les premières théories monistes Cette position philosophique fut défendue par les philosophes présocratiques de la nature, surtout représentés par « l'école de Milet » en Asie mineure. Fondateur de cette tradition, Thaïes (env. 625-545 av. J-C) pensait que l'eau se trouve à l'origine de toute chose; donc de l'espace et de toutes les formes spatiales. L'eau de Thaïes constitue, selon la formule de Hegel, une « universalité sensible ». Commentant la thèse de Thaïes, G. Legrand note que pour lui « l'eau engendre par solidification la terre, par evaporation l'air; le croisement de l'air et de la terre engendre d'une part le feu, d'autre part les êtres vivants » (Legrand, 1987). En fait, loin de réduire ce point de vue aux errements d'une science physique naïve, Nietzsche a bien saisi la nature ontologique de ce monisme lorsqu'il écrit : « Thaïes a vu l'unité de l'être, et quand il a voulu le dire, il a parlé de l'eau » (1938). Anaximène, le dernier des Milésiens (env. 570- 526 av. J-C), estimait pour sa part que l'air et le brouillard constituent la substance unique à partir de laquelle se façonnent toutes les réalités matérielles, mais aussi l'âme et l'esprit humains. À ses yeux, l'essence (apeiron) du monde se confond avec l'air qui tour à tour se raréfie, devient alors le feu, ou se dilate. Incorporel, invisible, l'air occupe l'espace, donne naissance au vent qui forme et porte les nuées génératrices de l'eau, puis de la terre par condensation de l'élément liquide. La traduction que donne Diels (1972) des écrits d' Anaximène est sur ce point éloquente : « l'air est le principe des êtres : car de lui toutes choses naissent et en lui retournent se disssiper. De même que notre âme, qui est de l'air, nous maintient, de même le souffle et l'air entourent le Cosmos entier ». Saint Augustin a relevé le caractère matérialiste de ce monisme. Il écrit d'ailleurs à propos d' Anaximène, dans la Cité de Dieu (VIII, 2) : « II n'a pas nié les dieux, il ne les a pas passés sous silence : mais il n'a pas cru que ce sont eux qui ont créé l'air; uploads/Geographie/de-l-x27-espace-aux-territoires-e-le-ments-pour-une-arche-ologie-des-concepts-fondamentaux-de-la-ge-ographie-guy-di-me-o-1.pdf
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- Publié le Mai 24, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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