Benjamin Coriat LA PANDÉMIE, L’ANTHROPOCÈNE ET LE BIEN COMMUN ÉDITIONS LES LIEN

Benjamin Coriat LA PANDÉMIE, L’ANTHROPOCÈNE ET LE BIEN COMMUN ÉDITIONS LES LIENS QUI LIBÈRENT À mes petits-enfants, Anako et Soléa, en espérant que, un jour, ce livre inspire leurs actions. « C’est une histoire que je dirai, c’est une histoire qu’on entendra ; « C’est une histoire que je dirai comme il convient qu’elle soit dite, « Et de telle grâce sera-t-elle dite qu’il faudra bien qu’on s’en réjouisse… » Saint-John Perse (Amers) Introduction Cet ouvrage a pour l’essentiel été conçu pendant la crise de la Covid. Au cœur du confinement, la stupeur était totale. Ainsi, en ce XXIe siècle déjà largement entamé, cela était donc possible. Un virus, une pandémie, venus des confins de l’Orient, quoique depuis longtemps annoncés, sont parvenus jusqu’à nous. Et nous ont forcés à nous cloîtrer, comme au temps des pestes du Moyen Âge. Comme d’autres, j’ai voulu comprendre. Expliquer cet inexplicable. Plusieurs milliards de personnes confinées. Sur cinq continents. Des morts par centaines de milliers et de partout, du monde des hôpitaux cette terreur, cette clameur : serons-nous submergés, la vague va-t-elle nous emporter ? Lorsque, assemblant fragment après fragment, ma conviction s’est faite : le SARS-CoV2 n’est que l’affirmation en grand, en indubitable, que nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle des épidémies et des pandémies à répétition, ma stupeur fut plus grande encore. Du coup, je laissais là l’ouvrage que j’avais en chantier pour me consacrer tout entier à l’exploration de ce monde nouveau, dont la diffusion de la pandémie du SARS-Cov2 marquait la venue. Quelle ne fut alors ma surprise de découvrir, chemin faisant, que le monde de la Covid, celui des zoonoses, me ramenait tout droit à mes préoccupations de ces dernières années : le travail de recherche en santé publique effectué pendant une décennie avec et auprès de l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida), mais aussi, mais surtout me ramenait, tout autant, à mes préoccupations les plus actuelles, les communs, la préservation de la biodiversité, le maintien et la reconstitution de solidarités perdues, dans un monde qui, au sens propre, ne sait plus où il va. * Penser l’Anthropocène, force à entrer dans un univers dans lequel, crises climatiques et, comme nous allons le montrer dans cet ouvrage, crises sanitaires, sont un nouvel état permanent. L’Anthropocène, en bousculant les règles du jeu, bouscule aussi l’horizon comme les manières de penser. Pour autant, par-delà les vicissitudes, je me suis efforcé de prendre du champ, de la hauteur. Certes, d’abord mesurer l’ampleur des destructions que l’Anthropocène nous impose, à nous les habitants d’aujourd’hui, mais plus encore à ceux qui vont nous suivre et auxquels si rien n’est fait, nous ne laisserons qu’un champ de ruines. Mais aussi faire l’inventaire de ce dont nous disposons, de ce qui est en marche et porte de renouveau. S’est alors imposée à moi la nécessité de penser à la fois l’Anthropocène, sa masse, sa puissance, la menace qu’elle fait peser sur nous, et cette immense vague par le monde qui sous le nom de « commun » est en train de redonner espoir et sens dans une planète en perdition. Au cœur de cet ouvrage donc, la rencontre de deux grands récits : celui de l’Anthropocène, dont nous mesurons chaque jour d’avantage l’ampleur et la gravité des destructions qu’il imprime à notre planète, et celui des communs, tout autre, presque son opposé, sa forme polaire. Qu’il s’agisse de l’emprise sur la nature, ou des relations entre humains, ce que porte le mouvement des communs se présente en effet comme une nouvelle manière d’habiter le monde, de s’y lover pour le préserver et par là même d’assurer notre propre survie. Ici débute un jeu de tensions et d’affrontements essentiels. Dont l’enjeu n’est rien de moins que de savoir si, oui ou non, l’homme, dans une nouvelle façon d’habiter le monde, est désormais à même de réparer ce que quelques décennies d’exploitation et d’extractivisme échevelés ont si gravement compromis. Pour déchiffrer ce jeu de tensions, ce livre propose un chemin, un parcours. Le premier chapitre est consacré à cette vérité terrible, mais qui, je n’en doute pas, va progressivement s’imposer comme une nouvelle évidence : l’Anthropocène, ce n’est pas seulement le changement climatique, l’Anthropocène c’est aussi le temps des pandémies à répétition. Ce que quelques virologues ou épidémiologistes avaient compris depuis longtemps : que la destruction massive de la biodiversité ouvre d’immenses avenues à la diffusion des zoonoses – des maladies infectieuses transmises à l’homme par l’animal –, cette vérité, après la Covid, va s’imposer. Ce point acquis, en passant au travers les murs d’illusions que d’aucuns entendent dresser à l’intelligence de ce que sont les vrais enjeux posés par l’Anthropocène, le chapitre 2 fait justice d’un ensemble de fausses et pseudo- solutions. Celles-ci sont avancées quelquefois avec de sordides arrière-pensées. D’autres fois parce que l’on a déjà renoncé et que l’on n’imagine guère pouvoir l’emporter. D’autres fois encore, en déployant des méthodes certes séduisantes, mais tout à fait hors de l’échelle des questions posées. Vient alors le temps de mobiliser ce qui peut et doit l’être. C’est l’objet du chapitre 3 que d’indiquer par où il est possible de faire face. Ce qui suppose d’abord et vigoureusement de sortir des sentiers battus, et d’oser, conceptuellement, entrer sur des terrains neufs. Fort heureusement ici, nous ne partons pas de rien. Qu’il s’agisse de la protection de la biodiversité, ou de la reconstruction des solidarités, sont à l’œuvre un immense effort de conception mais aussi de puissantes initiatives déployées sur le terrain. De la lutte pour « faire de l’eau un bien commun » en Italie, aux « zones à défendre » pour protéger notre « habité », un puissant mouvement est, à travers le monde, en marche. Nous avons voulu dans ce chapitre montrer en quoi et à quelles conditions, il y a là les ressources et les armes pour affronter l’Anthropocène. Le dernier chapitre (chapitre 4), enfin, tire les implications de ce qui a été exposé, en montrant comment repenser et renouveler les politiques publiques pour les hisser à la hauteur de l’enjeu peut, dans des domaines essentiels, ouvrir des espaces nouveaux de vie et redonner sens à la poursuite du bien commun On l’aura compris, ce livre n’est pas un livre de recettes. En ce temps de troubles extrêmes, il entend seulement, tout en regardant la réalité en face, inviter à prendre du champ. De la hauteur. Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera alors possible de s’engager dans des voies nouvelles. Afin que tout redevienne possible. CHAPITRE 1 La pandémie, fille naturelle de l’Anthropocène Beaucoup a été dit et écrit à propos de la Covid-19 depuis que la pandémie s’est abattue sur le monde. Pourtant, des choses essentielles semblent n’avoir pas été entendues, ou en tout cas n’avoir été que très insuffisamment relevées. À commencer par celle-ci : la pandémie du Covid-19 n’est pas une pandémie quelconque, une pandémie de plus – comme celles que furent en d’autres temps les pandémies de la peste, de la variole ou de la fièvre jaune… pour ne citer que les plus terribles d’entre elles. Non. La pandémie de la Covid-19 a ceci en propre qu’elle marque de manière indubitable le fait que l’âge nouveau dans lequel nous sommes entrés, celui de l’Anthropocène, est et sera aussi celui de la multiplication des épidémies et des pandémies sur l’ensemble de la planète. Cette vérité nouvelle, si l’on saisit la pleine signification, amène nécessairement un ensemble de bouleversements considérables dans la manière d’envisager et d’analyser le monde dans lequel nous sommes désormais entrés. Comme, évidemment, elle conduit à un ensemble d’implications majeures sur la manière de s’y comporter et de faire face aux défis inédits auxquels nous sommes désormais confrontés. S’il est vrai, comme nous le soutenons et entendons le montrer dans ce chapitre que l’âge de l’Anthropocène est aussi celui des pandémies « émergentes » à répétition, alors les conséquences, sans rien céder à l’opportunisme, doivent en être tirées. Après avoir montré en quoi et pourquoi l’Anthropocène est le siège de la multiplication de nouvelles épidémies appelées à se succéder, nous établissons le lien entre ces pandémies et ce trait central que revêt la mondialisation aujourd’hui et qui s’affirme partout sur la planète, dans le déploiement et le durcissement de formes variées d’extractivisme. 1. Zoonose et Anthropocène L’Anthropocène, rappelons-le pour commencer, est généralement entendue comme un « âge » de l’évolution géologique de la planète, caractérisé par le fait que l’activité humaine – économique et industrielle – se manifeste désormais de manière si forte et si intense qu’elle affecte et perturbe ses équilibres écosystémiques. C. Bonneuil (qui a joué un rôle clé pour introduire en France le débat sur ce thème) écrit à ce propos que le vocable « Anthropocène » est le mot code qui s’est imposé « pour penser cet âge dans lequel le modèle de développement actuellement dominant est devenu une force tellurique, à l’origine de dérèglements écologiques profonds, multiples et synergiques à l’échelle globale » (C. Bonneuil, 2014, p. 2). Pour le uploads/Geographie/la-pandemie-lanthropocene-et-le-bien-commun-benjamin-coriat-z-lib-org 1 .pdf

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