Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art Hors-série 4 | 2013
Images Re-vues Histoire, anthropologie et théorie de l'art Hors-série 4 | 2013 Survivance d'Aby Warburg Art public et mémoire collective Warburg et le Monument à Bismarck de Hambourg (1906) Micol Forti Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/3004 DOI : 10.4000/imagesrevues.3004 ISSN : 1778-3801 Éditeur : Centre d’Histoire et Théorie des Arts, Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval, Laboratoire d’Anthropologie Sociale, UMR 8210 Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques Référence électronique Micol Forti, « Art public et mémoire collective », Images Re-vues [En ligne], Hors-série 4 | 2013, document 1, mis en ligne le 30 janvier 2013, consulté le 30 janvier 2021. URL : http:// journals.openedition.org/imagesrevues/3004 ; DOI : https://doi.org/10.4000/imagesrevues.3004 Ce document a été généré automatiquement le 30 janvier 2021. Images Re-vues est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International. Art public et mémoire collective Warburg et le Monument à Bismarck de Hambourg (1906) Micol Forti 1 Le 29 janvier 1902, Warburg publie, dans le Hamburgische Correspondenten, un article intitulé « La nuit de Valpurga sur le Stintfang »1, signé de la courte abréviation "W.Fl." (à savoir "Warburg-Florence"). Le texte fait référence à la présentation effectuée le 5 janvier, au vélodrome proche de la gare de Dammtor, de 239 projets pour la réalisation à Hambourg d’un monument à Bismarck. Le concours est remporté par le sculpteur Hugo Lederer et l’architecte Emil Schaudt qui réaliseront le monument inauguré en juin 1906 (Fig.1-2). Art public et mémoire collective Images Re-vues, Hors-série 4 | 2013 1 Fig.1 Hugo Lederer et Emil Schaudt, Monument à Otto von Bismarck, 1902-1906, Amburgo Fig.2 Hugo Lederer et Emil Schaudt, Monument à Otto von Bismarck, 1902-1906, Amburgo, detail. Art public et mémoire collective Images Re-vues, Hors-série 4 | 2013 2 2 L’article n’est pas une simple chronique. Warburg souhaite prendre part au débat qui s’ensuit et répondre aux nombreuses critiques et invectives consécutives au choix du jury qui est aussi le sien. Mais, au même temps, il veut réfléchir autour des enjeux théoriques posés par la réalisation d’un monument public qui célèbre un personnage central de l’histoire contemporaine allemande. 3 Conformément à ses habitudes, vérifiées à de nombreuses reprises à propos de l’art contemporain et de la vie culturelle de sa propre ville, son intérêt pour cette grande entreprise publique se manifeste dès les phases préliminaires politico-administratives – choix du lieu où ériger le monument, sélection des membres du jury – pour se porter ensuite sur les différentes étapes d’exécution. Il échange des avis avec de très nombreux correspondants épistolaires, accumulant un gigantesque fonds composé d’articles, photographies, coupures de presse en tout genre, qui constitueront un Album grâce auquel il est aujourd’hui possible de parcourir à nouveau les différentes phases du débat relatif au monument de Hambourg2. Il va jusqu’à consacrer un secteur entier de sa bibliothèque aux ouvrages historiques, politiques ou économiques relatifs au Chancelier – tels les livres d’Erich Marcks, convié par Warburg en 1929 à donner une conférence sur "Bismarck et l’antiquité classique"3 – mais également à ses biographies, psychologico-caractérielles et « mythographiques », incluant un superbe ouvrage français de caricatures de Bismarck classées par pays européens et États-Unis4. 4 La bibliographie, établie d’après la thèse de doctorat, publiée par la suite, de Mark Russell5, jusqu’aux travaux détaillés de Jörg Schilling6 et Claudia Wedepohl7, retrace, selon différents points de vue, les étapes du concours et du monument, indissociables du phénomène général de la profusion de sculptures commémoratives dédiées à Bismarck dans toute l’Allemagne et ses colonies. 5 A partir de ça, ce que je voudrais proposer, c’est une analyse tant des textes que du matériel récoltés par Warburg à ce sujet, qui puisse donner de nouveaux éléments d’interprétation des moyens et des buts propres à l’historien d’art spécialiste de la Renaissance quand il s’est consacré aux événements culturels de son époque. 6 Jörg Schilling, tout comme Claudia Wedepohl, n’ont certainement pas tort quand ils affirment que, dans l’ensemble, le jugement critique de Warburg sur le monument dédié à Bismarck est plutôt vague, voire franchement ambigu par ses aspects polémiques, et que sa contribution théorique sur les éléments formels, que nous analyserons par la suite, n’offre qu’une vision indécise rendant difficile toute évaluation de l’objet d’art. On retiendra toutefois que certaines thématiques mises en évidence par Warburg, même si elles ne furent pas explicitées par un raisonnement construit, s’avérèrent déterminantes pour clarifier l’importance historico-culturelle et les implications théoriques liées à cet événement. 7 Warburg amorce son article avec une critique féroce et irrespectueuse à l’encontre des voix « de l’homme simple plein de bons sentiments et de sa famille » qui contestèrent le choix du jury de récompenser le projet de Lederer et Schaudt. Ses propos vont au-delà de son aversion, manifestée en d’autres circonstances, pour le goût petit bourgeois de la classe moyenne de Hambourg, ce qui pose un problème essentiel, c’est à dire celui du rapport spécial qui s’instaure entre une œuvre d’art officielle, installée dans un espace extérieur, et son public. 8 Le public a des attentes qui correspondent à des critères particuliers : des critères de vérité, comme les définira Gombrich8. Ils déterminent et sont déterminés par des Art public et mémoire collective Images Re-vues, Hors-série 4 | 2013 3 "attentes" ponctuelles de la part du bénéficiaire : « Ceci est-il mon Bismarck ? Ceci est- il notre Bismarck ? […] Nous voulons voir dans ce monument ce que Bismarck a fait et éprouvé », écrit Warburg, singeant les propos de la foule incarnée par le « brigadier adjoint aux lourdes bottes ». 9 De telles attentes évaluent l’œuvre au regard de sa capacité d’évocation, de mémoire, de ce qu’elle représente. Le public réclame un « effet de présence » : représenter, « c’est au fond opérer une substitution, la substitution de quelque chose à la place de cette autre […] faire comme si »9, pour citer les propos avec lesquels Louis Marin définit l’un des sens du mot représenter. 10 Warburg semble souligner une séparation de la grande tradition illuministe, celle qui conduit Louis de Jaucourt à écrire dans l’Encyclopédie, on appelle monument « tout ouvrage d’architecture et de sculpture fait pour conserver la mémoire des hommes illustres ou des grands événements, comme un mausolée, une pyramide, un arc-de- triomphe et autres semblables »10. Le monument, c’est d’abord et fondamentalement un lieu de mémoire. 11 Une séparation déterminée par le changement du rôle de la population hambourgeoise des premières années du XXe siècle – celle que Baudelaire définit comme "foule" qui s’organise en tant que public et accède au rôle de commanditaire. 12 La question de l’identité entre image et objet, induite dans le principe, plus global et épineux, de la "ressemblance", est invoquée à grands cris par les citoyens de Hambourg à travers l’exaltation de réels principes "extérieurs", comme l’illustrent la très grande majorité des monuments dans les différentes villes dédiés au Chancelier. Cette demande sous-tend une signification majeure : la possibilité/nécessité de "reconnaître" est considérée comme un préalable indispensable pour "se souvenir". De ce fait, la "mémoire collective" devient le résultat d’exigences subjectives et de pouvoirs objectifs attribués à la vision. 13 Parmi les aspects les plus appréciés dans le personnage de Bismarck du monument réalisé par Reinhold Begas à Berlin (Fig.3), hormis son portrait et la savante composition allégorique, se trouvent surtout deux gestes, deux attitudes grâce auxquels les citoyens "reconnaissent", car ils l’ont "connu", leur héros : le mouvement de la nuque tournée d’un côté, et les doigts de la main légèrement écartés sur la garde de l’épée11. Art public et mémoire collective Images Re-vues, Hors-série 4 | 2013 4 Fig.3 Reinhold Begas, Monument à Otto von Bismarck, 1901, Berlin 14 Et c’est précisément sur ce point que Warburg tente d’intervenir, en proposant un point de vue qui pousse le public, auquel le monument doit répondre et avec lequel il doit interagir, à considérer d’autres voies d’interprétation, d’autres modalités pour traduire les méandres de la mémoire collective, dans le cas particulier de l’édification d’un monument devant représenter la ville, la grandeur de la nation, la force de l’État. Dans son essai L’art du portrait et la bourgeoisie florentine, du 1902, Warburg affirme que les œuvres d’art sont le résultat de la collaboration entre « les commanditaires et les artistes » : c’est à dire qu’elles sont dès l’origine le fruit d’un compromis12. 15 Il convient de souligner que Warburg insiste à différentes reprises13 sur le fait que le Monument à Bismarck puisse représenter la « renaissance », le « virage critique », la « formation d’un goût indépendant » dans le développement de « l’art monumental allemand ». Il s’agit d’une allégation qui implique la conjugaison de différents concepts : celui de la renaissance, celui de la renaissance d’un art identifié comme allemand, celui d’une renaissance associé à une œuvre sculptée et tout particulièrement à un monument commémoratif. 16 Nous partirons de ce dernier point. 17 La réflexion théorique autour de la sculpture avait permis, aux XVIIIe et XIXe siècles, d’intéressantes percées quant à la définition d’un langage uploads/Histoire/ 2-art-public-memoire-collective.pdf
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- Publié le Dec 12, 2022
- Catégorie History / Histoire
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