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« Ainsi, pour entendre l'Écriture, il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s'accordent. Il ne suffit pas d'en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordants ; mais il faut en avoir un qui concilie les passages même contraires. » PASCAL, Pensées. « Je vis l'empereur, cette âme du monde, traverser à cheval les rues de la ville […]. C'est un sentiment prodigieux de voir un tel individu qui, concentré sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine… Âme et non pas esprit car il n'avait pas conscience du vrai sens de son œuvre. » HEGEL (au lendemain de la bataille d'Iéna). Karl Marx ou l’esprit du monde Jacques Attali 2005 Table des Matières Page de Titre Table des Matières Page de Copyright Du même auteur Epigraphe Dédicace Introduction Chapitre premier - Le philosophe allemand CHAPITRE II - Le révolutionnaire européen CHAPITRE III - L'économiste anglais CHAPITRE IV - Le maître de l'Internationale CHAPITRE V - Le penseur du Capital CHAPITRE VI - Dernières batailles CHAPITRE VII - L'esprit du monde remerciements BIBLIOGRAPHIE Introduction Aucun auteur n'a eu plus de lecteurs, aucun révolutionnaire n'a rassemblé plus d'espoirs, aucun idéologue n'a suscité plus d'exégèses, et, mis à part quelques fondateurs de religions, aucun homme n'a exercé sur le monde une influence comparable à celle que Karl Marx a eue au XXe siècle. Pourtant, juste avant l'aube du siècle suivant, où nous sommes, ses théories, sa conception du monde ont été universellement rejetées ; la pratique politique construite autour de son nom a été renvoyée aux poubelles de l'Histoire. Aujourd'hui, presque plus personne ne l'étudie, et il est de bon ton de soutenir qu'il s'est trompé en croyant le capitalisme moribond et le socialisme à portée de main. Aux yeux de beaucoup, il passe pour le principal responsable de quelques-uns des plus grands crimes de l'Histoire, et en particulier des pires perversions qui marquèrent la fin du précédent millénaire, du nazisme au stalinisme. À lire son œuvre de près, on découvre pourtant qu'il a vu, bien avant tout le monde, en quoi le capitalisme constituait une libération des aliénations antérieures. On découvre aussi qu'il ne l'a jamais pensé à l'agonie et qu'il n'a jamais cru le socialisme possible dans un seul pays, mais qu'il a fait au contraire l'apologie du libre échange et de la mondialisation, et qu'il a prévu que la révolution ne viendrait, si elle advenait, que comme le dépassement d'un capitalisme devenu universel. À revisiter sa vie, on prend aussi conscience de l'extrême actualité de cet extraordinaire destin considéré dans toutes ses contradictions. D'abord, parce que le siècle qu'il traversa ressemble étonnamment au nôtre. Comme aujourd'hui, le monde était dominé démographiquement par l'Asie et économiquement par le monde anglo-saxon. Comme aujourd'hui, la démocratie et le marché tentaient de conquérir la planète. Comme aujourd'hui, des technologies révolutionnaient la production d'énergie et d'objets, les communications, les arts, les idéologies, et annonçaient une formidable réduction de la pénibilité du travail. Comme aujourd'hui, nul ne savait si les marchés étaient à la veille d'une vague de croissance sans précédent ou au paroxysme de leurs contradictions. Comme aujourd'hui, les inégalités étaient considérables entre les plus puissants et les plus misérables. Comme aujourd'hui, des groupes de pression, parfois violents, voire désespérés, s'opposaient à la mondialisation des marchés, à la montée de la démocratie et à la sécularisation. Comme aujourd'hui, des gens espéraient en une autre vie, plus fraternelle, qui libérerait les hommes de la misère, de l'aliénation et de la souffrance. Comme aujourd'hui, nombre d'écrivains et d'hommes politiques se disputaient l'honneur d'avoir trouvé la voie pour y conduire les hommes, de gré ou de force. Comme aujourd'hui, des hommes et des femmes de courage, en particulier des journalistes comme Marx, mouraient pour la liberté de parler, d'écrire, de penser. Comme aujourd'hui, enfin, le capitalisme régnait en maître, pesant partout sur le coût du travail, modelant l'organisation du monde sur celle des nations européennes. Ensuite, parce que son action est à la source de ce qui fait l'essentiel de notre présent : c'est dans l'une des institutions qu'il a fondées, l'Internationale, qu'est née la social-démocratie ; c'est en caricaturant son idéal que s'édifièrent quelques-unes des pires dictatures du siècle passé, dont plusieurs continents subissent encore les séquelles. C'est par les sciences sociales, dont il fut l'un des pères, que s'est façonnée notre conception de l'État et de l'Histoire. C'est par le journalisme, dont il fut l'un des plus grands professionnels, que le monde ne cesse de se comprendre et donc de se transformer. Enfin, parce qu'il est au point de rencontre de tout ce qui constitue l'homme moderne occidental. Il hérite du judaïsme l'idée que la pauvreté est intolérable et que la vie ne vaut que si elle permet d'améliorer le sort de l'humanité. Il hérite du christianisme le rêve d'un avenir libérateur où les hommes s'aimeront les uns les autres. Il hérite de la Renaissance l'ambition de penser le monde rationnellement. Il hérite de la Prusse la certitude que la philosophie est la première des sciences et que l'État est le cœur, menaçant, de tout pouvoir. Il hérite de la France la conviction que la Révolution est la condition de l'émancipation des peuples. Il hérite de l'Angleterre la passion de la démocratie, de l'empirisme et de l'économie politique. Enfin, il hérite de l'Europe la passion de l'universel et de la liberté. Par ces héritages qu'il assume et récuse tour à tour, il devient le penseur politique de l'universel et le défenseur des faibles. Même si maints philosophes avant lui ont pensé l'être humain dans sa totalité, il est le premier à appréhender le monde comme un ensemble à la fois politique, économique, scientifique et philosophique. À l'instar de Hegel, son premier maître à penser, il entend donner une lecture globale du réel ; mais, à sa différence, il ne voit le réel que dans l'histoire des hommes, et non plus dans le règne de Dieu. Manifestant une incroyable boulimie de connaissances dans toutes les disciplines, dans toutes les langues, il s'évertue jusqu'à son dernier souffle à embrasser la totalité du monde et des ressorts de la liberté humaine. Il est l'esprit du monde. Au total, l'extraordinaire trajectoire de ce proscrit, fondateur de la seule religion neuve de ces derniers siècles nous donne à comprendre comment notre présent s'est édifié sur ces hommes rares, qui choisirent de vivre en marginaux démunis pour préserver leur droit de rêver à un monde meilleur alors que les allées du pouvoir leur étaient ouvertes. Nous avons à leur égard un devoir de gratitude. Dans le même temps, le destin de son œuvre nous montre comment le meilleur des rêves en vient à déraper dans la pire barbarie. Je le dis sans emphase ni nostalgie. Je n'ai jamais été ni ne suis « marxiste » en aucun sens du mot. L'œuvre de Marx ne m'a pas accompagné dans ma jeunesse ; si incroyable que cela puisse paraître, je n'ai même guère entendu prononcer son nom pendant mes études de sciences, de droit, d'économie ou d'histoire. Mon premier contact sérieux avec lui est passé par la lecture tardive de ses livres et par une correspondance avec l'auteur de Pour Marx56, Louis Althusser. Depuis, le personnage et l'œuvre ne m'ont jamais quitté. Marx m'a fasciné par la précision de sa pensée, la force de sa dialectique, la puissance de son raisonnement, la clarté de ses analyses, la férocité de ses critiques, l'humour de ses traits, la clarté de ses concepts. De plus en plus souvent, au fil de mes recherches, j'ai éprouvé le besoin de savoir ce qu'il pensait du marché, des prix, de la production, de l'échange, du pouvoir, de l'injustice, de l'aliénation, de la marchandise, de l'anthropologie, de la musique, du temps, de la médecine, de la physique, de la propriété, du judaïsme et de l'histoire. Aujourd'hui, toujours conscient de ses ambiguïtés, sans presque jamais partager les conclusions de ses épigones, il n'est pas un sujet dans lequel il me soit donné de m'engager sans que je me demande ce qu'il en a pensé. Et sans trouver un immense intérêt à le lire. Sur cet esprit prodigieux, des dizaines de milliers d'études, des dizaines de biographies ont été écrites, toujours hagiographiques ou hostiles, presque jamais distanciées. Pas une ligne de lui qui n'ait suscité des centaines de pages de commentaires rageurs ou éblouis. Certains en ont fait un aventurier politique, un arriviste financier, un tyran domestique, un parasite social. D'autres ont vu en lui un prophète, un extraterrestre, le premier des grands économistes, le père des sciences sociales, de la Nouvelle Histoire, de l'anthropologie et même de la psychanalyse. D'autres, enfin, sont allés jusqu'à voir en lui le dernier philosophe chrétien134. Aujourd'hui, alors que le communisme semble s'être à jamais effacé de la surface du globe et que sa pensée n'est plus un enjeu de pouvoir, il devient enfin possible d'en parler avec sérénité, sérieusement et donc utilement. Le moment est donc venu de raconter sans faux-semblants, de façon moderne, son uploads/Histoire/ attali-jacques-karl-marx-ou-l4esprit-du-monde-2005.pdf
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- Publié le Jui 19, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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